Marika Pecháčková : faire tomber les barrières
« Vnitroblok » - la Cour en français, est le dernier film documentaire de la réalisatrice Marika Pecháčková, diplômée de la FAMU, l’école pragoise du film. Elle met en scène la vie quotidienne dans le quartier pragois de Dejvice, plus précisément dans une des cours que se partagent plusieurs maisons, construites dans les années 1930. En essayant de rendre cet espace ouvert et accessible aux habitants, Marika Pecháčková observe les rapports de voisinage ainsi que la volonté des habitants de s’impliquer pour entretenir ce lieu commun. Au départ, elle fait part de sa motivation de faire évoluer la situation et de faire bouger les gens. A l’issue de son film, elle explore, au micro de Radio Prague, l’existence d’un nouveau droit, le droit de ne pas s’intéresser.
La documentariste s’interrogeait sur le sens initial de cet espace : « J’ai trouvé que ce bloc des maisons a été créé dans les années 1930 pour la relaxation des gens qui habitaient autour. Aujourd’hui la cour est totalement morte, il n’y a personne et elle est pleine de clôtures. Alors qu’elle était destinée à être ouverte. »
Marika Pecháčková a décidé d’agir, poussée par une autre raison, un peu moins tangible : « Il me semblait dans un sens, que, quand je regarde par la fenêtre, je regarde dans un miroir. Et je ne voudrais pas voir ça. Disons que j’ai eu des impulsions internes qui m’ont poussé à faire quelque chose avec la cour. On peut aussi dire qu’il s’agissait d’une métaphore pour faire quelque chose avec moi-même car je me suis vue moi-même dans la cour, comme dans un miroir. »
Pour une cour plus jolie et libre d’accès, Marika Pecháčková a d’abord consulté ses voisins.« S’ils veulent la même, nous pouvons commencer un échange d’émotions et d’idées par rapport à tout ce qui touche à la cour. »
Trois cent personnes habitent autours de cette cour commune. « Nous tous regardons chaque matin dans cette cour. Je me suis dit que c’est une chose qui nous rassemble. »
Le premier pas était de demander aux gens leur avis : « J’ai créé des cartes postales que j’ai mises dans les boîtes aux lettres de tout le monde avec un petit texte racontant que je voudrais faire quelque chose avec la cour, je voulais savoir ce qu’ils en pensaient. Je leur ai aussi demandé de me répondre. »
Une vingtaine de personnes répondent donc à la demande de Marika Pecháčková, les intéressés se retrouvent pour discuter, notamment avec les administrateurs des bâtiments. Son film documentaire suit ces débats et les tentatives de mobiliser les voisins pour une action collective visant à terme, l’ouverture de la cour à tous les voisins. Cet objectif n’aboutit pas.« La seule chose qui les a fait un peu bouger, c’est mon action, une vision que quelque chose va changer. Une fois que je ne me suis plus impliquée, ils ont aussi arrêté. Avec la fin de mon documentaire, il y avait quelque chose qui a commencé parce que je leur ai montré le film. On peut le dire en termes mathématiques. J’ai mis beaucoup d’énergie dans le film et ils ont reçu cette énergie. Alors nous avons créé un groupe informel, « le groupe de la cour ». Nous nous sommes dit que nous allions faire chaque mois quelque chose dans la cour, n’importe quoi, seulement pour faire bouger les choses. On l’a fait trois fois, je pense. »
Ensuite, Marika Pecháčková a eu son deuxième fils. Actuellement, elle avoue ne plus avoir d’énergie à y mettre. Grâce à ce documentaire dans lequel la réalisatrice explore son propre environnement, elle se rend compte qu’elle ne se considère pas comme une activiste. Même si les clôtures ne sont pas tombées, les rencontres avec les voisins ont permis de tisser de nouveaux liens. Ils sont plus nombreux à se connaître maintenant.« Je me sens beaucoup plus à la maison parce que je connais mes voisins. Je marche dans la rue et je rencontre les voisins des maisons autour et je les connais. C’est la seule chose qui a changé pour moi et je pense que pour eux aussi. »
Aujourd’hui Marika Pecháčková considère que l’aboutissement de son projet de faire disparaître les clôtures prendrait encore vingt ou trente ans. Elle avoue même ne pas être sûre de vouloir un tel changement. Pourquoi ?« C’est une tension entre la distance et la proximité entre les personnes. On veut être très proche l’un de l’autre mais au moment où on commence à s’approcher, on commence à avoir peur. La vision des relations humaines est très idéalisée. »
Pour projeter ce dilemme entre la proximité et la distance sur les relations de voisinage, l’ambition de Marika Pecháčková était différente du résultat : « J’ai voulu faire un film beaucoup plus grand, plus long et plus analytique, mais cela a fini comme ça. C’est assez court. »
Un film sur les relations humaines qui a amené sa réalisatrice à s’interroger sur le droit au désintérêt, celui de ne pas s’intéresser à l’espace public et à la vie communautaire, en termes politiques, cela se traduirait peut-être par le droit à l’abstention…« Ce droit au désintérêt, c’est un des sujet du film. Je ne sais pas ce que c’est, je voulais trouver un terme pour nommer ce que je ressens et ce que je veux filmer. J’ai cherché et j’ai trouvé un texte politique selon lequel il y a un nouveau droit, c’est ce droit au désintérêt. Pour moi, c’était quelque chose de très concret et précis. »
Le droit au désintérêt fait que l’on doit réfléchir pour dire bonjour dans le couloir et que l’on doit se forcer à intervenir quand on est témoin d’une injustice, poursuit Marika Pecháčková.
« Au fond, je ne sais pas ce que c’est. Bien sûr que cela concerne la grande ville et l’anonymat et que l’on a tout à fait perdu les liens. Mais il y a quelque chose de dangereux là-dedans. Je ne veux pas juger du tout, mais je sens que ça existe. »Après le film documentaire « Rêverie périphérique » produit par le duo Hedvika Hlaváčková et Alena Stibralová Cardová, portant sur une banlieue pragoise, qui a fait l’objet de la dernière émission culturelle, le film documentaire de Marika Pecháčková se situe dans un quartier plutôt ancien et chic de Prague. Si la « Rêverie périphérique » suit la création d’un centre communautaire, le documentaire la Cour démarre sur une métaphore plutôt intime d’une cour qui serait un miroir de l’état d’esprit des habitants qui vivent tout autour. Néanmoins, les questions, posées par les deux films, ont un rapport universel à l’espace public et à la qualité de notre environnement. A travers deux démarches différentes, les réalisatrices explorent la motivation des gens pour faire évoluer leur environnement immédiat.