Livres pour enfants : Rudolf Lukeš édité en Tchéquie, réédité en France
Qui était Rudolf Lukeš ? Les livres animés de cet illustrateur ont longtemps été connus de milliers d’enfants tout autour du monde mais, un peu paradoxalement, pas des enfants tchèques. Interdit par le régime communiste, Rudolf Lukeš n’a jamais pu publier ses ouvrages dans sa propre patrie. Il a fallu attendre 40 ans après sa mort et presque 27 ans après la Révolution de velours pour que quatre de ses livres sortent finalement pour la toute première fois en République tchèque. Parallèlement, une réédition est également en préparation en France.
Rudolf Lukeš, un artiste oublié dans son pays natal
Né le 20 avril 1923, Rudolf Lukeš est à l’origine un décorateur de film. Né d’une mère juive, il est contraint, au début de la Deuxième Guerre mondial, de s’enfuir avec sa famille vers le Royaume-Uni où il coopère avec la résistance tchécoslovaque. De retour dans son pays natal, il commence à travailler dans les célèbres studios de cinéma Barrandov en 1946. Il participe, tout d’abord comme assistant, ensuite comme décorateur en chef, à la réalisation de nombreux films aux côtés de grands cinéastes tchécoslovaques de l’époque.
Sa vie change radicalement après la prise du pouvoir par les communistes en 1948. Rudolf Lukeš refuse d’intégrer le parti, une décision qui lui vaut d’être interdit d’exercer son activité dans l’industrie de cinéma. Il doit quitter les studios Barrandov et n’a même pas le droit de terminer le travail commencé. Pendant des années, l’artiste travaille donc en tant que calligraphe au Musée technique de Prague.
En 1960, la maison d’édition Artia, qui publie des traductions de livres tchèques à destination de différents pays étrangers, lance un concours pour trouver un nouvel illustrateur de livres pour enfants. Rudolf Lukeš, qui y participe anonymement, le remporte et se lance dans la création de livres animés, désignés parfois également sous le nom anglais de « pop-ups ». Jamais publiées en Tchécoslovaquie, ses œuvres voient ainsi le jour dans un grand nombre de pays, dont par exemple l’Allemagne, la France, l’Italie, l’Espagne, ou encore la Chine. Elles rencontrent un succès particulier notamment au Royaume-Uni. La reine Elisabeth II vient ainsi admirer en personne les illustrations de cet artiste tchèque lors de l’ouverture du salon du livre à Londres et elle invite Rudolf Lukeš à un dîner au palais de Buckingham. Parallèlement, un emploi lui est offert dans des studios de cinéma britanniques, une proposition qu’il doit néanmoins refuser afin de pouvoir retrouver sa femme et son fils qui n’ont pas le droit de quitter la Tchécoslovaquie.A la fin des années 1960, Rudolf Lukeš subit une première congestion cérébrale et reste partiellement paralysé du côté droit. Pourtant, il n’accepte pas de renoncer à son travail et apprend à dessiner avec la main gauche. Il meurt d’une deuxième congestion cérébrale en 1976, alors que son nom a sombré dans l’oubli.
Mieux vaut tard que jamais : les livres animés de Rudolf Lukeš sortent enfin en Tchéquie et en France
Il faut attendre 27 ans supplémentaires après la chute de l’ancien régime pour que quatre de ses livres animés, bien que créés il y a plus de 50 ans, soient publiés pour la toute première fois en tchèque, chez les éditions Albatros. A cette occasion, une réédition est préparée également en Slovaquie, en Espagne, au Royaume-Uni, en Chine, et aussi en France. Sophie Giraud des éditions hélium, responsable de cette réédition française, présente ces ouvrages au micro de Radio Prague :« Il s’agit à chaque fois d’un animal qui est le héros du livre et qui présente d’autres animaux. Il y a donc ‘Chien et compagnie’, ‘Tortue et compagnie’, ‘Tigre et compagnie’ et ‘Lion et compagnie’. Dans chaque livre, il y a donc un premier animal qui ouvre le bal de plusieurs animaux, qui, sur chaque page, sont dans des animations à la fois très amusantes et très simples pour les petits. »
Pourquoi avez-vous décidé de publier Rudolf Lukeš ?
« En France, il y a eu depuis très longtemps des traductions du tchèque, notamment de plusieurs créateurs tchèques dans les années 1970. Le plus connu pour nous est évidemment Vojtěch Kubašta qui a bercé l’enfance de nombreuses personnes depuis les années 1970 et jusqu’à récemment. Il m’est donc apparu très intéressant de reprendre ces livres qui avaient eu une existence en France, il y a longtemps, mais qui étaient peu connus. Cette petite série de pop-ups de Rudolf Lukeš me paraissait donc intéressante car il s’agit d’une nouvelle collection de livres animés qui n’avaient pas eu autant de présence sur le marché français comme certains des livres de Kubašta. »Pensez-vous donc que Rudolf Lukeš peut attirer le public français ? Avez-vous peut-être même des échos de ce type ?
« Les livres vont sortir au cours du mois de l’octobre, donc je le saurai mieux en octobre. Mais il est vrai que pour l’instant on a des échos disant qu’il y a vraiment quelque chose de très charmant et aussi un peu ‘vintage’, si vous voulez. On est tellement étranger au style de cette époque-là qu’il peut séduire le public français. Il y a quelque chose d’un peu nostalgique pour nous puisqu’on a connu quand même quelques auteurs tchèques par le passé, et notamment des auteurs de livres animés. »
Le style des auteurs tchèques diffère peut-être aussi un peu du style des auteurs français ?« Alors, je crois qu’il y a eu des vagues différentes dans le domaine du livre animé. Jusqu’à récemment, il n’y avait pas beaucoup d’auteurs français de livres animés. Ma maison d’édition hélium a publié pas mal de nouveaux auteurs français qui font ce type de livres. Il y a donc un retour de l’intérêt vers le livre animé. Et aussi, les illustrations tchèques des années 1960/1970, qu’elles aient été utilisées dans les livres animés ou ailleurs, ont un style assez particulier auquel on revient et qu’on commence à reconnaître. Il y a un humour, les animaux sont traités de façon peut-être plus amusante que dans des livres animés créés par exemple par les Anglais ou par les Américains. Donc oui, il y a quelque chose de particulier. »
Albatros – hélium : une nouvelle coopération franco-tchèque dans le domaine du livre pour enfants
Envisagez-vous de publier prochainement d’autres livres de Rudolf Lukeš ou même d’autres auteurs tchèques ?
« Pourquoi pas. Moi, je marche par coup de cœur. Nous avons une maison d’édition qui publie une trentaine ou une quarantaine de livres par an. On fait toujours des choix très précis par rapport à ce que l’on aime à la fois graphiquement et aussi pour la manière dont ils s’inscrivent dans une histoire de la littérature jeunesse. Cet intérêt pour l’illustration tchèque est donc réel. Mais il faut aussi que j’aie des coups de cœur, il faut que j’aime mes livres pour les publier. En l’occurrence, j’étais aussi sensible à la destinée de ce créateur qui n’a pas pu signer et distribuer ses livres dans son propre pays pendant très longtemps. Je trouvais donc qu’il était intéressant de lui donner une présence à la fois en République tchèque, grâce aux éditions Albatros, et chez nous, en France. »Il n’y a donc pour l’instant aucun projet concret ?
« Pour Rudolf Lukeš, je suis intéressée par plusieurs autres livres qu’il avait faits. On est donc en train d’en parler avec Albatros. Et quant aux auteurs tchèques, quand je tomberai sur d’autres projets, je serai ravi de pouvoir les considérer. »
Sophie Giraud et sa maison d’édition hélium participeront par ailleurs prochainement à la 5e édition de Tabook, le célèbre festival littéraire international consacré aux petits éditeurs, qui se tient à Tábor, en Bohême du Sud, en fin du mois de septembre :« A cette occasion, je vais voir les éditeurs d’Albatros. Je pense qu’ils me proposeront de nouveaux projets et qu’on les regardera tous ensemble. Nous aurons une table avec nos ouvrages et nous mettrons accent en particulier sur un créateur de livre animé français qui s’appelle Gérard Lo Monaco. Cet artiste, dont nous avons publié un livre à la rentrée, est également invité. Il y aura donc des échanges autour du livre animé. De plus, je pense que Gérard Lo Monaco était aussi très influencé par Vojtěch Kubašta et qu’il sera très content de rencontrer également d’autres auteurs tchèques. »
A noter encore que d’autres illustrations de Rudolf Lukeš paraîtront prochainement dans un recueil de poèmes de Pavel Žiška intitulé « Já mám kolo, ty máš kolo » (« Moi, j’ai un vélo, toi, tu as un vélo »), de nouveau aux éditions Albatros.