Mémoire rom : l’Etat tchèque s’apprête à racheter la porcherie sur l’ancien camp de Lety
C’est une grande avancée qui est annoncée dans le respect en République tchèque de la mémoire des victimes rom durant la Deuxième Guerre mondiale. La porcherie industrielle qui se trouve depuis les années 1970 sur le site de l’ancien camp de concentration de Lety (Bohême du Sud) devrait disparaître pour laisser place à un mémorial digne de ce nom. Un accord a été trouvé entre la société propriétaire de l’exploitation d’élevage et l’Etat tchèque.
Les premières négociations entre le gouvernement et AGPI pour un éventuel rachat de la porcherie ont été entamées il y a une vingtaine d’années de cela. La République tchèque est depuis régulièrement critiquée, notamment par le Parlement européen et les activistes, pour sa passivité sur ce dossier. D’une superficie de sept hectares, la porcherie, dans laquelle sont élevées quelque 13 000 bêtes dans treize bâtiments, est exploitée précisément à l’endroit où se trouvait le camp nazi sous le Protectorat de Bohême-Moravie. Entre août 1942 et mai 1943, un peu plus de 1 300 Roms tchèques y ont été détenus, parmi lesquels 327 y sont morts tandis que plus de 500 autres y ont séjourné avant d’être transférés à Auschwitz. Avant cela, dès août 1940, un camp de travail y avait été ouvert.
Selon le PDG d’AGPI, Jan Čech, une proposition de prix de vente a été formulée au gouvernement. Ce rachat doit permettre à la société de rembourser ses crédits bancaires, mais aussi de construire une autre porcherie, ailleurs. Mais, prétend-il, ces négociations ne sont pas qu’une affaire de gros sous :
« Nous n’avons jamais considéré qu’il s’agissait là d’une affaire commerciale. Dès 1998, quand la critique à notre égard s’est faite plus forte, nous avons déclaré que là où des gens sont morts, il n’est pas possible de rester indifférent et de ne pas tenir compte de ce qui s’est passé. »
La réalité n’en reste pas moins qu’aucun accord n’a jamais été trouvé entre les différents gouvernements qui se sont succédé en République tchèque depuis la fin des années 1990, époque à laquelle remontent donc les premières critiques, et les responsables d’AGPI. Cette fois, les négociations semblent devoir aboutir, et ce avant la tenue des élections législatives en octobre prochain, condition fixée par les propriétaires de la porcherie. Une évolution dont se sont félicités le ministre en charge des droits de l’homme et le ministre de la Culture, Daniel Herman :« A la place de la porcherie devrait être édifié un mémorial qui rappellera l’existence d’un camp de travail et d’un camp rom, comme cela est déjà le cas actuellement à l'endroit de l’ancien cimetière. Mais nous voulons que ce mémorial se trouve précisément à l’endroit de l’ancien camp. Ce monument doit servir à rappeler tout ce qui touche à la culture rom, y compris donc la culture du souvenir et du génocide rom. Actuellement, toutes ces questions sont de la responsabilité du Musée de la culture rom à Brno, qui est une des organisations subventionnées par le ministère de la Culture. Le Musée coopérera avec la commission en charge du dédommagement des victimes du génocide rom, entre autres raisons parce que de nombreux membres de cette commission sont des descendants des gens qui sont passés par le camp ou y sont morts. »
Récemment, des fouilles archéologiques ont été menées à Lety. D’anciennes fondations ainsi que différentes affaires personnelles ayant appartenu aux détenus ont été découvertes. Ces trouvailles ont confirmé que l'essentiel de l’ancien camp se trouvait sous la porcherie. Attachée de presse du Musée de la culture rom à Brno, Kristina Kohoutová se réjouit donc elle aussi de la prochaine possible démolition de l’exploitation :« Avoir un lieu de mémoire et de recueillement à Lety est important non seulement pour évoquer le souvenir de toutes les victimes, mais aussi pour rappeler les massacres ethniques plus généralement. Nous sommes bien entendu prêts à participer aux discussions qui seront menées sur la forme de mémorial qui pourrait être installé à cet endroit. »
Selon les estimations, 90% des Roms tchèques ont été tués par les nazis durant la Deuxième Guerre mondiale.