Myko ou la vie secrète des champignons
« Nous sommes les champignons, un empire fier, libre et indépendant des êtres vivants qu'il faut respecter et avec lesquels il faut compter ». C'est ce qu'on lit dans un manifeste qui sert de préface au livre intitulé Myko, ouvrage dans lequel son auteur Jiří Dvořák fait découvrir aux jeunes lecteurs le monde infiniment complexe des champignons. Le livre a obtenu le prestigieux prix Magnesia litera 2024 dans la catégorie Livre d'enfance et de jeunesse.
Un magazine rédigé par les champignons
Pour attirer les jeunes lecteurs, Jiří Dvořák a choisi une perspective inversée. Ce n'est pas lui qui présente dans le livre le monde des champignons, mais ce sont les champignons eux-mêmes qui prennent l'initiative et se présentent en tant qu'une communauté souveraine, étonnante et omniprésente. C'est ainsi que l'auteur explique la méthode qu’il a choisie :
« Quelle forme donner à ce livre ? - Telle était la première question qui s'imposait et le premier pas important qu'il fallait faire. Et je pense, comme il arrive souvent dans la création littéraire, que c'était mon subconscient qui m'a fait découvrir cette forme. Je veux dire par là que je me suis imposé la tâche d'inventer une forme originale de livre pour enfants sur les champignons. Je cherchais dans l'obscurité et tout à coup j'ai eu l'idée de lancer un magazine qui serait rédigé par les champignons eux-mêmes. »
Les champignons sont comme nous
Le livre a donc pris la forme d'un recueil de plusieurs numéros d'un magazine d'informations sur le monde des champignons. Dès le premier numéro, les champignons donnent le ton et déclarent fièrement leur indépendance : « Nous ne sommes ni les plantes, ni les animaux, nous sommes les champignons. » Ils rappellent qu'en 1969, le botaniste et écologue américain Robert Whittaker les a individualisés et qu'ils occupent désormais une place indépendante à côté des règnes animal et végétal. Cette émancipation n'est cependant qu'un premier pas d'un processus qui leur permet de se présenter dans leur complexité et de se défendre contre les préjugés et les idées reçues qui les concernent. Et selon Jiří Dvořák, cette rébellion, cette nouvelle fierté des champignons, se reflète dans les articles de leur magazine :
« Les champignons sont comme nous ! Ils ont des intérêts semblables aux nôtres, ils ont les rubriques semblables dans leurs périodiques. Ils ont tendance à se confronter avec les hommes, à les tourner en dérision, à se moquer d'eux. Et je pense qu'ils s'amusaient bien en écrivant les textes de ce magazine. »
Un intrus dans le monde des champignons
Le livre abondamment illustré par Daniela Olejníková démontre que les champignons ont de quoi être fiers. La richesse et la diversité de leurs formes sont prodigieuses. Leurs 75 000 espèces pourraient éclipser les autres formes de la vie, mais ils occupent le monde discrètement et presque clandestinement. Seulement quelques dix pourcents d'entre eux se manifestent par des sporophores, c'est-à-dire la forme classique de champignon avec le chapeau et le pied. Le reste échappe à la perception de l'homme, qui ne se rend pas compte que le monde dans lequel il vit est en réalité un univers des champignons dans lequel il fait figure d'intrus. Il s'avère que les champignons sont présents dans le registre fossile depuis 450 millions d'années et qu'ils ont réussi à coloniser pratiquement toute la Terre, y compris les mers dans lesquelles ils vivent en général en symbiose avec les algues. Jiří Dvořák constate :
« Les champignons sont relativement compétitifs. Ils ont atteint toute une série de records. Quand ils s'y mettent, et cela ne vous surprendra sans doute pas, ils sont capables de battre les hommes, les animaux et les plantes. Et ce sont aussi leurs records qui figurent dans le magazine. Vous allez voir. »
Les éboueurs du monde
Les champignons revêtent toutes les couleurs et prennent presque toutes les dimensions, depuis les plus infimes jusqu'aux incommensurables. Ils se divisent en d'innombrables familles dont les cèpes, mais aussi par exemple les levures et les fonges. Ces éboueurs du monde jouent un rôle irremplaçable dans l'écosystème terrestre parce qu'ils parviennent à liquider, à transformer et à fertiliser tout ce qui meurt et se décompose. Ils sont responsables du processus de fermentation et de cuvage. Sans eux, nous n'aurions ni de pain, ni de vin. Et ils se déclarent convaincus, dans leur magazine, que ce sont bien les fonges qui méritaient le prix Nobel pour la découverte de la pénicilline et non pas Sir Alexander Fleming. Ils y apportent aussi d'innombrables preuves qu'ils peuvent se mesurer avec tous les organismes vivants et même les dépasser. Jiří Dvořák partage cet avis :
« Avec la plus grande probabilité, le plus grand organisme sur Terre est un champignon. Nous ne nous en rendons pas compte parce que nous ne le voyons pas. Nous ne voyons que ces quelques "fructifications" ou sporophores qui émergent sur la surface de la terre. Mais le mycélium peut s'étendre sur plusieurs kilomètres carrés et ne peut être surpassé par aucune baleine ni par aucun séquoia. »
La politique des champignons
La présence des champignons sur la Terre est donc absolument indispensable et d'une importance vitale pour toute la planète. Ils s'étonnent que les Hommes ne se rendent pas encore compte de cette importance et expliquent cette ignorance par un degré d'évolution inférieur de la race humaine. Comment les Hommes, cette population nouvelle et immature, pourraient-ils rivaliser avec eux, qui habitent le monde depuis plus de 450 millions d'années. Comment pourraient-ils comprendre l'organisation parfaite des structures de cette population secrète ? Les hommes qui les cueillent dans les forêts, ne se sont même pas aperçus du fait que les champignons ont aussi leur culture, leur histoire, leurs légendes, leurs sports et leurs records. Et Jiří Dvořák ajoute qu'ils ont aussi leur politique :
« Dans leur politique, les champignons se réfèrent surtout aux Hommes avec lesquels ils partagent le milieu dans lequel ils vivent, c'est-à-dire la nature. Ils examinent d'un regard critique la façon dont les hommes profitent des capacités créatrices des champignons et de leurs inventions, dont par exemple l'alcool. Ils suggèrent aux Hommes comment il faut se comporter dans la nature, parce que les Hommes ne sont pas les seuls êtres qui y vivent. Et il faut dire aussi que les champignons se racontent entre eux que ce sont eux-mêmes qui ont créé et programmé l’Homme. Je ne sais pas si c'est la vérité, mais c'est ce qui est écrit dans le magazine. »
( Le livre Myko de Jiří Dvořák et de Daniela Olejníková est sorti aux éditions Baobab.)
