Une rêverie sur la Première République tchécoslovaque
« Les enfants me demandent souvent de leur dire quand j'ai commencé à écrire. Et je leur réponds: 'Au moment où j'ai appris à écrire'. » Tels sont les mots de Daniela Krolupperová (1969), auteure d'innombrables ouvrages pour enfants et adolescents. Dans son récent livre intitulé Labutí dům - La Maison des cygnes publiée aux éditions Mladá fronta, elle raconte l'ascension sociale d'une jeune fille et jette un éclairage flatteur et un peu nostalgique sur la vie sous la Première République tchécoslovaque.
Pourquoi écrire pour les enfants
Pour Daniela Krolupperová écrire pour les enfants est une vocation et un plaisir. « Pourquoi j'écris pour les enfants ? », dit-elle. « C'est un genre où je peux donner libre cours à toute mon imagination et où tout finit bien. Je n'écris pas des récits qui peuvent susciter de l'angoisse. Je pense qu'il est condamnable d'écrire pour les petits enfants des récits qui provoquent l'angoisse et la peur. Mes récits finissent donc toujours bien. »
Depuis 2003, Daniela Krolupperová n'arrête pas d'écrire et de publier des contes et des récits pour les jeunes qui ont déjà obtenu de nombreuses distinctions littéraires. Elle sait bien qu'il n'est pas facile d'attirer et de retenir l'attention des petits lecteurs mais elle insiste sur l'importance de la lecture dans la vie des enfants livrés aujourd'hui à toutes les séductions de l'audiovisuel :
« Les enfants aiment qu'on leur raconte des histoires et ils trouvent ces histoires dans les jeux vidéo. Chez les plus petits qui apprennent à lire, la lecture demande beaucoup d'efforts. On devient lecteur à peu près à huit ans, lorsqu'on arrive à automatiser les habitudes de la lecture, avant cet âge c'est une activité qui pose beaucoup de problèmes aux enfants. Mais il faut que les parents et l'école fassent l'effort d'amener les enfants à la lecture qui est la base de la pensée abstraite. Sans la pensée abstraite, le processus de création ne peut se développer chez l'homme. La lecture est donc extrêmement importante. »
Une évocation originale des années 1920
On peut dire que La Maison des cygnes est un roman historique d'un genre assez particulier. L'écrivaine a situé le récit à Prague dans les années 1920 donc dans la première décennie de l'existence de la République tchécoslovaque née après la dissolution de l'Empire austro-hongrois et qui a apporté dans la vie de ses habitants de nombreux changements et aussi de nouvelles possibilités. Le critique Petr Nagy résume le sujet du roman :
« Le leitmotiv de l'ouvrage est la mode pour laquelle se passionne dès la petite enfance Rézi, la jeune fille qui est l’héroïne du livre. L'histoire d'une jeune fille qui grandit dans les années 1920 sous l'œil affectueux de sa mère, une veuve vivant dans un vieil immeuble du quartier de Žižkov à Prague, rappelle par certains aspects les biographies des self-made-men classiques. »
Le récit commence en 1924 et le lecteur peut suivre en cinq étapes et sur une période de huit ans l'évolution de Rézi, une petite fille pauvre et timide qui cherche sa place dans le monde. Et son chemin semé d'embûches commence dans un immeuble délabré du quartier ouvrier pour aboutir après de nombreuses péripéties dans un salon de couture fréquenté par une clientèle élégante.
L'itinéraire d'une jeune fille pauvre et timide
Le père de Rézi est tombé sur les champs de bataille de la Grande Guerre et sa veuve lutte contre la pauvreté. Fille d'une couturière, Rézi apprend à coudre tout naturellement avec sa mère. Elle respecte et aime beaucoup cette mère qui a cessé de sourire après la tragédie familiale.
Intelligente, Rézi s'efforce de bien travailler à l'école et aussi à la maison pour aider sa mère. Pauvrement vêtue, elle n'arrive pas à surmonter sa timidité face à certaines jeunes filles de familles aisées qui se moquent de sa tenue. Elle lutte cependant contre sa timidité et s'engage comme femme de ménage dans un immeuble cossu ce qui est le point de départ de son ascension sociale. Petr Nagy remarque que ce destin individuel se déroule avec en arrière-plan une ville, une société et une époque :
« La Maison des cygnes n'est pas qu'un livre pour enfants très réussi dont le texte et même les illustrations peuvent être appréciés également par les adultes, mais c'est aussi un guide original à travers un chapitre important et souvent exalté de notre histoire. Certes, c'est un guide qui manque un peu d'esprit critique, mais il évoque une large palette d'aspects réalistes de Prague sous la Première république tchécoslovaque et nous amène non seulement dans des salons de couture à la mode, mais aussi dans des cafés, des cinémas et des théâtres. »
Le bonheur d'avoir une machine à coudre
Le premier grand exploit de Rézi est l'acquisition d'une machine à coudre en panne qu'elle acquiert grâce à un heureux concours de circonstances et que son ami Pavel parvient à réparer. Elle offre cette machine précieuse à sa mère à la veille de Noël et c'est un tournant décisif dans la vie de la famille. La machine permet à la mère et à sa fille de travailler beaucoup plus efficacement et leur situation matérielle s'en trouve rapidement améliorée.
Rézi est une couturière appliquée mais elle se découvre aussi un talent de dessinatrice de mode et ce don ne passera pas inaperçu. Elle a la chance de croiser sur son chemin une grande couturière avisée qui lui fait confiance, une vieille comtesse déchue de ses titres qui lui donne des leçons de langues et de bonnes manières, et aussi Pavel, un garçon doué pour la mécanique qui est toujours prêt à la dépanner. Le monde de la mode s'ouvre à elle et la vie commence à lui sourire. Petr Nagy conclut :
« Il ne nous reste qu’à souhaiter à l'héroïne sympathique du livre un succès bien mérité et peut-être même l'envier un peu pour son émerveillement ingénu et joyeux face aux nouvelles sensations et aux progrès de la civilisation humaine que nous considérons depuis longtemps comme tout à fait ordinaires. »
L'art de raconter des histoires
Orné de nombreuses illustrations de Eva Chupíková, le livre donne une image stylisée et élégante de toute une époque. On pourrait lui reprocher, certes, de proposer une image idéalisée, car la Première république eut ses hauts et ses bas et la chasse au bonheur à cette époque avait des gagnants mais aussi des perdants. Tout cela ne devrait cependant pas gâcher notre plaisir de lire ce conte dans lequel la bonté, la sincérité et l'application viennent à bout des obstacles et sont finalement récompensées. D'ailleurs, sans un tel espoir les fondements mêmes de notre société seraient ébranlés. Daniela Krolupperová connaît bien les secrets de l'art de raconter des histoires. Elle sait que dans le conte, la réalité est un ingrédient qu'il faut doser avec précaution. Elle connaît bien son jeune public :
« J'écris pour mes enfants mais aussi pour leurs camarades d'école qui me donnent parfois des suggestions sur les sujets que je devrais traiter dans mes livres. L'écriture est donc une grande joie pour moi et j'espère que cela donne un peu de joie aussi à ceux qui lisent ce que j'ai écrit. »