L’ouverture du Centre de santé mentale, un premier pas vers la réforme des soins psychiatriques
Le premier Centre tchèque de santé mentale a été récemment ouvert à Prague afin d’apporter une aide complexe aux personnes atteintes de troubles psychiques. Le lancement de ces centres, dont le nombre devrait rapidement passer à une trentaine, voire à une centaine à plus long terme, constitue une première étape dans la réforme structurelle des soins psychiatriques.
Trois ans plus tard, le ministère de la Santé met les choses en mouvement. Si, outre les grands hôpitaux psychiatriques, un réseau d’ONG qui assurent une aide sociale aux personnes souffrant d’un trouble mental existe en République tchèque, l’Etat entend réformer en profondeur le système actuel en interconnectant les deux sphères concernées. Association qui se consacre à ce domaine depuis plus de vingt-cinq ans, Fokus fait partie des organisations qui participent à cette réforme. Dans un entretien accordé à Radio Prague, son directeur, Pavel Novák, dévoile quelques aspects des changements attendus :
« Le système actuel de soins aux patients repose sur les grands hôpitaux psychiatriques. Chez nous, ces hôpitaux sont les plus grands en Europe, ce qui n’est pas un constat positif. Nous avons des établissements avec plus de 1 000 lits, tandis que le standard européen est de quelque 150 lits. Le changement devrait donc mener au déplacement de ces soins dans les communautés afin que les gens ne doivent plus être enfermés dans ces grands hôpitaux impersonnels et qu’ils puissent recevoir des soins à domicile, que quelqu’un puisse venir chez eux et les aider à résoudre le problème si possible à la maison, avec leurs proches. »Afin de pouvoir aider les patients chez eux le plus vite possible et de manière à empêcher de possibles rechutes, il est indispensable d’introduire un système de travail sur le terrain. La réforme des soins psychiatriques devrait répondre à cette question en créant des centres spécialisés qui offriraient une aide complexe aux personnes souffrant de troubles psychiques, notamment après que ces dernières ont cessé les traitements de longue durée dans les hôpitaux.
Le premier Centre de santé mentale en République tchèque
C’est dans le 8e arrondissement de Prague, dans le quartier de Bohnice, qu’est donc né le premier Centre de santé mentale en République tchèque. Ce centre, installé dans le même bâtiment que l’association Fokus, fonctionne sept jours sur sept pour ses clients enregistrés, mais il est ouvert dans la journée également à tous les habitants du quartier, qu’ils suivent déjà une thérapie ou non. Il devrait ainsi représenter un maillon intermédiaire entre les longs séjours dans les hôpitaux, les urgences et les traitements ambulatoires, car, selon les experts, un contact plus fréquent et plus régulier avec les patients doit permettre aux médecins de mieux connaître leur état de santé et ainsi de mieux les soigner.Ce nouveau centre, créé grâce à un accord entre l’association Fokus et l’hôpital psychiatrique de Prague-Bohnice, annonce la futur naissance d’une trentaine de nouveaux Centres de santé mentale en première phase pilote, le nombre qui pourrait ensuite augmenter à une centaine à la fin de la réforme. Si les employés de ces deux établissements ont coopéré déjà auparavant, ce n’est que depuis le décembre dernier qu’ils forment une seule équipe. Pavel Novák poursuit :
« Ce qui est unique, c’est que cette équipe, nouvellement créée, est pluridisciplinaire. Il n’y a donc pas seulement des infirmiers et des médecins ou seulement des assistants sociaux, ils forment tous une même équipe. Ainsi, chacun apporte un aspect de sa profession qui pourrait aider les personnes qui se trouvent dans une crise. »
Les soins à chaque patient sont partagés parmi les membres de l’équipe, composée d’une vingtaine de personnes de divers domaines, qui traitent de ses possibilités de différents points de vue. L’occupation principale du personnel repose néanmoins sur le travail de terrain. Assistants sociaux, infirmiers, psychiatres, psychologues, tous les membres de l’équipe sont prêts à venir voir le client dans son domicile ou dans son travail pour lui assurer un meilleur soutien possible selon ses besoins :« Aider seulement dans le domaine de la santé ne peut pas fonctionner parce que la personne revient dans son milieu, doit résoudre des problèmes de caractère social et n’a personne à qui s’adresser. Nous avons réussi à collaborer sur ce projet avec l’hôpital psychiatrique de Prague-Bohnice, l’équipe est donc formée moitié par le personnel de cette clinique et moitié par les membres de l’association Fokus. C’est un système assez expérimental. Cette équipe travaille selon le modèle ‘recovery’ qui n’est pas encore très bien enraciné dans ce pays et qui s’efforce aussi d’aider la personne en crise à devenir un membre intégral de la société. »
Outre les visites à domicile, les clients mêmes peuvent venir, à n’importe quelle heure, au centre. Après moins de deux mois de son fonctionnement, le centre accueille actuellement entre 10 et 15 personnes par jour. Les locaux leur proposent de profiter d’une salle communautaire dans laquelle ils peuvent passer leur temps et discuter ou se reposer, ils peuvent néanmoins également venir chercher des renseignements utiles ou se donner un rendez-vous privé avec l’un ou l’autre membre de l’équipe, qu’il s’agisse de l’assistent social ou du psychothérapeute. L’objectif du travail de l’équipe est ensuite d’aider ces patients à résoudre leurs difficultés relatives aux finances, au logement ou aux autres situations de la vie quotidienne, autrement dit, de les aider à s’intégrer dans la vie normale et de leur permettre de devenir quasi-indépendants.Psychiatrie: un domaine stigmatisé
Si prédominent parmi les clients du centre des personnes ayant passé les soins de longue durée, le centre est ouvert à tous les habitants du quartier qui ont besoin d’aide. D’après Pavel Novák, ces derniers ne représentent néanmoins pour l’instant qu’une minorité :« Je pense que ce temps viendra encore et que les gens ont besoin de s’habituer que des établissements pareils existent et qu’ils peuvent demander leurs services. Bien sûr, la barrière qui persiste est due d’une part à la stigmatisation des personnes qui souffrent d’un trouble mental, d’autre part à la stigmatisation même du domaine des soins psychiatriques. Donc il est toujours assez compliqué de se décider à aller chez le psychiatre en République tchèque. »
C’est ce que confirme également une enquête menée en 2013 par l’Institut national de santé mentale et par la Faculté de Médecine de l’Université Charles de Prague, qui indique que seulement 15 % de Tchèques contre 56 % de Britanniques accepteraient de vivre avec une personne souffrant d’un trouble psychique, moins de 20 % Tchèques et 68 % de Britanniques pourraient travailler avec ces personnes et pour 13 % de Tchèques contre seulement 2 % de Britanniques interrogées, ce type de troubles représenterait une raison de séparation ou divorce.La réforme préparée vise à lutter contre la stigmatisation des personnes concernées et à changer la position négative de la population à l’égard des soins psychiatriques. Grâce à sa localisation hors du complexe de l’hôpital psychiatrique de Prague-Bohnice, au milieu des immeubles d’habitation, le Centre de santé mentale à Bohnice représente ainsi un premier pas vers le système européen :
« Des modèles similaires sont plutôt fréquents à l’étranger. Ils ont commencé à naître, il y a déjà 30 ou 40 ans. Néanmoins, la sphère dans laquelle nous avons une vraie chance et qui est unique, c’est la pluridisciplinarité dans la représentation du personnel. En ce moment, nous avons réussi à présenter un standard pour les centres de santé mentale selon lequel une moitié du personnel sont des professionnels de la santé et l’autre moitié des assistants sociaux. De plus, une partie intégrale de l’équipe est représentée par un « pair aidant », c’est-à-dire une personne qui a des expériences avec un trouble mental et avec des soins psychiatriques. Cette personne-là est très importante parce qu’elle peut devenir une sorte de personne de contact pour les futurs clients du centre et elle peut leur montrer qu’il est possible de gérer la maladie. Je crois donc que ce système pluridisciplinaire et l’emploi d’un pair aidant sont assez innovants même à l’égard de l’Europe et des soins psychiatriques modernes. »Différentes perspectives de la réforme
Si les experts demandent une réforme depuis des années, le domaine des soins psychiatriques souffre d’un sous-financement continuel. Son budget ne représente que 3 % de la somme totale destinée à la sphère de la santé publique. En comparaison avec la moyenne européenne qui s'élève à 8 %, la République tchèque est considérablement à la traîne. Bien que le processus de la réforme doive être financé par les fonds européens, la création d’une nouvelle structure dans les services relatifs à la santé mentale exige de changer complétement le système du financement durable de la part du ministère de la Santé. D’après son chef, Svatopluk Němeček, ce dernier pourrait s’effectuer à l’aide d’une redistribution de l’argent dans ce domaine, d’une meilleure coopération des compagnies d’assurance-maladie et d’un accord avec d’autres ministères. Le ministre a d’ailleurs confirmé que ces changements sont en négociations. La Caisse d’assurance maladie (VZP), pour sa part, s’avère prête à jouer un rôle clé.En 2016, une trentaine des Centres de santé mentale devrait être installé, les changements du système commenceraient ensuite à partir de 2020. Les trois premières étapes de la réforme préparée s’achèveront, dans le cas idéal, avant l’an 2023. La réforme devrait initier également la création des départements de psychiatrie dans les hôpitaux généraux, qui sont actuellement seulement au nombre de 30 sur quelque 200 établissements en République tchèque.