Les Tchèques sont (presque) tous inquiets pour le climat
Après avoir longtemps compté parmi les plus climato-sceptiques en Europe, les Tchèques sont désormais 93% à considérer que les changements climatiques sont une réalité. Mercredi, à l’occasion d’une journée spécialement consacrée au sujet dans ses émissions, la Radio tchèque a informé des résultats d’une grande enquête menée auprès de toutes les tranches de la société tchèque. Les résultats montrent que les Tchèques considèrent la sécheresse tout particulièrement comme un problème majeur.
Une très large majorité des Tchèques disent aujourd’hui croire dans la réalité du changement climatique. Toutefois, dans le détail, l’enquête montre que la conclusion n’est pas si simple.
En effet, s’ils sont 93% à affirmer que le changement climatique est réel, y croire ne signifie pas forcément avoir envie de s’y opposer, ni même de croire que ce changement aura des conséquences néfastes dans la vie quotidienne.
Parmi ce constat plutôt très largement partagé, il faut donc distinguer quelques nuances. 82% des Tchèques estiment qu’il faut agir et changer les comportements humains face à la crise, les points de vue divergent encore quant à la manière de concrétiser ces actions. Autre point important : seuls 27% des répondants considèrent le changement climatique comme une menace « très grave ». Selon le sociologue Martin Buchtík, c’est là la conséquence de la nature abstraite du changement climatique dont les Tchèques ne perçoivent pas les conséquences au quotidien – ou ne font pas le lien entre diverses transformations et le réchauffement de la planète.
Dans son rapport, la Radio tchèque pointe un paradoxe : « si 86% des Tchèques s’attendent à ce que le changement climatique ait un impact important dans le monde, seuls un peu plus de 50% pensent que cela concernera leur ville ». Enfin, une dernière donnée interpelle. Ceux que les sociologues appellent la « classe cosmopolite émergente », des jeunes aux revenus élevés qui travaillent dans l’informatique ou la finance et vivent en ville, sont à la fois les plus intéressés et attentifs quant à la question environnementale, mais sont également ceux qui polluent le plus en voyageant davantage que la moyenne.
Ce n’est peut-être pas si étonnant si on relie les enjeux du changement climatique à la question sociale. C’est même une interrogation centrale pour l’enquête de la Radio tchèque …
D’abord, une affirmation qui risque de surprendre : il n’y a pas de clivage majeur selon les générations ou les niveaux de vie, selon le sociologue Martin Buchtík qui a travaillé sur l’enquête de la Radio tchèque :
« Selon les résultats du sondage, ils n’y a pas de grandes différences d’opinions entre les différentes catégories de la population. C’est un enseignement important et une bonne chose, car l’environnement est un thème qui divise souvent. Or là, quel que soit l’âge, le niveau d’études ou la classe sociale, on se rend compte que les gens sont plus ou moins unanimes, et c’est important pour l’évolution du dialogue au sein de la population. »
En revanche, ce que souligne l’enquête c’est qu’au-delà des divergences de vues, en République tchèque comme partout ailleurs, tout le monde ne pollue pas de la même manière, ni en quantités égales.
Les groupes les plus favorisés et la classe moyenne supérieure ont l’empreinte carbone la plus importante, de 20% supérieure à celles des autres classes sociales. Ainsi, les plus riches utilisent davantage la voiture et voyagent plus en avion. Les foyers les moins aisés voient en revanche leur empreinte carbone gonflée par une utilisation accrue d’énergie et de chauffage – leurs logements étant souvent plus vétustes et moins bien isolés. Ces dépenses énergétiques restent toutefois moindres par rapport aux conséquences des voyages en avion.
Enfin, après les volets sociaux et environnementaux, le nerf de la guerre semble rester la question économique. Les foyers défavorisés disposent d’une marge de manœuvre très fine dans leur budget pour par exemple mieux isoler leur domicile ou changer de véhicule.
D’autre part, les mesures entreprises pour lutter contre le changement climatique ne seront acceptées par l’ensemble de la population, et notamment les membres des classes les moins dotées, que si « les coûts sont équitablement affectés ». De nombreux exemples, comme la progressive fermeture des mines de charbon dans le nord et l’est du pays, montrent que la transition n’est jamais simple si elle ne s’accompagne pas de mesures sociales.
Rappelons enfin que seule la moitié des émissions de CO2 en République tchèque correspond à des activités individuelles. Selon Martin Buchtík, les solutions ne peuvent reposer que sur les individus et leur comportement :
« Evidemment, il est possible de diminuer l’empreinte carbone individuelle, mais c’est avant tout un problème systémique. L’empreinte individuelle ne représente que la moitié de l’ensemble des émissions de CO2 en République tchèque. Si vous vous mettez à laver les pots de yaourt ou à mieux trier les déchets, c’est bien, mais ça ne suffira pas. »
Y a-t-il un domaine dans lequel les Tchèques se distinguent par rapport à leur voisins européens ?
Selon les sondages de la Commission européenne, la Tchèques sont parmi les mauvais élèves en matière d’environnement, mais la tendance est semble-t-il à la prise de conscience. Chaque année, de plus en plus de Tchèques se disent préoccupés. En matière de pollution, la République tchèque était en 2017 le cinquième pays de l’Union européenne en termes d’émissions par habitant (9,8 tonnes par an et par habitant en 2017) et le vingtième à l’échelle mondiale.
Autre originalité tchèque : la place consacrée aux migrations. Les répondants se disent ainsi à 66% inquiets des vagues migratoires que pourrait entraîner le changement climatique. C’est là, selon les sociologues, le résultat des débats politiques des dernières années en République tchèque.
Mises à part les migrations, quels sont les sujets écologiques préoccupants en République tchèque ?
Parmi les sujets qui préoccupent le plus, la sécheresse arrive en tête avec 84% des Tchèques qui se disent inquiets – dont 47% de très inquiets. Si la situation varie d’une année sur l’autre, les épisodes de manque d’eau sont fréquents. L’état des forêts est également une préoccupation majeure (86% d’inquiets, dont 46% de très inquiets). Le quotidien Hospodářské noviny titrait il y a quelques semaines « Des forêts d’Europe centrale, les forêts tchèques sont celles dans le pire état. Ce sont les seules qui ne retiennent plus le dioxyde de carbone ». En cause, la prolifération du scolyte, elle-même due aux températures de plus en plus chaudes et sèches.
Le point commun entre toutes ces préoccupations est qu’elles sont perceptibles presque au quotidien. Mais malgré ces signaux réguliers, l’environnement n’est pas un sujet politique majeur en République tchèque. Le budget du ministère de l’Environnement est particulièrement fluctuant, pouvant varier du simple au double d’une année à l’autre, et l’avenir de la planète est loin d’être au cœur des débats. La République tchèque avait été, rappelons-le, le dernier pays membre de l’Union européenne à ratifier l’Accord de Paris sur le Climat, près de deux ans après sa signature.