Marie Gourdain : « Le corps est au cœur de mon travail »
Cette semaine, on retrouve l’artiste et scénographe française Marie Gourdain dont le spectacle « Un » se joue ces samedi et dimanche soir à Prague, au studio Alta. Dans la première partie de notre entretien, nous avions évoqué ses études et son intérêt précoce pour le cinéma d’animation, tchécoslovaque en particulier, ainsi que ce qui l’avait amenée à s’installer à Prague, il y a quelques années de cela. Aujourd’hui, Marie Gourdain participe à de nombreux projets, personnels ou collectifs, comme par exemple le festival de danse KoresponDance pour lequel elle a réalisé l’an dernier une scénographie. Suite et fin de notre entretien.
« Oui, il y a quelque chose de cela. Ce qui est sûr, c’est que le corps est mon sujet principal, que ce soit le corps dansant, le corps représenté, et il est vrai qu’il y a une logique dans mon parcours, dans les différents moyens et matériaux que j’emploie. Il y a quelque chose entre la présence et l’absence qui m’intéresse, et la contrainte et la liberté. J’ai un travail qui, souvent, fait référence à la mort, dans l’absence de matière, et qui en même temps s’intéresse beaucoup à la matière. Le spectacle Un aussi avait comme point de départ le chemin de croix. Après une exposition organisée avec le collectif de jeunes artistes que j’ai regroupés à Prague, l’OpenStudio7, on a fait une exposition en plein air l’an dernier à Kalvárie, un lieu d’art contemporain qui est un ancien lieu de pèlerinage. J’ai étudié la figure du corps du Christ dans les représentations du chemin de croix, hors de contexte. Simplement le corps, en revenant à ce sujet qui m’intéresse toujours et qui est le corps et l’élément géométrique qui l’accompagne, la croix. C’est la rencontre d’une ligne horizontale et d’une ligne verticale. »
C’est ce qu’on retrouve dans le spectacle Un finalement…
« Oui. En fait le chemin de croix n’a de sens que s’il y a cette quinzième image absente qui est la Résurrection. Donc, ça forme un cercle. C’est la répétition. J’essaye de circuler dans ces choses-là, dans l’idée que la matière disparaît mais ne disparaît pas totalement parce qu’en fait on se reproduit. La matière humaine ne disparaît pas et pourtant on est tous, tous les jours, proches de la disparition. C’est une question qui m’intéresse beaucoup, qui me fait peur également, mais c’est une motivation… »Quand on voit votre éventail d’activités, on a l’impression que c’est aussi une façon de combler le vide, de conjurer la peur de la mort…
« Sûrement. C’est vrai que je fais beaucoup de choses, que j’accepte beaucoup de projets. Ça me remplit beaucoup, c’est sûr. Je trouve beaucoup de plaisir dans le travail et une liberté que je ne m’offre peut-être pas dans la vie de tous les jours, ou que je ne retrouve pas les conventions et les modèles de notre société. C’est quelque chose que j’espère apprendre dans le futur, mais j’ai beaucoup de mal à séparer ma vie personnelle et ma vie professionnelle. J’y pense tout le temps et ça m’accompagne tout le temps. Mais les différents projets se nourrissent, c’est intéressant de lire sur un autre projet et soudain des images viennent pour un autre projet. C’est une énergie qui circule. Après, il faut apprendre à connaître le vide et les vacances (rires). »
Vous parlez de cette liberté, mais pour être libre en tant qu’artiste il faut aussi avoir les possibilités d’être libre. Vous travaillez en République tchèque. Comment ça se passe au niveau des financements des projets culturels ? La France a la réputation de soutenir plus la culture, est-ce quelque chose qui est passé et est-ce qu’en République tchèque, vous avez trouvé des possibilités de financer vos projets ?
« En France, ce n’est pas passé, mais ce n’est pas ce que c’était non plus. Surtout, en France, quand on vient des Arts déco et de Paris, tout le monde fait un peu la même chose. La concurrence est bien plus grande. En République tchèque, c’est vrai qu’il y a moins d’argent, mais aussi moins de personnes qui cherchent à faire des projets artistiques, même si la scène artistique tchèque et la scène pragoise sont très riches. Mais mathématiquement, c’est différent. Ensuite, avec Un, j’ai rejoint une compagnie qui était en train de se créer à l’initiative de Florent Golfier et Lukáš Karásek. Ça s’appelle Týhle. A travers la compagnie, on fait des demandes de subventions. Là, on est en attente de résultats car on s’y et pris un peu tard… On débute ! On a aussi fait une collecte de fonds participative parce qu’on n’avait pas de quoi commencer. J’ai aussi un peu investi personnellement dans ce projet. On aussi eu la grande chance d’obtenir des résidences parce que louer une salle de répétition, c’est très cher. On a eu une aide matérielle, et non financière, des lieux qui nous ont accueillis. Et j’ai eu la chance d’avoir une équipe prête à travailler pratiquement pour rien même si j’espère qu’en jouant, je vais pouvoir compenser leur investissement ! J’ai une équipe de six personnes qui travaille très bien et avec beaucoup d’enthousiasme. C’est bien pour un premier projet, mais ça ne peut par contre pas fonctionner comme ça tout le temps. Mais bon, on jongle, et c’est assez précaire : que ce soit en France ou en République tchèque, c’est une assez précaire. Pour l’instant, je l’accepte, c’est une vie de bohème en Bohême, pourquoi pas ? Mais j’espère que dans quelques années, j’arriverai à trouver plus de stabilité. Dans le monde de l’art, il n’y a que ceux qui persistent en dépit des difficultés qui y arrivent vraiment. J’espère que ces questions ne feront pas disparaître mon envie. »Vous avez l’occasion de réaliser des projets en France ?
« Je commence tout juste. Pendant longtemps, je ne me suis consacrée qu’à la République tchèque : apprendre la langue, rencontrer les personnes qui m’intéressaient, faire des projets avec eux. J’ai eu la chance que ça marche. Là, je commence à me dire que j’aimerais bien faire des ponts. Longtemps j’ai pensé que c’était un choix entre Prague et Paris, voire Lyon, et qu’un jour je me déciderai à rentrer. Maintenant je me dis que ce n’est pas du tout comme cela qu’il faut aborder la question et qu’il faut plutôt essayer de créer des ponts entre ces deux pays qui ont des richesses complémentaires. Il y en a peut-être un qui bénéficie de plus d’aides à la culture et qui pousse les réflexions très profondément, qui coupe les cheveux en quatre, comme on le fait en France et moi j’adore ça ! Et d’un autre côté, il y a un pays qui sait se débrouiller contre vents et marées et qui, avec trois vis et un petit bout de ferraille arrive à fabriquer un décor entier, qui est la République tchèque. Ce pays est formidable pour ça. Il a le courage d’aller monter des théâtres peu importe les aides reçues. J’espère pouvoir faire de belles choses entre ces deux énergies-là. Je commence un projet qui est une adaptation d’un recueil de poèmes écrits par Lou Garion, qui s’appelle ‘Nos oiseaux au ciel tels des livres ouverts ». Lou est une poétesse, comédienne, qui écrit des recueils, et qui pour la première fois va mettre en scène ce recueil où elle lit et interprète ses poèmes, accompagnée d’une viole de gambe baroque qui joue des airs baroques mais improvise aussi. C’est une pièce qui a beaucoup de potentiel à mes yeux. Je retourne à Paris de temps en temps donner un regard extérieur, scénographique pour monter ce projet ensemble. On va peut-être aussi créer une compagnie à Paris pour pouvoir essayer de faire peut-être des coproductions. »
Pour finir, j’aimerais aussi parler du projet OpenStudio7… un rendez-vous d’artistes qui se retrouvent chaque semaine chez vous. Comment ça se passe ?
« Quand je suis revenue m’installer en République tchèque, après les Arts déco, j’ai eu ce syndrome qui arrive à tous ceux qui ont fait une école d’art qui est la déprime post-Arts déco (rires) ! On est habitués à être encadrés, à avoir une promotion très dynamique, des professeurs, des assistants techniques, des ateliers, du matériel et soudain on sort de l’école et on n’a plus rien. On est tout seul et en plus, je suis arrivée dans un pays dont je ne parlais pas la langue, où j’avais quelques amis certes, mais où j’étais très seule. Pour pallier à cela, je me suis dit que j’avais besoin de consulter mes projets avec d’autres personnes. Donc j’ai essayé d’organiser des petits apéros, à la française, dans mon atelier, où chacun amène son ordinateur, ses dessins, des photos, des projets en cours, et qu’on montre à tout le monde. Chacun peut y donner des références d’artistes de leur connaissance, parle des expositions vues récemment, questionne etc. Tout de suite, par chance, s’est jointe à moi Çiğdem Çevrim, une photographe-graphiste turque qui vit à Prague depuis huit, neuf ans, qui a été enthousiaste et m’a beaucoup aidée à lancer ce projet. On a créé un groupe qui est multinational, avec un Américain, un Mexicain, une Hongroise, un Slovaque, une Tchèque… On est de partout. Ça se passe principalement en anglais et on se retrouve dans mon atelier. Maintenant, mon atelier est au Studio Alta, donc on espère ouvrir ce concept à plus de personnes et de faire entrer l’OpenStudio7 dans le programme du café du Studio Alta. On pourrait avoir plus de participants, il faudrait repenser le concept pour qu’il y ait une sorte d’animateur… Maintenant, ce n’est plus qu’une fois par mois parce qu’une fois par semaine c’était trop. Tout le monde revenait avec les mêmes projets ou sans projet du tout. Ça dure depuis fin 2011. On organise des expositions collectives une fois par an en général, dans différents lieux. Comme je le disais, on en a eu une à Kalvárie, à Ostré, non loin d’Ústí nad Labem. On essaye de plus en plus de prendre une forme qui n’est pas trop ‘étudiants étrangers’ mais qui est vraiment ‘artistes professionnels’. On arrête les cafés et on choisit plutôt des galeries. »