"Sudète: un terme politiquement chargé" - entretien avec Christian Jacques (I)
Souvent traitée sur notre antenne, la « question sudète » est aujourd’hui l’objet d’un entretien réalisé avec le germaniste Christian Jacques. Spécialiste de l’histoire et de la culture allemande dans les pays tchèques et en Europe centrale, il est Maître de conférences à l’Université de Strasbourg. Au micro de Radio Prague, il revient sur les fondements historiques et identitaires de la « germanité sudète » et retrace l’évolution de la « question sudète » dans les pays tchèques.
« C’est une question très vaste. Pour simplifier les choses, c’est le contentieux dans les relations germano-tchèques, qui tourne autour de trois dates qui sont à mon avis essentielles qui sont tout d’abord 1919, la création de la Tchécoslovaquie, la question de la place des populations germanophones dans le nouvel Etat ; 1938 avec la destruction de l’Etat tchécoslovaque, 1945, les expulsions de près de 3 millions de personnes considérées ou se considérant comme allemand, dans des conditions particulièrement difficiles et terribles. »
Et à partir de quel moment parle t-on de « question sudète » ?
« Si aujourd’hui le terme de « sudète » ou « Allemands des sudètes » pour désigner l’ensemble des populations germanophones est d’usage courant, il faut considérer que c’est un terme qui apparaît relativement tardivement ; après la Première Guerre mondiale. En 1919, C’est Karl Renner qui l’utilise pour la première fois lors du Traité de Saint-Germain dans un cadre politique. Bien sûr, il faut remonter, disons, au moins au XIXe siècle lors de la question des nationalités et des luttes nationales entre des mouvements nationalistes tchèques et allemands. Concrètement, la « question sudète » apparaît sous ces termes dans l’entre-deux-guerres. Concernant, les décrets Beneš, qu’il faut absolument évoquer, ces décrets qu’il faudrait appeler les décrets présidentiels et qui concernent la confiscation des biens et la suppression de la citoyenneté tchécoslovaque des individus considérés comme Allemands, mais dont l’application touche les Hongrois. Ces décrets vont focaliser ou cristalliser les relations inter étatiques et devenir un des griefs au sein de la Sudetendeutschen Landsmannschaft envers le gouvernement tchécoslovaque et puis tchèque après 1990 au moment de la transformation post socialiste et de la question de l’intégration européenne. »Cette question intervient finalement relativement peu avant 1990 ?
« Bien sûr on la retrouve, mais elle a toute son actualité dans la mesure ou la République tchèque entre dans le système démocratique occidental. »
La récupération de cette question et surtout des décrets Beneš par Václav Klaus lors de la demande de dérogation au moment de la signature du traité de Lisbonne, vous l’interprétez comment ?
« En fait c’est ce jeu d’identité et ce discours identitaire tchèque qui a besoin de ce repoussoir, d’une figure négative. Disons que les Allemands des sudètes représentent toute cette négativité dont a besoin le discours identitaire tchèque. Le discours de Vaclav Klaus s’inscrit à mon avis dans ce discours populiste et nationaliste. »
On parle dans les média de « question sudète », mais que désigne t-on par le terme « sudète » ?
« C’est une bonne question. Le terme de « sudète » au XIXe est un terme géologique qui regroupe les monts situés au nord est de la bohême. L’utilisation de ce terme pour désigner l’ensemble de la population germanophone dans les pays tchèques apparaît dans l’entre-deux-guerres après 1919. C’est un terme qui n’est pas neutre, qui est chargé politiquement et qui renvoie à la question nationale et à l’irrédentisme allemand dans ces régions. »
Après 1945, comment se construit la germanité sudète ?
« Paradoxalement, le terme de « sudète » s’impose après la disparition de la présence de ces populations en Tchécoslovaquie. A la fin des années 1940 et au début des années 1950, Les réfugiés, s’organisent au sein d’institution, d’associations : les Landsmannschaften, et qui ont pour mission de représenter ses populations expulsées en Allemagne ou à l’extérieur. La Sudetendeustchen landsmannschaft, va réussir à imposer ce terme et il est intéressant de remarquer que tous les allemands, tous les germanophones d’origine des pays tchèques ne se reconnaissent pas dans ce terme de « sudète ». »Si je comprends bien, la « germanité sudète » est un terme politique ?
« A mon sens, oui. Il est intéressant que voir que dans les milieux nationalistes tchèques on a besoin de ce terme qui représente le signe de l’altérité et porte une vision du « méchant allemand » et de son agressivité. Donc, les revendications et les discours ambiguës menées par les associations sudètes ont l’effet inverse de leur revendication puisqu’ils servent le discours nationaliste ostracisant. »Pour en revenir à la République tchèque. La question sudète intervient dans les relations bilatérales germano-tchèques après 1990. Est ce que c’est le cas avant 1989 ?
« On a souvent parlé de tabouisation de la « question sudète » ou en République tchèque. Il y a eu un interdit des autorités communistes d’imposer une version des choses. Toutefois, même restreinte, la question est restée présente. En 1973 par exemple, les accords de Prague on posé la question de la validité des accords de Munich. »
Suite de cet entretien dans un prochain chapitre de l'histoire