Liberté de la presse : les organisations européennes inquiètes de l’évolution de la situation en Tchéquie

Photo illustrative: Archives de Radio Prague International

Les représentants de quatre organisations européennes de journalistes ont effectué, début octobre, une mission en République tchèque pour se faire une idée de l’évolution de la liberté de la presse dans le pays. Et comme le confie Mogens Blicher Bjerregård, président de la Fédération européenne des journalistes (FEJ), dans un entretien accordé à Radio Prague International, c’est plutôt inquiets par une situation qu’ils estiment fragile qu’ils en sont repartis.

Photo: LinkedIn de Mogens Blicher Bjerregård
La République tchèque compte parmi les pays en Europe dans lesquels la protection de la liberté de la presse s’est notoirement dégradée dans un passé récent. En l’espace de seulement cinq ans, elle a chuté de vingt-sept places au classement établi chaque année par Reporters sans frontières. La République tchèque ne figurait ainsi plus qu’en 40e position au classement 2019, en tête duquel figurent de nouveau les pays nordiques. Mogens Blicher Bjerregård précise quels sont les principaux motifs d’inquiétude :

« Nous sommes préoccupés par le fait que le Premier ministre Andrej Babiš possède aujourd’hui de facto quelque 30% des medias privés, par l'influence croissante exercée par le Parlement sur les médias du service public et par le fait qu’il n’existe que peu de médias locaux et régionaux. »

Entre journalistes, éditeurs, politiciens et autres professeurs d’université, les représentants de ces quatre organisations européennes ont rencontré quatorze acteurs de la scène médiatique tchèque deux jours durant.

« Nous avons été confrontés à une forme de démission parce qu’il sera de plus en plus difficile pour les journalistes de continuer à croire que l’on peut faire la différence en République tchèque, et je trouve cela très effrayant pour la profession. Certains journalistes ne voulaient pas parler avec nous par crainte de licenciement. Nous avons évoqué de nombreux problèmes et c’est pourquoi nous avons accepté que les informations clés nous soient communiquées sous couvert de l’anonymat. C’était très important. »

Mogens Blicher Bjerregård affirme avoir été le témoin d’une évolution se rapprochant de celle observée dans d’autres pays d’Europe centrale où la liberté de presse est plus que jamais menacée :

Photo illustrative: Kristýna Maková,  Radio Prague Int.
« La situation est fragile effectivement, et si rien ne change, il existe un risque de la voir évoluer en République tchèque dans le sens de celui de la Pologne ou de la Hongrie. Certes, les situations diffèrent selon les pays, mais c’est là un risque très grave. »

Le président de la FEJ se veut aussi toutefois optimiste. Avec ses collègues du Syndicat des journalistes de République tchèque, de l’ Union européenne de radio-télévision, de l’Association des éditeurs nordiques et du Centre pour le pluralisme et la liberté des médias, qui participaient eux aussi à la mission, il estime que des solutions restent possibles pour que cette « situation fragile »évolue malgré tout dans le sens espéré :

« Je crois qu’il convient de trouver des investissements indépendants qui permettent l’existence à la fois d’un journalisme d’investigation et d’un journalisme local. Ces investissements peuvent être publics, c’est possible comme on l’a vu dans d’autres pays. Mais ils peuvent aussi être privés ou internationaux, par exemple en provenance de l’Union européenne. Mais il faut d’abord que les journalistes et les éditeurs, ou les médias plus généralement, agissent ensemble. Et bien sûr il faut fonder un conseil de presse indépendant. »

En matière de liberté de la presse, les pays nordiques sont souvent cités en modèles. Depuis dix ans, la Norvège, la Suède ou encore la Finlande occupent les premières places du classement de Reporters sans frontières. Mogens Blicher Bjerregård résume pourquoi ces pays se démarquent des autres :

Photo illustrative: Karolina Grabowska,  Pixabay,  CC0 1.0 DEED
« C’est difficile de citer un modèle moyen, mais par exemple au Danemark, plusieurs médias privés appartiennent à des fonds indépendants. Le surplus d’argent est réinvesti par les médias par exemple dans les innovations, etc. En Norvège, il existe un très bon environnement pour la coopération entre les médias, tandis que l’Islande a elle préparé une nouvelle législation relative au support public des médias privés. Ceci dit, les médias locaux ont eux aussi des problèmes. Je pense qu’on peut affirmer qu’il existe une sorte de modèle nordique ou tout du moins c’est ce à quoi tend le Centre des journalistes nordiques basé à Aarhus. »

Sur ce dernier point, le rapport établi au terme de cette mission (cf. : https://europeanjournalists.org/wp-content/uploads/2019/10/Czech-Republic-fact-finding-mission.pdf) mentionne la création récente de la Fondation pour un journalisme indépendant (NFNŽ), dont les subventions restent toutefois encore « insuffisantes pour assurer la durabilité de nouveaux médias innovants », et appelle hommes d’affaires et entrepreneurs à investir dans les médias indépendants, comme l’ont fait les fondateurs de la NFNŽ.