« L’histoire d’un gland qui va réussir »
Présenté récemment dans le cadre de la 25e édition du Festival du film français, « Le Chêne » (« Srdce dubu » en tchèque, soit « Le cœur du chêne ») est dans les salles tchèques depuis jeudi dernier. Montrant, au fil des quatre saisons et avec tous ses habitants, une année de la vie d’un vieux chêne, ce film est davantage un récit d’aventures qu’un véritable documentaire. Présent à Prague, son co-réalisateur et producteur Michel Seydoux en a dit davantage, au micro de Radio Prague International, sur cette « ode poétique à la vie et à la nature ».
« Prague est une ville que j’aime beaucoup, que j’ai découverte d’abord avec le cinéma il y a très longtemps avec Nikita Michalkov (pour le tournage du Barbier de Sibérie), puis aussi avec le football (quand Lille, club dont il a été le président, a affonté le Slavia en coupe d’Europe). C’est donc un honneur d’’être invité à ce festival, surtout pour y présenter un film sorti en France il y a bientôt un an et dont j’espère qu’il rencontrera du public en République tchèque aussi. »
Pourquoi ce choix de tourner un film autour d’un chêne ?
« D’abord, j’ai des atomes crochues avec la forêt, je dirais que je suis presque né dedans. J’ai non seulement une passion pour la nature, mais c’est aussi en me promenant dans la forêt que je me suis toujours ressourcé. »
« Au départ, Laurent Charbonnier (le second réalisateur avec Michel Seydoux) avait commencé par un film qui s’appelait ‘L’Arbre de Noé’, mais qui était plutôt un catalogue exhaussif de toutes les espèces qui vivent sur un arbre. Mais dans mon expérience cinématographique, j’ai toujours insisté sur le fait que pour qu’un film existe, il faut qu’il raconte une histoire. Nous avons donc d’abord écrit un scénario, même si nous avons dû procéder à l’envers, car nous avions les acteurs avant le scénario. Il y a énormément de beaux chênes en Europe, mais celui-ci nous plaisait plus particulièrement parce qu’il se trouve au bord de l’eau et que même s’il n’est pas spécialement beau, c’est un classique que l’on retrouve un peu partout. Il a un côté très naturel qu’il est intéressant de mettre en valeur. C’est en quelque sorte un être ordinaire parmi des êtres extraordinaires. »
« La production de ce film est une aventure de cinq ans. J’ai rencontré Laurent Charbonnier quelques semaines après avoir vendu le LOSC (le club de foot de Lille, en 2016). C’est donc un retour à la nature après quinze ans de vie très trépidente dans le monde du sport. »
Comment présenteriez-vous ce film documentaire qui n’en est pas tout à fait un ?
« C’est un film d’aventures. C’est une aventure d’une année avec des habitants qui se rencontrent et vivent ensemble. C’est toute cette biodiversité que nous montrons en faisant en sorte d’en faire un film à suspense avec des scènes inattendues et surprenantes. Alors, oui, c’est un documentaire dans le sens où le film s’inspire de faits réels. Mais c’est raconté comme un film qui passe très vite puisque, en l’espace de 80 minutes, vous voyez les quatre saisons qui passent. »
« C’est aussi cinq ans de travail, quatorze semaines de tournage, quarante-deux semaines de montage, avec le pari de faire un film sans paroles, qui fait appel aux sens du spectateur pour l’emmener dans un voyage initiatique en forêt avec, donc, comme élément principal un arbre et son écosystème. »
Dans le film apparaissent des animaux de la forêt que l’on connaît bien, mais aussi d’autres, notamment certains insectes, beaucoup moins. Est-ce un appel à regarder et observer davantage autour de soi ?
« Nous avons eu comme partenaire notamment le Muséum national d’histoire naturelle et c’est son directeur qui m’a expliqué que, aujourd’hui, pour apprendre, il fallait émerveiller. Il faut arrêter de culpabiliser les gens pour qu’ils aient une autre attitude vis-à-vis de la nature et plutôt donner envie de la regarder différemment. Notre film est donc une proposition, une invitation à se laisser embarquer dans une sorte de conte. Beaucoup de gens, après avoir vu le film, m’ont dit que c’était un merveilleux voyage. »
« C’est ce que nous proposons : admirer les choses et rencontrer des animaux que l’on connaît peu, parfois parce qu’ils sont trop petits. Le balanin, par exemple, mesure un demi-centimètre même avec son énorme trompe. Pour autant, nous avons tous, au moins une fois dans nos vies, ramasser des glands avec un petit trou dedans, sans savoir qu’ils avaient été percés par ce petit charançon qui pond à l’intérieur de sorte que ces glands ne deviendront jamais des chênes. »
« Quand je racontais le film aux enfants avant sa projection, je leur disais donc que le film raconte l’histoire d’un gland qui va réussir. »
Comment les enfants réagissent-ils à ce film ?
« Un de mes premiers spectateurs a été mon petit-fils de 3 ans. Il y a quelques semaines, je l’ai aussi présenté à un millier d’enfants à Rome. Dans la salle, ils ont vécu une véritable aventure en forêt. Ils trépignaient ou criaient à chaque fois qu’il se passait quelque chose. Ils tremblaient quand les mulots risquaient d’être inondés ou quand les petits oisillons voyaient le serpent s’approcher et que la branche casse... Il y a eu mille cris dans la salle ! »
« Il y a des tas de réactions aussi parce que, comme il n’y pas de voix de narrateur pour les emmener, chacun d’entre nous fait son propre voyage. Il n’y a personne pour nous dire ‘regarde ça ou regarde là’, chacun voit ce qu’il a envie de voir. Mais on a l’impression que les enfants comprennent tout et qu’ils n’ont pas besoin de plus. »
Certains publics réagissent-ils cependant différemment ?
« Oui, et c’est très intéressant. Le film a connu un très beau succès par rapport à la situation compliquée dans les cinémas en France avec la baisse de la fréquentation. Nous avons eu un public très rural, parce que les écologistes des villes ne savent pas ce qu’est la nature. Tandis que les gens qui vivent à la campagne, qui ne se disent pas écologistes mais ont un sens différent de la nature puisqu’ils en sont quelque part protecteurs, ont adoré le film. »
« Ce monde de la ruralité n’a donc pas du tout la même approche que celui de la domination et de la finance. Ce film est un moment d’évasion qui rassemble à la fois les personnes plus âgées et les très jeunes. Nous avons dépassé les 200 000 entrées scolaires en France, et c’est merveilleux de voir les grands débats que le film suscite. C’est là aussi, modestement, une des ambitions du film : transmettre des émotions sans que l’on doive juger du bien et du mal. »
Personnellement, comment ressort-on de cinq ans de travail avec un arbre ?
« La patience a été notre meilleur ami. Il a fallu attendre et encore attendre pour que se passe ce qui était écrit. Il faut attendre le bon moment, car il peut y avoir la bonne action des animaux, mais pas la bonne lumière... Et puis il faut toujours être prêt à réagir. Notre chance a donc été la proximité, Laurent habitait à un kilomètre de l’arbre, ce qui lui a permis d’être réactif dès qu’il y avait par exemple un phénomème météorologique intéressant. »
« Et puis notre deuxième chance est que comme c’était pendant la période de confinement, nous avons pu tourner une forêt sans aucune pollution. Pas de tronçonneuses, pas d’avions, pas de voitures, même pas de promeneurs... Cela paraît idiot, mais cela change tout. Cela donne une sérénité aux prises de vue et les animaux eux-mêmes étaient moins dérangés, comme plus ‘naturels’. Donc, voilà, ce film a été une vraie leçon de patience. »