Les Tchèques à Bordeaux (I) : Barbora Faucon, prof de maths
Barbora Faucon, 37 ans, est pragoise. C’est au mariage de sa correspondante française qu’elle a rencontré Marc, son futur époux, originaire d’Aquitaine. Depuis quelques années, le couple vit à Bordeaux, où Barbora exerce son métier de professeur de mathématiques. Elle nous parle de son travail dans un lycée professionnel de Bordeaux, une expérience qui est, pour elle, un défi à relever…
Pour un enseignant, quelles sont les principales différences entre un lycée tchèque et un lycée français ?
« Il m’est difficile de comparer, parce qu’à Prague, j’ai enseigné dans un lycée général et non pas dans un lycée professionnel. Il existe une différence entre les systèmes éducatifs tchèque et français qu’il convient d’expliquer : quand on dit 'lycée' en République tchèque, cela signifie une école où ne sont admis que les enfants ayant de bons résultats scolaires. Tandis qu’en France, presque tous les élèves du secondaire étudient au lycée. Moi, j’enseigne dans un lycée qui prépare les élèves aux métiers des transports et de la logistique. Auparavant, je n’avais jamais travaillé dans ce type d’établissement, où la plupart des enfants ont déjà connu un échec scolaire. A vrai dire, ce n’est pas tout à fait facile pour moi, c’est un défi. »
De manière générale, peut-on apprendre facilement à expliquer les mathématiques dans une langue étrangère ?
« C’est une question d’habitude. Au début, j’ai un peu ‘ramé’… Pour apprendre la terminologie, j’ai acheté des manuels scolaires de collège. Ce qui m’a aidée, ce sont les cours particuliers : évidemment, il est plus facile d’expliquer, de comprendre et de se faire comprendre quand vous vous trouvez en face d’une seule personne que devant toute une classe. Ce qui me pose problème, c’est plutôt le fait que je ne maîtrise pas assez bien la langue des jeunes. Certains parlent avec un accent, mais surtout ils utilisent l’argot, des mots que l’on n’apprend pas à l’école… »
Ressentez-vous une différence culturelle entre vous et vos élèves ?
« Oui, forcément. Dans les lycées tchèques, nous n’avons pas encore tant d’élèves d’origine étrangère. Dans les lycées professionnels français, les jeunes sont souvent issus de familles immigrées et de différents milieux sociaux. Certains enfants sont nés en France, d’autres y vivent depuis peu et ne parlent pas toujours bien français. »
Arrive-t-il qu’ils vous parlent dans leur langue ? Quand ils sont en colère par exemple ?
« Oui, surtout quand ils sont en colère. Mais pour que je ne comprenne pas, il suffit qu’ils parlent en argot. Peut-être vaut-il mieux d'ailleurs que je ne comprenne pas (rires). »
Le fait que vous soyez tchèque représente-t-il quelque chose pour vos élèves ?
« Evidemment, ceux qui ne me connaissent pas me demandent d’où je viens et pourquoi je suis à Bordeaux. Ils sont assez curieux et me posent beaucoup de questions. Sinon, ils sont habitués à avoir des professeurs étrangers : beaucoup d’enseignants dans ce lycée sont d’origine espagnole. »
Ont-ils certaines connaissances sur la République tchèque ?
« Non, ils n’en savent pas grand-chose. J’ai un élève originaire d’Ukraine. Avec lui, nous nous disons bonjour en tchèque (c’est pareil en ukrainien), mais c’est tout. D’ailleurs, mes collègues professeurs n’en savent pas plus que leurs élèves. Ils ne font pas la différence entre mon pays d’origine et celui de mon élève ukrainien. Pour eux, c’est le même coin de la planète, ils ne vont pas plus loin. »
Quels sont vos projets ? Voulez-vous poursuivre votre carrière pédagogique en France ?
« Oui, j’aimerais bien. C’est un travail qui me plaît et je m’y consacre depuis dix ans déjà. Mais il est difficile de trouver un travail dans ce domaine en France, dans le secteur public comme dans le privé. C’est un milieu assez restreint. Les étrangers qui veulent enseigner en France doivent passer un concours qui ressemble à l’examen reconnu par l’Etat que l’on passe en République tchèque à la fin des études supérieures. Moi, je me vois plutôt comme professeur remplaçant. Ou alors je serai obligée de passer ce concours… »Vos diplômes ont-ils été reconnus en France ?
« Les diplômes sont reconnus, mais cela ne vous ouvre pas les portes des collèges et lycées pour autant. J’avoue que dans d’autres professions, l’accès à l’emploi est peut-être plus facile que dans l’enseignement. »
Avez-vous été confrontée à d’autres difficultés lorsque vous vous êtes installée en France ?
« J’ai été confrontée à des problèmes d’ordre administratif, mais je pense qu’ils existent dans tous les pays. Les diplômes universitaires, par exemple, ne sont pas reconnus automatiquement. C’est une procédure assez longue. Mon diplôme de l’Université Charles est écrit en latin et il n’a pas été facile de trouver un traducteur. En plus, les traductions coûtent cher… »
Avez-vous demandé la double nationalité ?
« Non, pas encore, parce que je ne peux obtenir la nationalité française qu’après quatre ans de mariage. Il me faut donc attendre encore un an. Mais cela fait partie de mes projets. »
Barbora, vous sentez-vous bien intégrée en France ?
« Pas vraiment. J’ai des amis, mais ils sont presque tous étrangers comme moi. Il est vrai que j’ai été très bien accueillie par la famille de mon mari, même par la grande famille, par tous ses cousins et cousines dont je me sens proche. Mais il me semble difficile de trouver de vrais amis en France. En République tchèque, nous sommes habitués à aller dans des brasseries pour prendre des nouvelles des amis, pour papoter. En France, cela ne se fait pas trop. Je pense aussi qu’on se fait des amis plus facilement quand on est étudiant, quand on fréquente des gens de son âge. Alors oui, je suis plus ou moins intégrée, mais… je ne me sens pas toujours tout à fait à l’aise. »