Malgré les sanctions et l’interprétation russe de 1968, Tchèques et Russes font leurs affaires

Miloš Zeman et Vladimir Poutine, photo: ČTK

En visite tout au long de cette semaine en Russie, Miloš Zeman a été reçu par Vladimir Poutine mardi à Sotchi. L’occasion pour le président tchèque, seul chef d’Etat de l’Union européenne (UE) qui critique ouvertement les sanctions économiques suite à l’annexion de la Crimée, de réaffirmer tout le bien qu’il pense des échanges avec la Russie. Mais cette visite a aussi été marquée par un point noir : l’interprétation publiée par un média russe dépendant du pouvoir de l’écrasement du Printemps de Prague en 1968.

Miloš Zeman et Vladimir Poutine,  photo: ČTK
A entendre les deux hommes plaisanter en conférence de presse, avec un Miloš Zeman regrettant que les sanctions empêchent les exportations des bons fromages et yaourts tchèques en Russie et un Vladimir Poutine lui rétorquant que l’essentiel est qu’il y ait de la bière, on pourrait penser que les relations entre Prague et Moscou sont au beau fixe. Elles le sont bien, ne serait-ce qu’entre le Château de Prague et le Kremlin, et pas seulement parce que la brasserie Plzeňský Prazdroj produit sa bière directement en Russie, comme s’en est félicité le président Zeman à la sortie de sa rencontre avec Vladmir Poutine :

« Malgré les restrictions les plus diverses, la coopération économique entre nos deux pays est florissante et se développe. Cela ne signifie cependant pas que je m’accommode de ces sanctions, car vous savez que cela fait longtemps que je suis opposé tant aux sanctions de l’UE à l’encontre de la Russie qu’aux sanctions appliquées par la Russie vis-à-vis de l’UE. »

Miloš Zeman et Dmitri Medvedev,  photo: ČTK
Les échanges commerciaux, et notamment les opportunités pour les sociétés tchèques de tirer un meilleur profit de l’immensité du marché russe, sont la priorité de cette visite longue de cinq jours. Quelque 140 représentants d’entreprises - soit dix fois plus que lors de la dernière visite du chef de l’Etat tchèque en France, comme il l’a souligné lui-même - ont rempli trois avions pour accompagner Miloš Zeman lors de cette tournée qui, après Sotchi mardi et Moscou ce mercredi, où il a été reçu par Dmitri Medvedev, s’achèvera dans l’Oural à Ekaterinbourg avec un forum d’affaires.

Mardi, soit un jour après le passage sur les bords de ma mer Noire du président syrien Bachar Al-Assad, Vladimir Poutine a également présenté à Miloš Zeman l’état de la situation actuelle en Syrie. Le président tchèque a profité de l’occasion pour féliciter l’armée russe pour sa victoire contre le terrorisme, Bachar Al-Assad ayant repris le contrôle de la très grande majorité du territoire syrien.

Cet échange de bons procédés a toutefois été obscurci par un article mis en ligne sur Zvezda, un site internet dépendant du ministère de la Défense russe, selon lequel la Tchécoslovaquie devrait être reconnaissante à l’Union soviétique pour l’invasion du pays par les troupes du Pacte de Varsovie en août 1968. Selon l’auteur du papier, ce recours à la force a permis à l’époque d’éviter un « putsch occidental » semblable à celui de 1989 et de maintenir la paix dans le pays vingt ans de plus.

Cette publication a vivement fait réagir la partie tchèque, en Russie comme à Prague, à commencer par Miloš Zeman, qui a été très clair dans ses propos :

Bachar Al-Assad et Vladimir Poutine,  photo: ČTK
« Cette déclaration est une insulte faite à notre peuple. J’ai reçu des informations de République tchèque selon lesquelles certains politiques m’appellent à interrompre ma visite en Russie et à rentrer à Prague. J’ai bien entendu refusé, car un journaliste complétement fou ne devrait pas troubler notre coopération. »

Le président tchèque a également déclaré qu’il attendait des dignitaires russes « qu’ils fassent front, assument leurs responsabilités et rejettent clairement et catégoriquement cette provocation. » Ce mercredi, Miloš Zeman a donc remis l’article en question à Dmitri Medvedev et celui-ci, après l’avoir lu sous les yeux de son hôte, a affirmé qu’il s’agissait là de l’opinion personnelle de l’auteur et pas de la position officielle de Moscou, et que les autorités russes n’avaient pas pour habitude d’intervenir dans le travail des journalistes…

Une réaction attendue qui n’empêche cependant pas le ministre des Affaires étrangères tchèque, Lubomír Zaorálek, de condamner ce type de provocation :

« C’est là un point essentiel des relations entre la République tchèque et la Fédération russe. Nous ne pouvons pas accepter que de tels articles soient publiés dans des médias officiels liés directement aux institutions gouvernementales. C’est une interprétation complètement fausse et incroyable de faits historiques, une offense faite à notre pays. Tout le monde sait très bien que le regard qui est porté en République tchèque sur les événements d’août 1968 est très clair et repose sur le travail des historiens. »

Même sans être historien, et malgré toute l’importance qu’il accorde à la qualité des relations tchéco-russes, Miloš Zeman - qui a confirmé mardi que la Crimée appartenait selon lui à la Russie - a lui-même répété qu’il considérait l’intervention soviétique en 1968 comme « un crime ».