Marie Gourdain : « Avec le cinéma d’animation, on peut tout créer » (I)

Marie gourdain, photo: Archives de Marie Gourdain

Début janvier, le Divadlo Na cucky, la scène alternative d’Olomouc, en Moravie, a présenté la première du spectacle « Un », fruit de la collaboration entre la scénographe Marie Gourdain et du danseur Florent Golfier, tous deux des Français installés en République tchèque. C’était l’occasion de s’intéresser au parcours de Marie Gourdain, qui à côté de son travail de scénographe, a bien d’autres cordes à son arc. Dans la première partie de cet entretien, nous avons évoqué sa venue à Prague, ses études en cinéma d’animation, et le travail réalisé sur « Un ».

Marie gourdain,  photo: Archives de Marie Gourdain
Marie Gourdain, bonjour. Vous êtes artiste, scénographe, diplômée de l’ENSAD, l’Ecole nationale supérieure des arts décoratifs, avec une spécialisation en cinéma d’animation. Je vais peut-être commencer par vous demander comment vous avez atterri à Prague…

« Lorsque j’étais aux Arts déco, j’ai eu l’occasion de faire une stage Erasmus. J’étais très intéressée par le cinéma d’animation traditionnel tchèque, notamment le cinéma de marionnettes. Il y avait déjà un accord d’échange entre l’ENSAD et UMPRUM à Prague, donc j’ai pu partir quatre mois en Erasmus et y passer ces mois dans l’atelier de cinéma d’animation qui, à l’époque, était dirigé par Jan Balej. J’ai été très bien accueillie. Plus tard, j’ai finalement décidé de revenir à Prague. »

Qu’est-ce qui, à l’origine, vous a fait vous intéresser au cinéma d’animation en particulier ?

« C’est un petit détour du destin qui m’a amenée à l’animation. Aux Arts déco, je suis entrée pour faire de la scénographie, mais la première année est générale et on a énormément travaillé l’espace. Lorsqu’est arrivé le moment de choisir l’atelier dans lequel on allait se spécialiser pour la deuxième année, tout le monde a voulu aller en scénographie. Les professeurs de l’époque, au lieu de faire des entretiens pour voir qui était le plus motivé ou qui correspondait le mieux au travail scénographique, ont pris les notes. A 0,1 point je n’ai pas été prise ! Je me suis demandé si je devais me diriger vers l’architecture d’intérieur, et ce que j’allais bien faire. J’étais très jeune, j’avais 19 ans. Finalement, je me suis dit qu’avec le cinéma d’animation, on pouvait tout créer : le monde, l’espace, le mouvement, l’histoire. C’est bien plus ouvert au niveau des techniques employées et des possibilités. En plus, les professeurs étaient bien plus ouverts d’esprit et accueillants. Ils ont pris 17 étudiants et ça a été une super promo, une super expérience. Sans cela, je ne serais jamais arrivée à Prague… »

C’est dans ce cadre-là que vous avez donc découvert le cinéma d’animation tchèque…

« Oui, on avait des cours d’histoire du cinéma d’animation. Moi, j’avais très envie de voyager et de partir plutôt vers l’Europe centrale ou de l’est. Je lisais Kundera comme toute jeune fille de 18 ans ! J’ai vu que j’avais de grandes chances de partir à Prague parce que selon les destinations, les moyennes de notes, il y a des voyages qui se font et d’autres pas. Personnellement, j’avais de grandes chances de pouvoir partir à Prague, donc j’ai aussi choisi cette destination pour pouvoir partir tout court. Et je suis très contente du résultat. »

Qu’est-ce qui vous a séduite dans le cinéma d’animation, tchèque, tchécoslovaque, surtout par rapport à d’autres cinémas d’animation dans le monde ?

« La technique principalement : travailler en volume me plaisait car ça me rapprochait de la sculpture que j’aime beaucoup. L’esthétique aussi. Et puis, une façon de raconter, un ton qui est différent d’autres genres d’animation. »

Je le disais vous êtes aussi scénographe… Une de mes questions était la suivante : quel est le pont entre la scénographie et l’animation. Mais vous avez déjà plus ou moins répondu à la question. Finalement, vous n’avez certes pas été acceptée en scénographie à l’ENSAD, mais vous êtes revenue à la scénographie sur le tard…

'Pisum sativum',  chorégraphie de Karine Pontiès,  photo: ČT
« Oui ! Ça a été un pont qui s’est construit pierre par pierre. J’ai commencé par vouloir travailler dans le cinéma d’animation. Après avoir obtenu mon diplôme, je me suis dit qu’il fallait me lancer. Je suis retournée à Prague, avec dans l’idée de faire une année à l’étranger. Finalement ça fait sept ans que je suis là ! J’ai trouvé des petits boulots au début. J’ai fini par être embauchée dans le studio de Jan Balej, pour son dernier long-métrage, pour la fabrication des décors et des accessoires. Je suis donc retournée vers le décor et la fabrication pour ce film de marionnettes. A côté de cela, je m’intéressais beaucoup à la danse, au théâtre non-verbal et j’ai commencé à fréquenter les lieux de la danse et du théâtre non-verbal à Prague, c’est-à-dire Alfred ve dvoře, Studio Alta, Divadlo Ponec etc. Et puis, un jour, je suis allée voir un spectacle de Karine Pontiès et après le spectacle, j’ai entendu des animateurs pour un projet à la JAMU à Brno. Elle mélange en effet le cinéma d’animation et la danse. Je me suis dit : c’est pour moi ! Je l’ai contactée, ou plutôt Pierre Nadaud, qui est le responsable de l’atelier de théâtre physique à Brno, qui avait invité Karine Pontiès pour une création. Ils m’ont dit de venir, et j’ai pu suivre toute la création de Karine à Brno, toutes les répétitions, à côté de mon travail. J’ai donc remis un pied dans la danse, j’ai fabriqué des petits éléments de décor, des accessoires… Au fur et à mesure, en rencontrant une personne, une autre, en montrant mon portfolio, j’ai eu l’occasion de participer à plus de spectacles, à des festivals… Aujourd’hui, je fais plus cela que de l’animation ! »

On peut donc parler de votre projet récent de scénographie, la pièce « UN » présentée récemment à Olomouc. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

'Un',  photo: Divadlo na cucky
« ‘Un’ est un projet que j’ai mis en scène et que j’ai chorégraphié avec Florent Golfier, le danseur. Et c’est un solo, mais pourtant on est deux sur scène. Tout a commencé en partant du constat que scénographe, c’est chouette, mais on est toujours à la merci de ce que va décider le metteur en scène ou le chorégraphe. On a beau proposer plein de choses, c’est lui qui a le monopole. Au bout d’un certain temps, ça m’a frustrée. Ce spectacle vient aussi de mon mémoire rédigé aux Arts déco : bien que j’aie été en cinéma d’animation, j’ai pu écrire un mémoire en scénographie. Et je me suis beaucoup intéressée au rapport du corps et des structures géométriques sur scène, et à l’effet que ça produisait sur le spectateur. J’avais déjà fait des recherches sur les travaux d’artistes français du nouveau cirque, comme Johann Le Guillerm et Aurélien Bory de la Compagnie 111. Ce travail m’a beaucoup nourrie. Pour ‘Un’ j’ai voulu revenir vers ces recherches. J’ai décidé de mettre en place ce projet moi-même et de le diriger moi-même. J’ai fait appel à Florent qui était très enthousiaste et on a commencé à travailler tous les deux. C’est un solo pour un danseur qui évolue dans un système, un espace clos, construit de lignes au début horizontales et verticales. Autour de ce corps qui apprend à comprendre le système dans lequel il est et qui essaye de suivre ses règles, il y a un autre corps. C’est moi qui interprète ce personnage, qui donne un rythme, qui symbolise la structure et qui manipule le décor. »

C’est donc mobile, mouvant…

« C’est mobile, oui. Dès que le danseur, le corps dansant prend trop confiance, s’approprie trop l’espace, l’autre lui met des bâtons dans les roues et change la structure qui l’entoure. Ils commencent à avoir une influence l’un sur l’autre, une influence sonore, énergétique ce qui entraîne un des deux à se libérer de l’espace contraint que lui impose l’autre. »

Ça a été présenté à Olomouc au début du mois de janvier, et une première fois à la fin de l’année dernière…

'Un',  photo: ČT24
« Au mois de décembre on a eu une avant-première car on a eu la chance d’avoir plusieurs résidences en République tchèque, notamment au Studio Alta et à Olomouc au Divadlo Na cucky, qui nous a accueillis dès le début de la création, et au centre culturel Kultur à Ostrava. Dans le cadre de ces résidences, ils nous ont invités à faire des avant-premières là-bas. On a donc eu une avant-première à Alta parce qu’Alta a suivi notre développement, et une avant-première pour faire nos premiers pas sur scène début décembre. Ensuite il y a eu la première officielle à Olomouc. La première pragoise sera les 6 et 7 février au Studio Alta à 19h30. »

D’autres rendez-vous sont prévus plus tard dans l’année ?

« On va aussi jouer à Brno, dans un nouvel espace, Industra, situé dans des halles industrielles et qui a un programme qui s’appelle Industra Stage qui accueille de la danse et du théâtre physique. Sinon, c’est une galerie. Et on va jouer courant du mois de mai de nouveau à Alta et peut-être au début de l’été à Zďar nad Sázavou mais ce n’est pas encore tout-à-fait sûr. »

(Suite et fin de cet entretien la semaine prochaine)