Lycéens français et tchèques font revivre la mémoire des enfants de Terezín
Direction Terezín dans le nord de la Bohême où un groupe de lycéens français et tchèques, se sont réunis autour d’un projet inspiré de Brundibar, un opéra du compositeur juif Hans Krása, assassiné par les nazis.
Une journée de fin d’octobre. Glaciale. Grise. A Terezín. Une météo qui ne permet même pas d’imaginer les conditions dans lesquelles ont vécu les milliers de personnes internées dans le plus grand camp de concentration du Protectorat de Bohême-Moravie pendant la Seconde Guerre mondiale.
C’est là qu’un groupe de lycéens français et tchèques se sont réunis pour une visite de l’ancien ghetto et du camp comme l’explique Virginie, élève du Lycée de Haguenau, en France :
« Nous sommes à Terezín et c’est pour un projet d’hommage à Brundibar et aux enfants de Terezín. Brundibar est une pièce qui retrace l’histoire de deux enfants qui cherchent du lait pour leur mère. Tout le monde leur tourne le dos et ce sera trois animaux, un chien, un oiseau et un chat qui leur viendront en aide. C’est un symbole d’espoir. »Brundibar, opéra créé par le compositeur Hans Krása et dont le livret a été rédigé par l’écrivain Adolf Hoffmeister. Brundibar, opéra d’enfants et pour les enfants, monté et joué au sein même du ghetto malgré les vagues de déportation des enfants vers une mort certaine. Brundibar, qui fut présenté au comité de la Croix-Rouge en 1944, venu constater les conditions de vie dans le ghetto, reparti en n’ayant pas voulu voir que ce « camp-modèle » des nazis n’était qu’un leurre. C’est autour de cette histoire incroyable que Michèle Werner-Jouart, CPE au Lycée de Haguenau, a monté un projet pédagogique avec plusieurs autres professeurs, avec des élèves de première et terminale, tous volontaires. Recherches autour de l’opéra et de l’histoire du ghetto de Terezín, choix de poèmes découverte du destin des enfants de Terezín dont il existe encore les dessins émouvants, comme l’a relevé Véronique Thiebold, professeur de français qui accompagne le groupe :
« Les dessins sont stupéfiants. Ce qui me frappe beaucoup, c’est de constater qu’il y a des dessins qui ont des couleurs. C’est quelque chose qui m’émeut particulièrement. C’est paradoxale et extraordinaire que malgré la noirceur qui les a environnés, il y a toute une part de féérie, de souvenirs des temps heureux qui transparaît. J’en reviens toujours à mon idée première : malgré l’horreur, je crois qu’il y a une espèce d’espérance. C’est en tout cas ce que j’ai essayé de retrouver avec mes élèves pour leur transmettre. »
Moment fort de la journée : la cérémonie où les élèves, français et tchèques, ont pu lire des poèmes, jouer de la musique, d’écouter des morceaux de Brundibar en mémoire des enfants de Terezín.
Hasard ou destin, ils ont eu la chance de croiser sur place le chemin de Marta Kottová, 81 ans, internée à l’âge de 12 ans à Terezín puis déportée à Auschwitz où elle a survécu par miracle. A Terezín, elle n’a pas chanté Brundibar, mais a assisté à toutes les répétitions :
« J’ai pleuré à l’époque et je vais encore pleurer aujourd’hui. Brundibar, c’est pour moi quelque chose que je n’oublierai jamais. C’est très dur d’en parler. Vous comprenez, c’est une berceuse... J’ai pleuré à l’époque parce que j’avais une maman, mais il y avait beaucoup d’enfants qui l’ont chanté et qui n’avaient plus de maman. Aujourd’hui, je vais encore pleurer, parce que je me dis : de quel droit ai-je pu baigner mon fils, mes petits-enfants, et même mon petit-fils maintenant, alors que ma mère ne m’a même pas vu grandir ? »
Pour Alexis, élève au Lycée de Haguenau, la visite de Terezín est plus qu’impressionnante et Lea, quant à elle, n’a pas hésité pour participer au projet dès le début :
« Je n’étais jamais allé dans un camp de concentration auparavant. Ca m’a profondémment marqué. J’étais très mal à l’aise à l’intérieur. Visiter un endroit comme celui-ci, ça montre que Terezín c’était certes un lieu d’horreur, mais que ça appartient au passé. Il ne faut pas oublier le passé, mais c’est un peu comme la première pierre d’une nouvelle construction, d’un avenir meilleur désormais, fondé sur le respect des autres. »
« Quand j’ai vu le thème du projet, tout m’intéressait, j’avais envie de découvrir plus. Et puis, le fait que cet opéra ait été monté par des enfants, ça crée quelque chose de plus émouvant. C’est une sorte de résistance par l’art, par la musique... »
Au commencement de ce séjour en République tchèque, qui se répète depuis déjà cinq ans un jumelage entre les lycées de Haguenau et le lycée PORG à Prague, qui s’articule depuis le début autour de projets thématiques sur lesquels les élèves français travaillent avec leurs professeurs. Andrea Vyskova est professeur de français au lycée praguois, elle rappelle l’origine de cette coopération :
« Je cherchais un lycée pour faire un échange et madame Werner du Lycée de Haguenau cherchait quelqu’un pour faire un projet autour de Robert Desnos. Pour les Français, c’est toujours un séjour plus culturel : ils choisissent un sujet sur lequel ils travaillent avec nous. Cette année c’est sur l’opéra Brundibar. »
Si le séjour d’une semaine des élèves s’est achevé, ils repartent vers la France remplis par le souvenir de la journée passée à Terezín. Pour certains, d’ailleurs le projet continue, comme Catherine, 16 ans, élève en première littéraire :
« Pour le TPE, le Bac, plus tard, je dois choisir un sujet avec deux matières. J’ai pris histoire et littérature. Et avec une amie on va parler justement de Terezín. Le projet, c’est : ‘Terezín, quelle image véhiculée ? Quelle réalité vécue ?’ C’est pour ça que c’était intéressant de venir parce que ce ne sont pas que des recherches sur Internet. C’est vraiment du concret. »
Un travail de mémoire qui se poursuit donc bien au-delà d’une simple visite...