Un Centre de la mémoire queer pour familiariser le public avec les minorités LGBT

Centre de la mémoire queer, photo: Facebook de Společnost pro queer paměť

Début juin, la Société pour la mémoire queer a ouvert un Centre de la mémoire queer dans le IVe arrondissement de Prague. Après la récente publication en avril dernier d’un guide intitulé « Queer Prague » qui retrace l’histoire de la communauté LGBT (lesbienne, gaye, bisexuelle et transsexuelle) dans la capitale tchèque du XIVe au XXe siècle, ce centre entend être un lieu d’exposition ouvert au grand public ainsi qu’un lieu de recherches sur la question des minorités sexuelles. Radio Prague s’est entretenu avec Jan Seidl, spécialistes de ces questions.

Jan Seidl,  photo: Kristýna Maková
Jan Seidl, bonjour. Vous êtes historien et nous nous trouvons dans le Centre de la mémoire queer où vous venez de lancer une exposition consacrée à l’histoire de l’homosexualité.

« Nous avons ouvert début juin ce centre qui est une petite pièce d’une quarantaine de mètres carrés, dans le IVe arrondissement de Prague. Le but de notre association, Společnost pro queer pamet (Société pour la mémoire queer), était d’ouvrir un espace à Prague qui puisse servir d’un petit musée de l’histoire des identités non-hétérosexuelles dans le contexte tchèque et qui puisse aussi nous servir de bureau, d’état-major pour nos recherches dans l’histoire LGBT, dans l’enregistrement de la mémoire des générations d’un certain âge déjà. »

Cela veut dire que vous recevez des gens et que vous enregistrez leurs témoignages. C’est aussi un projet d’histoire orale…

« Oui, c’est cela. Et comme on peut le voir, il y a des bibliothèques qui accueillent nos livres, nos archives. Cet espace a donc une vocation multiple. C’est un espace de recherche et de présentation pour le grand public. »

Centre de la mémoire queer,  photo: Facebook de Společnost pro queer paměť
Est-ce que vous vous êtes inspirés de ce qui peut se faire à l’étranger ? Y a-t-il des centres similaires ailleurs en Europe ?

« Oui, il y en a quelques-uns. Je citerais le Schwules Museum à Berlin qui fonctionne déjà depuis 30 ans, puis un centre à Vienne qui s’appelle QWien. Il y a d’autres musées aux Etats-Unis. Tous ces instituts à l’étranger, dont on connaît certains, nous ont servi d’inspiration pour essayer d’ouvrir quelque chose de similaire en République tchèque. »

Pouvez-vous nous présenter cette exposition ? Quels sont les grands thèmes abordés ?

« Il y a quatre thèmes autour desquels nous avons organisé cette exposition. Ce sont l’identité, le quotidien, la persécution et l’émancipation, ce qui correspond grosso modo aux grands axes autour desquels se sont déroulées les recherches académiques sur l’homosexualité, ces quinze dernières années. On présente ici dans cette exposition un résumé des résultats des recherches menées jusqu’à présent. Nous espérons que la fréquentation de notre centre par le public et aussi par les personnes LGBT elles-mêmes va les inciter à nous faire don d’objets gardés par ces personnes, qui n’ont plus d’usage pratique mais qui peuvent illustrer des aspects de vie quotidienne des individus non-hétérosexuels dans le passé. »

Photo: Filip Jandourek,  ČRo
Pour les pays tchèques comme dans de nombreux pays, il y a eu une longue période de criminalisation de l’homosexualité. Evidemment cela a beaucoup changé heureusement. Quand s’est opéré le changement dans les pays tchèques ?

« Du point de vue légal, la décriminalisation des actes sexuels entre les personnes du même sexe est intervenue en 1961, donc sous le régime communiste. Mais il faut dire que c’était une décriminalisation entre guillemets, car le régime, s’il a ôté ce délit du code pénal, il a quand même continué à interférer dans la vie personnelle des gens par d’autres moyens, notamment par les organisations syndicales qui étaient explicitement chargées de surveiller la morale de leurs membres. C’était donc une décriminalisation partielle seulement. »

Aujourd’hui, en République tchèque, quelle est la situation notamment par rapport à d’autres pays d’Europe centrale comme la très catholique Pologne ? Est-ce que la société a une attitude plus positive vis-à-vis des communautés homosexuelles ?

« Probablement oui. En ce qui concerne la situation légale, on peut, depuis plusieurs années, conclure un pacte civil en République tchèque. Je ne sais pas si la société en général se montre positive vis-à-vis de la communauté homosexuelle ou bien plutôt indifférente. Certains collègues disent que c’est plus de l’indifférence de la part de la société majoritaire, qu’une attitude bienveillante de façon explicite. Mais cela constitue déjà une différence par rapport à la Slovaquie. Comme vous le savez peut-être, il s’y est tenu un référendum il y a quelques mois pour savoir s’il fallait ancrer dans la Constitution une interdiction du mariage homosexuel. Ce référendum a été provoqué par des mouvements ultra-catholiques. De façon peut-être surprenante, les électeurs slovaques se sont abstenus de participer à ce référendum dans une telle mesure qu’il n’était pas valable et qu’il était clair que cette abstention était l’expression de leur volonté de ne pas vouloir légiférer en ce sens, contre la communauté homosexuelle. »

Est-ce que le mariage pour tous, un des grands thèmes en France récemment, est une des revendications des communautés homosexuelles en République tchèque ?

« Pour l’instant non. Maintenant, ce qu’on revendique en République tchèque, c’est la possibilité pour les couples homosexuels qui élèvent un enfant, qui est l’enfant biologique d’une des personnes, que l’autre partenaire (qui n’est pas le parent biologique) puisse adopter l’enfant et avoir une relation juridique vis-à-vis de ce dernier. Ce n’est pas possible pour l’instant, or cela pose des problèmes pratiques réels dans la vie de ces couples. »

Photo: ČT24
Revenons à cette exposition. Nous en parlions tout à l’heure hors micro. On se trouve près du panneau intitulé Persécution. S’y trouve une photo où l’on peut reconnaître Rudolf Brazda. Rappelons que Rudolf Brazda était originaire de Tchécoslovaquie, mais a grandi en Allemagne. Il s’est retrouvé en Alsace après la guerre, après être passé par le camp de Buchenwald. Il a été ce qu’on appelle « Triangle rose », c’est-à-dire persécuté par les nazis pour son homosexualité. Il est décédé il y a quelques années et était le dernier témoin vivant de la déportation des homosexuels. Radio Prague doit d’ailleurs s’entretenir dans peu de temps avec Jean-Luc Schwab qui a écrit sa biographie. Hors micro, vous me disiez justement que les photos de Rudolf Brazda sont intéressantes à certains égards…

Rudolf Brázda,  photo: ČT24
« J’étais très heureux que Jean-Luc Schwab nous ait envoyé certaines copies de photographies de M. Brazda. Nous en avons utilisé une dans ce panneau explicatif pour montrer qu’en Tchécoslovaquie également, il y avait des personnes qui ont été déportées par les nazis et qui ont porté le triangle rose. Ce genre de déportations, d’après les connaissances que nous avons aujourd’hui, s’est produit uniquement dans les Sudètes, pas sur le territoire du Protectorat où le dispositif mis en place par l’occupant contre les homosexuels était différent. On n’a pas pour l’instant répertorié un seul cas de déportation pour homosexualité dans le Protectorat. Mais dans les Sudètes, c’était le cas, et Rudolf Brazda en a été une des victimes. Ce qui est intéressant, c’est qu’il existe d’autres photos de M. Brazda, de la période de l’entre-deux-guerres, prises à Karlovy Vary, où il a vécu juste avant l’éclatement de la guerre. Elles le montre dans des situations quotidiennes avec son partenaire de l’époque. Ce sont des photos uniques dans le contexte tchèque ou tchécoslovaque qui montre un couple homosexuel dans une situation de vie quotidienne sous la Première république. De ce point de vue, le legs de M. Brazda est très important, en plus de son témoignage de déporté. »