Lola vers la mer : « Un film universel avec une démarche militante »
Deuxième long-métrage du réalisateur belge Laurent Micheli, « Lola vers la mer » est sorti en salles en Tchéquie jeudi, distribué par la société Queer Kino, spécialisée dans le cinéma LGBT et qui collabore notamment avec le festival Mezipatra. « Lola vers la mer », c’est l’histoire d’une jeune fille transgenre qui retrouve son père à l’occasion des funérailles de sa mère. On devine que les relations entre ces deux êtres sont loin d’être faciles, le père, interprété par Benoît Magimel, s’obstinant à appeler Lola par son nom de garçon, Lionel. Le souhait de la mère disparue de voir ses cendres dispersées au bord de la mer est l’occasion pour Lola et son père d’un voyage à deux qui leur permet de renouer une certaine forme de communication après deux ans de silence. L’interprète de Lola, la jeune actrice transgenre Mya Bollaers était à Prague pour la présentation du film, accompagnée par le réalisateur Laurent Micheli qui a rappelé la genèse de son film au micro de RPI.
LM : « C’est né d’une double envie, d’une envie personnelle de me replonger dans mon passé, dans mon adolescence, dans les rapports que j’avais en tant qu’adolescent avec le monde adulte qui me semblait très peu enclin à évoluer. C’est une période un peu compliquée et j’avais envie de me servir de cette énergie contestatrice pour écrire un personnage. En même temps, c’est toujours intéressant de s’éloigner de soi quand on écrit et c’est ce que j’ai fait avec ce personnage de Lola. C’était l’envie de parler d’une minorité, de parler de personnes issues de la communauté LGBTQI+ car c’est quelque chose qui m’entoure depuis toujours, qui fait partie de mes luttes et de mes préoccupations au quotidien. Je trouvais qu’il n’y avait pas assez de représentation au cinéma des personnages trans. »
« Pour répondre à la question si j’ai voulu faire un film militant, oui et non. Non, car je pense que ce n’est pas si intéressant que ça comme démarche. Je pense qu’il faut que les choix à l’intérieur de l’histoire qu’on raconte soient des choix militants pour que ça devienne un objet artistique et politique, mais pas uniquement militant. Car ça ne m’intéresse pas, je suis un cinéaste, je fais de la fiction et je ne travaille pour une association qui lutte pour les droits des personnes trans - ce qui est très bien par ailleurs. Je n’ai pas le vécu d’une personne trans donc la démarche militante, c’est peut-être d’aller recueillir le plus de témoignages et d’informations possibles pour que l’histoire soit la plus juste, de travailler avec une actrice transgenre pour le rôle d’un personnage trans, ça ce sont des choix militants et politiques. Mais au contraire l’idée était de faire un film qui soit grand public, un film tourné vers un public qui ne soit pas un public acquis, qui ne connait pas forcément ce genre de réalité. C’est pour ça que l’idée de la famille est universelle. Plus qu’un film militant, l’idée était de faire un film universel avec une démarche militante qui soutient la chose. »
Justement, vous disiez que c’était important pour vous de faire jouer une actrice transgenre et non pas cisgenre. On pose beaucoup la question de la visibilité au cinéma. Peut-être qu’on en voit un peu plus dans les séries mais j’ai l’impression que le Septième art est passé à côté…
LM : « Surtout dans certains pays, dont la France et la Belgique, où c’est très en retard. Il y a des films qui continuent de sortir, comme un film labélisé Cannes avec Noémie Merlant qui joue le rôle d’un homme trans. Après, c’est une question très pointue, c’est compliqué. On est dans un moment charnière où les minorités doivent se réapproprier leur vécu, leurs histoires, et il faut qu’on leur permette d’être partie prenante des histoires qu’on raconte. C’était mon point d’honneur : ma démarche éthique était de ne pas m’emparer d’une histoire qui n’est pas le mienne et d’en faire n’importe quoi. Mettre un acteur ou une actrice cis me paraissait compliqué. Il faut travailler à la visibilité. C’est la même chose que la question des quotas pour les femmes. Ce sont des questions délicates car on n’a pas envie de choisir des personnes pour leur sexe ou leur genre mais en même temps, si on ne force pas un peu la machine à un moment, ça ne s’équilibrera jamais. »
Mya, vous êtes le visage de Lola dans ce film Lola vers la mer. Que pensez-vous de ces questions évoquées par Laurent Micheli ? Dans un monde idéal, on ne devrait pas avoir à choisir, tout le monde devrait pouvoir jouer tout le monde puisque le jeu d’acteur c’est se mettre dans la peau d’un personnage qui n’est pas nous-même. Quel est votre avis sur la question ?
MB : « Je suis assez d’accord avec ce que Laurent a dit. En effet, dans un monde idéal, tout le monde pourrait jouer tout le monde. Mais actuellement, on est à un moment charnière où les minorités, qu’elles soient de genre, ethniques, racisées ou autres, doivent pouvoir se réapproprier leur histoire, leur vécu. On est donc obligés de s’entourer, quand on écrit un film ou une série, de personnes qui ont l’expérience et le vécu que l’auteur n’a pas et encore mieux, de les faire jouer par des personnes directement concernées par la question. Pas tant pour une similitude d’expériences, mais plutôt pour une réappropriation culturelle, et de l’image aussi. »
Lola vers la mer est votre premier film en tant qu’actrice. Vous avez fait le casting un peu par hasard…
MB : « C’est une expérience qui dure deux mois, ce n’est pas trop dur de garder les pieds sur terre. Mon quotidien n’a pas vraiment changé. Fondamentalement, je suis la même personne et j’ai le même train de vie que j’avais auparavant. La chose qui change et qui évolue, c’est le rapport aux autres. J’ai sans doute gagné de la confiance en moi avec cette expérience. Cela m’a aussi permis de prendre conscience de mon corps et de mon image. On n’a pas forcément conscience de l’image qu’on peut renvoyer, et l’expérience de Lola vers la mer a été bénéfique pour moi, car elle m’a apporté la possibilité de me dire : j’existe, ce que je suis est aussi interprété et compris par des personnes. Les gens peuvent comprendre qui je suis. »
Comment vous êtes-vous préparée pour le film ? Dans le film, vous faites du skate-board, c’était nouveau pour vous ?
MB : « J’ai eu à peu près un an et demi de préparation pour le tournage. Pour le skate, mais également avec des coaches de comédie et d’interprétation, et une coach vocale pour l’accent. Le skate, c’était l’horreur, je n’ai pas du tout aimé ! Ce n’est pas trop mon milieu, j’ai eu un peu de mal et un peu peur, mais au-delà de cela, la question du skate et de l’endroit où je m’entraînais était importante : Lola, mon personnage, est proche de ce milieu, fréquente ces personnes-là. A travers ma propre expérience d’entraînement, j’ai pu enrichir, étoffer et nourrir le personnage de Lola qui, elle, est pleinement dans ce monde-là. »
LM : « C’est vrai que ce n’est pas évident d’apprendre le skate quand on n’en a pas envie. Mais j’étais souvent là, parce que je voyais la fragilité et la difficulté. C’est un milieu très particulier. C’était pour moi une façon de faire rentrer Mya dans le personnage. Elle apprenait à faire du skate, à monter sur une planche, mais il fallait aussi écouter la musique qu’ils écoutent, regarder la manière dont ils bougent, parlent. C’est aussi inspirant. C’était important aussi dans ce que cela racontait du personnage de Lola : l’idée était de sortir des codes d’une binarité bête et méchante. C’est une fille qui a été assignée garçon à la naissance, qui a fait du skate pendant toute son enfance et adolescence. Elle commence une transition mais il n’y aucune raison qu’elle arrête de faire du skate. L’idée était de décloisonner, de dire qu’on n’est pas dans une masculinité ou une féminité absolues. Ce sont des questions qui m’intéressent beaucoup personnellement. Je suis un homme, et plus j’avance dans la vie, plus je déconstruis des idées préconçues et culturelles de ce qu’est la masculinité – et via ce que j’écrivais, la féminité. C’est important de montrer des modèles féminins et masculins plus fluides. »
Dans le film, on comprend que la mère de Lola, qui vient de mourir, avait accepté la transidentité de son enfant. On a l’impression que ce sont surtout les femmes qui comprennent Lola, même s’il est vrai qu’au foyer où elle est hébergée, ses amis sont des hommes…
LM : « C’est aussi quelque chose que j’avais envie de raconter : l’idée de la sororité, de la solidarité entre femmes et entre minorités. C’est ce qui se joue aussi avec ses amis du foyer, qui sont un soutien. Je crois beaucoup à cette idée qu’il doit y avoir une forme de soutien et de solidarité entre minorités, il y a une convergence des luttes qui pourrait permettre qu’on reprenne le pouvoir… »
Le film est-il aussi destiné à des séances spécifiques pour un jeune public qui pourrait être réceptif à ces questions ?
LM : « Ce n’était pas l’idée de départ. Avec le Covid-19, les choses se sont un peu tassées. Mais je me rends compte que c’était bien parti pour qu’il y ait pas mal d’écoles et de professeurs montrant un intérêt pour projeter ce film dans un cadre pédagogique. Ce n’était pas sa vocation première mais c’est super ! En Belgique notamment, le film est rentré dans un circuit scolaire et c’est très bien ! »
La musique a une place importante dans Lola vers la mer : quel est son rôle et pourquoi avoir choisi les morceaux qu’on y entend, notamment ceux de musique classique ?
LM : « C’était important car j’ai cherché à faire exister le personnage de la mère qui est morte, en passant par différents petits moyens que je ne vais pas dévoiler. Mais il y a notamment cet épisode de l’IPod de la mère. La musique parle des gens et de qui ont est. C’était donc une façon de faire exister la mère. Ce qui est drôle, pour l’anecdote, c’est que les morceaux placés dans le film sont tous d’artistes queer. C’était totalement inconscient, mais c’est le cas, et ça me plaît bien ! »