Les Sudètes
Ces derniers jours, le spectre de l'affaire des Sudètes semble chatouiller, une fois de plus, la scène politique tchèque. Suite à une proposition de dialogue émise par la Landsmannschaft des Allemands des Sudètes, le premier ministre tchèque Jiri Paroubek a décliné l'invitation et la discussion. Le terme même de Sudètes prête à ambiguïté puisqu'il implique que les régions nord de la Bohême appartiennent en fait à l'Allemagne du sud ! Retour sur une mémoire vive.
En 1934, Hitler arrive au pouvoir en Allemagne et aussitôt, les relations entre Tchèques et allemands de Bohême-Moravie vont aller aussitôt en se détériorant. Mais le problème connu sous le nom d'"affaire des Sudètes" prend ses racines dès le 19ème siècle, qui voit la rupture se creuser entre les deux communautés : chacune possède ses associations ou ses écoles.
En 1882, l'université de Prague est divisée en deux établissements séparés. Cette réforme, décidée par le gouvernement du comte Taaffe, s'avérera rapidement favorable aux Tchèques, qui y gagneront indépendance et prépondérance. En attendant, les tensions entre étudiants tchèques et allemands est vive, allant de batailles de rues jusque - beaucoup plus rarement - au duel. Les corporations de chaque corps organisent régulièrement des sorties avec uniformes et couleurs, occasions d'affrontements.
L'université est un enjeu important et cela sera à nouveau le cas - on le verra bientôt - dans les années 1930. Mais cette fois-ci, le contexte est nettement défavorable aux Tchèques.Aux élections de 1935, un an seulement après l'accession de Hitler au pouvoir, le parti allemand des Sudètes, le SDP, obtient un grand succès. Fondé en 1933, ce mouvement téléguidé depuis Berlin s'appelle à l'origine le Front patriotique des Sudètes. Il puise ses voix dans les régions allemandes du nord de la Bohême et du sud de la Moravie. Issus des couches modestes, ces Allemands étaient d'ailleurs hostiles à la bourgeoisie allemande de Prague. Konrad Henlein, le fondateur du parti nazi tchèque, était professeur de gymnastique et Karl Hermann Franck, secrétaire d'Etat du Protectorat de Bohême-Moravie, un libraire de Karlovy Vary en faillite.
Les éléments allemands radicaux de Prague se retrouvent essentiellement dans les organisations étudiantes, où l'influence nazie ne fait que croître à partir de 1935. Leur audience reste cependant nulle auprès du milieu tchèque.
Et n'oublions pas qu'au sein de l'Université, on retrouve aussi une autre catégorie d'Allemands : celle des exilés ou des opposants au régime de Hitler. La Tchécoslovaquie accueille dans les années 30 près de 20 000 personnes, parmi lesquels de nombreux intellectuels. On retrouve ainsi le peintre Oskar Kokoschka, un Autrichien de père tchèque, qui fit, en 1936, un célèbre portrait de Masaryk avec le philosophe Komensky à ses côtés.
Au sein de l'Université de Prague, on retrouve de nombreux professeurs allemands mais d'obédience libérale. On compte même dans leur rang deux figures "tchécoslovaquistes", l'agrarien Franz Spina et le chrétien-social Robert Mayr-Härtling. Citons encore le juriste autrichien Hans Kelsen, dont l'arrivée en 1936, provoque des manifestations de protestation des étudiants nazis.
Face aux tensions nationalistes, les autorités tchécoslovaques essaient de calmer le jeu. En 1937, le premier ministre Milan Hodza tente d'améliorer la condition des minorités allemandes vivant dans les régions frontalières. Mais le temps joue contre lui et les convoitises de l'Allemagne ont déjà jeté les dés. En février 1938, Hitler déclare, dans une allocution publique, qu'en rattachant les territoires tchécoslovaques à peuplement allemand au Reich, il libérerait des "millions d'Allemands vivant à l'étranger".
Au congrès du SPD, qui se tient à Karlovy Vary en avril 1938, Konrad Henlein évoque en huit points le programme du parti nazi de Bohême. Parmi ceux-ci figure la création d'un territoire allemand séparé. Le but réel et non avoué est l'intégration au sein de l'Allemagne. En attendant ce jour proche, les partisans de Henlein entretiennent l'agitation aux frontières.
Début mars 1939, l'armée allemande pénètre en Tchécoslovaquie. La mobilisation avait été décrétée en 1938 et, sur les 1 million et demi d'appelés, on comptait 300 000 Allemands. Mais le gouvernement tchécoslovaque fut obligé d'accepter les accords de Münich et la démobilisation fut ordonnée en octobre 1938. Combien se seraient battus si la levée des troupes s'était concrétisée ? On ne le saura jamais. Le 15 mars 1939, lorsque les troupes allemandes arrivent à Prague, les étudiants nazis sont les seuls à les saluer, le bras levé, dans une rue complètement vide. Le lieu est symbolique puisque l'avenue Na Prikope était, avant la 1ère République en 1918, une rue "allemande", comme l'avenue Narodni était une rue "tchèque".Lorsque la guerre se termine, les plaies et les ressentiments sont vifs. Certaines études historiques se sont penchées, en France, sur les abus commis lors de l'épuration à la Libération. Mais là où il s'agit d'un règlement de compte entre Français, en Tchécoslovaquie, le problème prend un aspect ethnique.
Au lendemain de la guerre, les Allemands se voient privés de leurs droits et la conférence de Postdam autorise finalement leur expulsion de Tchécoslovaquie. Ce qui commence en 1946 sous le nom officiel d'expulsion organisée", voit en fait l'exil forcé et sauvage de 2 256 000 Allemands. En 1950, il resterait, selon les statistiques officielles, 1,8 % d'Allemands en Tchécoslovaquie.
La polémique récente entre Jiri Paroubek et le représentant des Allemands des Sudètes montre que les blessures ne sont, des deux côtés, pas encore tout à fait refermées.