Marie Chatardová : une femme en diplomatie (II)

Marie Chatardová avec son mari

Marie Chatardová est ambassadeur de République tchèque en France depuis 2010. Parcours sans faute pour cette femme originaire de Moravie, qui s’est retrouvée dans la diplomatie « un peu par hasard » comme elle le remarque, mais a gravi les échelons à partir des années 1990, à une époque où, après la chute du communisme, le monde et l’histoire semblaient à portée de main. Mariée à un Français, elle a trois enfants, tous bilingues. Alors comment gérer une vie de famille épanouie sans renoncer à sa carrière ? Comment gérer sa carrière sans délaisser ses proches ? Quel regard porte-t-elle sur la place des femmes à des hauts postes décisionnels ? Le système tchèque permet-il aux femmes de mener de front vie de famille et avancement professionnel ? Autant de questions que Radio Prague a abordées dans un long entretien dont nous vous proposons la seconde et dernière partie.

Marie Chatardová avec son mari
Vous avez épousé un Français et vous êtes tous deux parents de trois enfants. Vous portez d’ailleurs son nom. Comment gérez-vous votre mission d’ambassadrice et votre vie de famille ?

« Mon mari avait choisi de venir en République tchèque avant de me connaître. Il a passé sept ans à rédiger son doctorat sur l’économie tchèque. Il a obtenu la nationalité tchèque et son activité favorite, c’est d’être un grand défenseur de nos valeurs et de nos modes de fonctionnement. »

Il est plus tchèque que les Tchèques ?

« Voilà, c’est un bon ambassadeur qui me complète dans mes fonctions. C’est très complémentaire à mon activité diplomatique, surtout en France. Il n’a pas poursuivi sa carrière universitaire qui aurait été la sienne après son doctorat, pour s’occuper des enfants et de la famille. Lorsqu’on lui demande à quoi il passe ses journées, il s’amuse en parlant des courses, des enfants et du ménage. Souvent les gens ont du mal à le croire, mais c’est pourtant la réalité même si c’est très réducteur. »

Cela fonctionne bien ?

« Oui. Votre remarque sur mon nom m’a rappelé qu’à l’époque il était obligatoire au moment où nous sommes mariés d’avoir la désinence –ova à mon nom de femme mariée. Quelques fois cela crée des situations assez comiques parce qu’on appelle mon mari ‘Chartadov’. »

M. CHatard avec les enfants
Diriez-vous que votre modèle familial est atypique pour la République tchèque ? Il reste encore assez courant que la femme tchèque prenne un long congé maternité, qu’elle reste à la maison, tandis que l’homme travaille. Les choses évoluent-elles ? Comment expliquez-vous cette différence avec la France ?

« Un père qui reste à la maison, ce n’est pas encore très répandu en République tchèque, mais ce qui a fonctionné pour nous, pourrait aussi se dérouler dans d’autres familles. J’essaye de faire passer ce message. Mais il n’y a pas de système parfait. C’est bien que ce débat puisse avoir lieu au sein des familles tchèques pour que chacun détermine le modèle qui lui convient le mieux. Mon mari dit toujours qu’il n’a jamais eu à souffrir de son choix en République tchèque. Nous sommes une société où peu de gens jugent les autres. Il y a un grand respect pour la vie privée et les choix de vie, et je pense que c’est très bien comme cela. »

Vos enfants grandissent-ils dans les deux langues, le tchèque et le français ainsi que dans les deux cultures ?

L'Ecole tchèque sans frontières à Paris
« Nos enfants ont eu la chance de commencer l’école dans le système tchèque. Je pense que c’est un système vraiment exemplaire, rigoureux dans l’apprentissage, mais en même temps très humain dans le rapport entre les enseignants et les élèves. C’est peut-être l’héritage de Comenius qui a été mis en valeur après 1918. Dans une famille bilingue, le grand principe à respecter que je peux vraiment recommander à tout le monde : chaque parent ne parle que dans sa langue d’origine. Mon mari comprend le tchèque et moi le français, donc c’est assez simple pour nous et les enfants sont absolument bilingues. Avec les études à l’étranger, ils sont aussi à l’aise en anglais. A Paris, nous avons la chance d’avoir l’Ecole tchèque sans frontières, avec des bénévoles très bien formés qui s’occupent d’une petite école pour les enfants de nos expatriés. Les enfants sont ravis de se retrouver là une fois par semaine : soit le mercredi pour les tout petits, soit le samedi. »

Quelle est une journée typique pour vous, du matin au soir ? Je suppose que vous devez être très bien organisée…

« Il n’y a pas vraiment de journée typique car le travail est extrêmement varié. Certains jours je suis en région. Récemment, pour préparer les journées tchèques à Rennes, j’ai pris le train le matin, j’ai eu une réunion avec le maire, puis avec le directeur de l’opéra, j’ai déjeuné avec le représentant de la Chambre de Commerce, j’ai rencontré la directrice de la Maison de l’Europe locale, les représentants de l’université et enfin comité de direction du journal Ouest-France qui a la plus grande diffusion en France. Et je suis revenue à Paris un peu avant minuit. A Paris il y a aussi du travail de préparation, des discours à faire, l’activité de l’ambassade à organiser, des déjeuners de travail souvent à l’ambassade, des délégations à accompagner, un réseau relationnel à construire, des journalistes à recevoir. Il y a également des dîners et événements auxquels nous participons et assez souvent, nos fenêtres restent allumées tard dans la nuit. J’ai la chance d’avoir une équipe très motivée à l’ambassade. Le collectif est très important : si vous pouvez faire confiance à ceux qui vous entourent, chacun est plus heureux et le travail aboutit à de bons résultats. »

Quand vous ne travaillez pas et que vous pouvez profiter de la vie à Paris, quelles sont les activités que vous privilégiez ?

« Le métier d’ambassadeur demande une grande disponibilité et pour profiter de la vie à Paris, cette fonction n’est pas idéale. C’est une grande surprise pour nos amis à Paris car depuis notre arrivée nous les voyons très peu, en-dehors de certains événements officiels auxquels un certain nombre d’entre eux participe aussi. La vie d’un ambassadeur prend son sens dans le service de son pays. C’est très satisfaisant pour l’esprit et finalement, cela occupe entièrement celui ou celle qui travaille. Mais si j’ai de temps à autres mon samedi matin libre, nous allons nous promener avec mon mari dans le très beau jardin de Bagatelle. Il y a là des roses magnifiques, peu de monde, ce qui est un luxe à Paris. Dans la semaine, je prends souvent quinze minutes pour faire le tour du Champ de Mars à pied. C’est là où se trouve l’ambassade, c’est un très bel endroit avec un grand espace. »

Quels sont les moments qui vous ont le plus marquée depuis le début de votre mission diplomatique à Paris ?

« Comme je l’ai dit, le rythme de travail est très intense : les jours passent comme des semaines et les semaines comme des mois. Plutôt que quelques moments particuliers, c’est l’ensemble de cette vie si remplie qui constitue le fait marquant de mon séjour à Paris. »