Michal Ajvaz : « Mon livre est né de la respiration de la Rive gauche »
Le public de toute la République tchèque a pu suivre à la télévision, ce mercredi, la retransmission en direct de la cérémonie de remise des prix littéraires Magnesia Litera sur la Nouvelle scène du Théâtre national de Prague. Les prix Magnesia Litera sont décernés chaque année depuis 2002 aux meilleurs livres tchèques toute catégorie. L’éclat de la cérémonie de ce mercredi a été en outre rehaussé par la présence de la romancière allemande Herta Müller, prix Nobel de Littérature. Les jurys de ce concours ont eu la tâche difficile de choisir parmi les 325 livres qui étaient en lice. C’est un ouvrage au parfum de France et inspiré par Paris qui a remporté le Grand Prix de cette compétition littéraire et a été proclamé Livre de l’année.
Les membres de l’association Litera se proposent de promouvoir la bonne littérature et les bons livres sans égard à leur genre. Parmi les lauréats des prix Magnesia Litera il y a donc écrivains, poètes, traducteurs, éditeurs et même chercheurs et théoriciens. Les jurys décernent les prix dans neuf catégories : « Edition », « Meilleure traduction », « Littérature documentaire », « Découverte de l’année », « Prose », « Poésie », « Livre pour enfant », « Contribution à la littérature tchèque ». Ce palmarès est couronné par le Grand prix décerné au meilleur livre de l’année. L’ambition des organisateurs est de s’imposer dans la vie culturelle tchèque et de hisser les prix littéraires au niveau d’autres distinctions artistiques renommées comme le prix Les Lions tchèques décerné aux meilleurs films ou le prix Thálie réservé aux meilleurs artistes de théâtre. La cérémonie de remise des prix est retransmise par la télévision publique et le lauréat du Grand prix décerné au Livre de l’année reçoit une récompense financière de 200 000 couronnes, quelque 8 000 euros.
C’est le livre « Le Jardin du Luxembourg » ( Lucemburská zahrada ) de l’écrivain philosophe Michal Ajvaz qui a reçu cette année le Grand prix Magnesia Litera de l’année 2012. L’auteur qui figure depuis des années parmi l’élite de la littérature tchèque, a, pour cet ouvrage, trouvé son inspiration à Paris :
« Je me baladais dans les rues parisiennes et j’ai découvert un quartier qui au fond n’a rien d’intéressant et ne figure pas dans les guides touristiques. Il me semblait cependant que ce quartier avait une atmosphère très particulière et pourrait générer une histoire. Cela m’intriguait, le récit se développait progressivement et j’ai fini par écrire le livre ‘Le jardin du Luxembourg’. »
« Mon récit a émergé progressivement de la respiration de certains endroits de la Rive gauche de la Seine, » a confié Michal Ajvaz dans un entretien pour le journal Mladá fronta Dnes. Le prix lui a fait plaisir mais, comme il dit, ce qui est important pour l’écrivain c’est son travail et pour ce travail les distinctions littéraires sont sans importance. L’auteur raconte dans son livre l’histoire d’un instituteur parisien, Paul, qui se trompe en cherchant la signification d’un mot sur Internet et pénètre par erreur dans un monde fantastique dont les habitants parlent une langue inconnue et où il vivra une aventure extraordinaire. Le récit est situé à Paris, à Nice et à Nantes mais aussi dans l’Etat de New York, à Moscou, sur l’île de Sainte-Lucie dans les Caraïbes, à Taormina en Sicile et dans une ville fantastique appelée Lara. Malgré le succès de cette œuvre, le critique Josef Chuchma ne pense pas qu’il s’agisse du roman le plus important de son auteur :« Je pense que Michal Ajvaz aurait dû recevoir ce prix plus tôt et pour d’autres livres. Il avait déjà obtenu d’ailleurs d’autres prix littéraires en République tchèque. Il est traduit aussi à l’étranger, par exemple en France. C’est l’un des rares prosateurs tchèques qui se situent grâce aux traductions dans le contexte européen. Je pense que le public aura quelque peine à comprendre pourquoi Michal Ajvaz ne gagne pas le prix dans la catégorie de la prose et que son ouvrage devient Livre de l’Année. Cela est dû au fait que dans la catégorie ‘Prose’ il y a un jury de cinq membres, si je ne me trompe pas, tandis que le Livre de l’année est élu par un vote de 300 personnes. »Le jeune écrivain, Marek Šindelka, a remporté le prix Magnesia Litera dans la catégorie « Prose » pour un recueil de contes intitulés « Restez avec nous » ( Zůstaňte s námi ). A 27 ans, cet auteur prometteur a déjà à son compte un roman, une bande dessinée et un recueil de poésie couronné par le prix Jiří Orten. Ses contes d’une conception quasi cinématographique, sont écrits dans un style précis et concis et regorgent d’un humour vif, sarcastique et parfois noir. Le conte qui a donné le titre à tout le recueil « Restez avec nous » est raconté par la voix d’un modérateur de télévision cynique, les héros des autres contes réunis dans ce livre sont en majorité des jeunes hommes d’environ vingt ans, mal dans leur peau. L’auteur cherche le sens de l’existence humaine dans la banalité, la grisaille quotidienne et la dérision. Marek Šindelka a caractérisé son livre par ses paroles :« ‘Restez avec nous’ est un livre sur les liens qui se désagrègent, qui ont fini de mûrir et commencent à se gâter. C’est un livre sur la manipulation, sur l’amour qui dégénère en combat, sur le langage qui devient instrument de ce combat. »
Le temps manque pour présenter ici les lauréats de toutes les catégories du prix Magnesia Litera, mais nous pouvons tirer de cette compétition littéraire deux observations générales. Parmi les lauréats de cette année on trouve plusieurs jeunes auteurs ce qui pourrait être considéré comme un bon présage pour l’avenir de la littérature tchèque. D’autre part il faut constater que les auteurs et lecteurs actuels, et même les jeunes auteurs, sont de plus en plus attirés par le passé, par la littérature qui se nourrit du passé et de documents historiques et biographiques. Josef Chuchma a une explication pour ce phénomène :
« Je pense que le penchant pour les mémoires, les documents, les synthèses historiques est dû, chez les auteurs et même chez les lecteurs, au besoin de trouver un ancrage. Le présent est tellement fluide que l’on se tourne vers le passé et l’on réussit, au moins dans les livres, à le saisir d’une façon systématique et en faire un point fixe pour résister à l’extrême fluidité du temps présent. »
Le Prix des lecteurs a été remporté par le recueil « Les nouveaux contes » de Zdeněk Svěrák, homme de théâtre, comédien de cinéma et scénariste célèbre pour lequel cette distinction n’est que la reconnaissance d’une des nombreuses facettes de son talent. Zdeněk Svěrák, auteur du scénario et interprète du film Kolya ayant remporté un Oscar à Hollywood, se dit fatigué par le cinéma et écrit désormais des contes, des récits courts qui ne manquent cependant ni d’émotion ni d’humour. Il excelle dans ce genre modeste et difficile comme d’ailleurs dans pratiquement tout ce qu’il a fait jusqu’à présent.