Les Tchèques face au premier conflit mondial

Nous revenons aujourd'hui sur le premier conflit mondial et sur sa réception en Bohême-Moravie. Un tableau qu'il est difficile de reconstituer tant les sources font défaut sur l'état d'esprit réel des Tchèques en 1914-1918. Le livre de Hasek, Le Brave Soldat Svejk, ne saurait en effet résumer les attitudes face à une guerre qui sera la plus meurtrière jusqu'alors connue.

L'archiduc François-Ferdinand à Sarajevo
Le 28 juin 1914, l'attentat de Sarajevo contre l'archiduc François-Ferdinand plonge la Bohême-Moravie dans la Première Guerre mondiale. Il y a pu y avoir des cas d'enthousiasme pour la déclaration de la guerre. Et parfois la joie, à l'idée de jouer aux héros et éventuellement de quitter la monotonie d'une vie trop réglée. Mais ce genre de réflexe aura sans doute été bien moins courant en Bohême-Moravie qu'en France par exemple. Là, le patriotisme et le sentiment de défendre ses terres joue un rôle de premier ordre dans la mobilisation rapide. Les Tchèques ne voient pas vraiment l'intérêt de se battre pour l'Autriche, face à laquelle ils souhaitent plus d'autonomie.

Le comte Sturgkh
Mais si le scepticisme domine, la mobilisation s'effectue sans heurts. Le comte Sturgkh, président du Conseil autrichien, suspend en mars 1914 les sessions du Parlement de Vienne en raison de l'obstruction des députés tchèques. Le Parlement de Budapest, quant à lui, continue de fonctionner. Ainsi, dès le début du conflit, le climat d'Union sacrée qui prévaut en France est impossible à réaliser dans les pays de la monarchie autrichienne.

D'ailleurs, même pour les Autrichiens, on ne combat, pas pour la patrie mais d'abord pour la dynastie des Habsbourg. Sur les uniformes des soldats autrichiens ou tchèques, est cousu un écusson aux initiales de l'empereur : «F.J», pour François-Joseph. La dynastie est le ciment des différentes nationalités de l'empire.

Il existe aussi en Bohême une frange, certes minoritaire, de panslavistes, qui ne souhaitent pas s'engager contre le grand frère russe, allié aux Français et aux Anglais. On se souvient d'un air qu'on entendait parfois dans les régiments tchèques : « Petit foulard rouge, tourne, tourne, nous allons en Russie sans savoir pourquoi ».

A l'automne et à l'été 1914, les Tchèques pensent encore à une guerre courte, comme d'ailleurs partout en Europe. Mais l'hiver voit la guerre des tranchées s'installer et, peu à peu, l'angoisse et le repli sur soi gagnent les Tchèques.

Le blocus imposé par l'Entente va vite créer une véritable crise économique en Bohême. Pétrole, minerai de fer, la plupart des matières premières font cruellement défaut dès le début de la guerre. La famine touchera même les régions industrielles allemandes de Bohême du Nord, au sol trop pauvre pour être cultivé. De nombreuses familles pragoises retourneront ainsi à la campagne sous l'effet de la pénurie et la population de la capitale baissera pendant le conflit. Prague sera toutefois épargnée par la famine car entourée d'une région riche et cultivée.

On dispose de peu d'éléments sur les réactions de l'époque, contrairement au second conflit mondial. L'un des traits caractéristiques de cette période est un durcissement radical de la politique autrichienne face à la Bohême : le Parlement est suspendu, des personnalités sont arrêtées et la censure tourne à plein. Il faut attendre 1917 et l'arrivée de Charles Ier au pouvoir pour voir la pression s'adoucir.

Tels de petits soldats Svejk de la plume, les journalistes jouent avec les non-dits de la censure pour se moquer indirectement du haut commandement et de la conduite de la guerre.

La fin de la guerre en Europe sonne l'espoir d'un âge nouveau. C'est vrai en Europe et encore plus en Bohême-Moravie où l'Etat tchécoslovaque naît sur les décombres du cataclysme. Durant la Première République, les Pragois se mettent à l'heure des années folles. La guerre est oubliée ou peut-être trop présente dans l'esprit pour que la vie ne soit pas vécue intensément. Dans les années 20 et 30, Prague résonne des sons des cafés et des clubs dansants, les salles de cinéma ne désemplissent pas. La guerre est loin, mais bientôt se profile une autre déflagration européenne, plus meurtrière que la première.