Michel Perottino : « Ce type d’élection a vocation à diviser »

Photo: CTK

C’est l’information phare du weekend : Miloš Zeman sera le prochain président de la République tchèque après sa victoire samedi face à Karel Schwarzenberg. Quel bilan tirer de ce premier scrutin au suffrage universel direct ? Comment comprendre les résultats ? Anna Kubišta s’est entretenue samedi après l’annonce des résultats avec Michel Perottino, politologue et chercheur au Centre français de recherches en sciences sociales à Prague.

Michel Perottino
Tout d’abord : quelle est votre réaction par rapport à ce résultat ? Êtes-vous surpris par l’écart entre les deux candidats ?

L’écart est sans doute plus surprenant que le résultat final. Miloš Zeman à 55% c’est effectivement un résultat surprenant.

Qu’est-ce qui a décidé les Tchèques au moment de se rendre aux urnes ?

Il y a premièrement un autre constat à faire, c’est que le taux de participation a été légèrement plus faible qu’au premier tour. Ce qui a pu décider les électeurs c’est la situation au niveau des médias, avec une approche parfois assez subjective de certains médias. Il y a aussi l’omniprésence d’un candidat par rapport à l’autre : l’omniprésence de Karel Schwarzenberg par rapport à Miloš Zeman. Ce qui a pu les décider c’est aussi les débats télévisés et certaines maladresses de la part de certains candidats. Pour l’instant on n’a pas encore de données précises sur les motivations du vote mais selon moi c’est plutôt dans cet ordre là qu’on devrait les chercher.

Photo: CTK
Vous parliez du taux de participation qui est à peu près de 59% alors qu’il était de 61% au premier tour. Il a quand même été plus élevé que pour d’autres élections comme les élections législatives ou régionales. Quel est l’enseignement que l’on peut en tirer ?

Effectivement le taux de participation a été relativement plus élevé que pour d’autres élections, mais il faut rappeler bien sûr que c’était la première élection directe du chef de l’Etat donc ça a peut-être joué. Par contre une des incertitudes qu’on pouvait avoir avant le deuxième tour était justement sur la participation, puisqu’on disait que plus la participation était élevée plus Karel Schwarzenberg était avantagé. Finalement, le taux de participation a joué en faveur de son adversaire.

Vous avez mentionné les débats télévisés, qui n'ont pas été épargnés par les attaques personnelles. Quelles sont les conclusions que l’on peut tirer de cette campagne plutôt négative de l’entre-deux tour ?

Miloš Zeman et Karel Schwarzenberg,  photo: CTK
Je dirais que la campagne, malheureusement, a rempli les craintes que l’on pouvait avoir depuis que l’on a su que l’élection serait au scrutin direct, c’est-à-dire que le deuxième tour serait très personnel, très dramatique. Cela est vrai sans doute des deux côtés : je ne suis pas sûr que l’un des candidats ait été plus négatif que l’autre.

Est-ce qu’on peut dire que, d’une certaine façon, en dehors du fait que c’est la toute première élection présidentielle au scrutin direct, c’est tout d’abord un manque de maturité de la scène politique tchèque ?

Manque de maturité, je ne sais pas. C’est aussi en partie à cause d’une médiatisation à outrance de certains aspects et l’oubli d’autres. C’est plutôt cela qu’il faut prendre en considération ; c’est un mélange d’éléments.

Miloš Zeman,  photo: CTK
Le passage de l’élection indirecte à l’élection directe a été très controversé. Pensez-vous que c’était une bonne chose ? Beaucoup ont dit que cela a éloigné les soupçons de corruption qui pesaient sur la présidentielle, par exemple lors de la dernière élection au scrutin indirect.

Oui, on peut sans doute dire ça, c’est peut-être un avantage. L’inconvénient de ce type élection, et on l’a très bien vu au deuxième tour, c’est qu’elle a vocation à diviser. Il y a une approche binaire : soit on est pour l’un soit on est pour l’autre. Le choix de l’électeur est incompatible avec la victoire du contre-candidat. Il y a une division de la société qui est, elle, relativement nouvelle, que l’on n’a pas avec les élections parlementaires.

Karel Schwarzenberg,  photo: CTK
Cette fracture est assez intéressante puisque d’un côté on avait l’impression qu’il y avait une République tchèque jeune, dynamique, citadine, qui était pour Karel Schwarzenberg et de l’autre une République tchèque des terroirs, des campagnes, plutôt pour Miloš Zeman.

C’est effectivement l’image que l’on a pu avoir du premier tour, mais au premier tour on a un résultat qui se décline en termes de « arrivé en première place » : le premier n’a pas gagné. Là, on a l’image d’une République tchèque un peu plus unifiée puisqu’on voit que Zeman est arrivé en tête dans la plupart des districts, à l’exception de Prague qui a voté pour Schwarzenberg. Cela renforce certains clivages, ou ça a l’air de renforcer certains clivages, mais il ne faut pas oublier que c’est un schéma classique : Prague vote et est « une autre République tchèque » que le reste du pays.