Société – Éducation : en Tchéquie, une santé mentale dégradée pour un élève de collège sur trois
Jusqu’à 40 % des élèves en neuvième année de l’enseignement primaire en Tchéquie (l’équivalent des classes de 3e au collège en France, soit la 4e année de l’enseignement secondaire) présentent des signes de dépression modérée à sévère, et 30 % des signes d’anxiété. Tel est le principal enseignement qui ressort d’une étude inédite dans le pays réalisée par des chercheurs de l’Institut national de la santé mentale.
Les données ont été recueillies à l’aide d’un questionnaire auprès de plus de 6 000 élèves âgés de 13 à 14 ans de toutes les régions du pays en mai et juin derniers. Selon l’Institut national de la santé mentale (NUDZ), il s’agit là d’un projet d’une ampleur inédite à l’échelle de l’Europe centrale et orientale.
Une étude dont les conclusions, plutôt inquiétantes, disent beaucoup sur nos modes de vie, l’état de nos rapports sociaux, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des familles, tant à l’école qu’en dehors de ses murs, et appellent, aussi, un certain nombre de mesures, notamment au niveau de la prévention. Les résultats montrent en effet que près d’un élève de neuvième année sur trois en Tchéquie aurait besoin d’une prise en charge spécialisée, comme le confirme le directeur du NUDZ, Petr Winkler :
« Les chiffres sont vraiment alarmants, mais ils reflètent assez fidèlement ce qui nous est rapporté au quotidien dans la pratique. Nous constatons chez les élèves davantage de blessures cutanées auto-infligées dans les écoles, de comportements suicidaires ou encore de dépressions. »
La photo obtenue avec l’ensemble des données récoltées permet de dresser un constat : un nombre relativement élevé de jeunes Tchèques souffrent de troubles psychiques. Par ailleurs, les situations de détresse sont deux fois plus importantes chez les filles que les garçons.
Selon les experts, la plupart de ces troubles et maladies mentales surviennent pendant l’enfance et l’adolescence, qui sont à la fois des périodes de risque accru et un moment important pour une intervention préventive et une prise en charge avant qu’il ne soit parfois trop tard.
Comme l’ajoute encore Petr Winkler, la pénurie chronique en Tchéquie de psychologues et de psychiatres pour enfants ne pouvant être résolue en quelques années, il convient donc de se concentrer plus spécifiquement sur la prévention dans le système de soins. La résilience en matière de santé mentale doit également être renforcée, selon lui :
« Il ne fait aucun doute que des phénomènes comme la société de l’information et les réseaux sociaux, l’accent mis sur l’individualité, la forte pression sur l’apparence des gens, sur leur réussite, sur ce qu’ils devraient être capables de faire, et ainsi de suite. Tout cela exerce une pression énorme sur la santé psychique des jeunes et des adolescents en particulier. »
Le problème touche également bien évidemment les adultes. Entre 2010 et 2021, le nombre de cas de dépression et d’anxiété a augmenté de plus d’un cinquième en Tchéquie. Pédopsychologue et spécialiste de la thérapie familiale au centre Calvea à Prague, Iva Hadj Moussa, interrogée par la rédaction anglophone de Radio Prague International, souligne que si beaucoup de jeunes se retrouvent en situation de détresse, c’est aussi souvent parce que les adultes qui les entourent y sont eux-mêmes et ne prêtent pas suffisamment attention à leur entourage :
« Les chiffres montrent que le taux d’anxiété et de dépression chez les enfants et les adolescents augmente. Il est difficile d’en expliquer la raison précise, car il s’agit généralement d’une combinaison de facteurs, dont notamment l’influence des parents, car ce sont souvent eux qui transmettent leur stress et leur anxiété aux enfants. L’école exerce également une pression considérable sur les enfants : on attend d’eux qu'ils soient performants non seulement à l’école mais aussi dans leurs loisirs. Les relations avec leurs camarades et la pression sociale peuvent entraîner des difficultés à se faire des amis et conduire à la solitude. Enfin, n’oublions pas l’exposition à une actualité et à des contenus médiatiques pénibles. Les facteurs sont nombreux, et c’est pourquoi il est très important que les parents et les personnes qui s’occupent des enfants soient attentifs et fassent le nécessaire pour les aider en cas de besoin. »
La réforme des soins psychiatriques en Tchéquie, dont la stratégie a été approuvée il y a dix ans avec le soutien des fonds norvégiens et européens, se poursuit. Cependant, avec seulement trois centres spécialisés dans la prise en charge des cas de crise psychique (deux à Prague et un à Brno), les capacités d’accueil restent insuffisantes, contrairement aux pays voisins comme l’Allemagne, l’Autriche et même la Pologne où il existe des réseaux de services plus étendus.
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Quant aux centres proposant des services de santé mentale axés sur le long terme, leur nombre s’élève actuellement à trente, alors que les experts estiment qu’il en faudrait environ trois fois plus.
En attendant que les diverses mesures de cette réforme portent leurs fruits, les résultats de l’enquête vont désormais être portés à la connaissance des participants tandis qu'une Plateforme de monitorage de la santé mentale sera créée. Celle-ci réunira les représentants des différents projets de collecte et d’analyse de données sur le sujet. L’équipe du NUDZ prépare également des publications destinées à une large communauté universitaire en Tchéquie et à l’étranger.