L’Histoire des homosexuels tchécoslovaques
Doctorant à l’Université Charles de Prague, où il effectue des recherches sur l’histoire des homosexuels sous la première République tchécoslovaque, Jan Seidl répond aujourd’hui à nos questions. Le sujet n’a jamais été vraiment abordé. Il révèle aussi bien des surprises.
« Je ne m’occupe pas seulement des aspects législatifs du mouvement d’émancipation homosexuelle sous la première République, je m’intéresse aussi au quotidien des communautés homosexuelles tchécoslovaques de cette époque. Pour moi, le cas de la première République est le plus intéressant à étudier. C’était en effet un Etat démocratique avec une société civile assez développée, les conditions étaient réunies pour qu’un mouvement d’émancipation homosexuelle se développe. »
« Ce fut justement le cas dans les années 1930. Principalement concernée, la ville de Prague. Là, existait un groupe qui n’était pas trop important, une dizaine ou une vingtaine de personnes, qui éditèrent leur revue pendant quatre ou cinq ans. Cette revue s’appelait : "La Voix d’une Minorité sexuelle". Elle était distribuée aux intéressés dans toute la République. Outre la revue, ils réussirent à obtenir l’autorisation officielle de former une association dont le but explicite était de lutter pour l’abolition du paragraphe 129 du code pénal. Celui-ci prévoyait une peine de prison d’un à cinq ans pour homosexualité mais dans la pratique, le tribunal invoquait le plus souvent des circonstances atténuantes et la peine moyenne de prison était de trois mois ».
Quand est-ce-qu’est aboli ce paragraphe 129 du code pénal tchécoslovaque ?
« L’abolition du paragraphe discriminatoire n’est intervenue qu’en 1961, donc sous le régime communiste, à un moment où la société civile n’existait pas. En fait, si le Parti communiste décida de décriminaliser l’homosexualité, ce n’était pas grâce aux efforts des homosexuels eux-mêmes mais grâce aux médecins qui ont persuadé les dirigeants d’opérer ce changement législatif. »
« A l’époque, l’homosexualité était considérée colmme une maladie psychique. Dans les années 1950, se déroulèrent, en Tchécoslovaquie, des expériences médicales en vue de traiter l’homosexualité. Elles se déroulaient à l’Institut de recherche psychiatrique à Prague. Le psychiatre Kurt Freund a alors réalisé que l’homosexualité ne pouvait pas se guérir ! Il est alors devenu l’un des principaux militants médicaux pour la dépénalisation de l’homosexualité dans les années 1950 et 1960. »« Un incident célèbre s’est produit en 1965 à Prague. Au mois de mai, se tint, comme chaque année – c’est une tradition tchèque – la fête des étudiants. Cette année-là, le poète américain Allen Ginsberg avait été autorisé à participer à cette fête, dont il avait d’ailleurs été élu roi, c’était aussi une tradition. Mais les services secrets tchécoslovaques apprirent que Ginsberg avait noué une relation érotique avec un jeune Tchèque. L’Etat tchécoslovaque a utilisé ce prétexte pour expulser Ginsberg du pays, ce qui a d’ailleurs provoqué un petit scandale international. Cela prouve en tout cas que, malgré la fin de la criminalisation, le régime n’était pas prêt à accepter vraiment la réalité homosexuelle. »Les homosexuels tchèques ont-ils été déportés en masse sous l’occupation nazie ?
« Sous l’occupation nazie, coexistaient deux cadres légaux. Les personnes de nationalité allemande vivant dans le Protectorat étaient considérées comme citoyens du Reich. A ce titre, elles relevaient du droit allemand. Par contre, les habitants tchèques étaient juste considérées comme appartenant au Protectorat. Pour eux, c’était l’ancien droit tchécoslovaque qui était applicable. Donc, lorsqu’ils s’agissait des homosexuels de nationalité tchèque, les dispositions pénales étaient beaucoup moins sévères que celles appliquées aux Allemands. Bien sûr, il y eut de nombreux homosexuels incarcérés mais les Tchèques n’étaient pas déportés dans les camps de concentration mais détenus dans des prisons, disons, plus ou moins "normales". Etrangement, le Protectorat de Bohême-Moravie constituait une sorte d’îlot pour les homosexuels, avec un régime relativement indulgent. »Jan Seidl publiera bientôt une partie de ses recherches dans le cadre d’un collectif d’historiens. Cela a commencé il y a deux ans, lorsqu’il a organisé un colloque international, réunissant une vingtaine de chercheurs de l’Université Charles. Tous ont accepté d’apporter leur contribution à un domaine encore très peu étudié. La publication à venir constituera la première étude aussi complète sur l’histoire des homosexuels tchécoslovaques.
« Il s’est avéré impossible d’en faire un seul livre. Nous avons donc décidé d’en éditer trois et tous devraient être publiés cette année, en 2011. Le premier volet est une monographie collective sur l’histoire culturelle de l’homosexualité en pays tchèques. Soit les œuvres des artistes homosexuels : écrivains, peintres, cinéastes, dramaturges... Egalement prises en compte : les œuvres dont les auteurs n’étaient pas homosexuels mais dont le sujet était abordé sous un point de vue particulier. Le deuxième livre parlera des efforts d’émancipation sociale et législative du XIXe siècle jusqu’à nos jours. Le troisième volet abordera des sujets aussi variés que la persécution mais aussi le quotidien des homosexuels, dans le passé et dans le présent. Au total : des études et historiques et sociologiques, qui traitent du passé mais aussi du présent. »Loin d’être une fin en soi, la publication des ces recherches devrait, espère Jan Seidl, motiver d’autres travaux dans le futur et ouvrir de nouvelles portes.