Miloš Zeman élu nouveau président de la République tchèque
Miloš Zeman sera le prochain président de la République tchèque. Les électeurs qui se sont déplacés vendredi et samedi pour élire leur nouveau chef de l’Etat ont effectué un choix très net puisque près de dix points séparent l’ancien premier ministre social-démocrate (54,80% des voix) de son adversaire, l’actuel ministre des Affaires étrangères et président du parti conservateur Karel Schwarzenberg (45,19%).
« J’estime également le vote des électeurs de mon adversaire, car avec leur participation ils ont donné la preuve de leur activisme citoyen. Et c’est ce qui devrait être important pour nous. Je promets qu’en tant que président élu par les citoyens, je m’efforcerai d’être le président de tous les citoyens. »
Le Premier ministre Petr Nečas a rapidement réagi à l’élection de Miloš Zeman. Après avoir félicité le candidat de son camp, Karel Schwarzenberg, pour sa participation au scrutin, il a tenu à assurer Miloš Zeman du respect dans lequel il tenait sa candidature, quand bien même ils sont idéologiquement opposés sur l’échiquier politique :« J’ai parlé avec les candidats au téléphone. J’ai félicité Miloš Zeman pour son élection. Je suis persuadé qu’il est un candidat logique à la fonction présidentielle. Il était même le candidat le plus naturel de tous les candidats puisque l’après 1989 a vu l’émergence de trois personnalités fortes : Václav Havel, Václav Klaus et Miloš Zeman. De ce point de vue, ses aspirations à la présidence étaient naturelles. »
Karel Schwarzenberg, quant à lui, candidat malheureux, mais qui avait déjoué les sondages au premier tour en réalisant un score spectaculaire le qualifiant pour le second, a exprimé ses félicitations à son adversaire, mais a regretté l’atmosphère négative de la campagne de l’entre-deux-tours et le clivage créé au sein de la société :
« Je ne peux prévoir si Miloš Zeman va parvenir à réduire ce clivage. Dans mon message de félicitations, je lui ai vivement souhaité qu’il parvienne à être le président de tous les citoyens, j’espère que ce sera le cas. »
Et c’est peut-être l’habileté politique de Miloš Zeman à s’engouffrer et à exploiter les faiblesses de son adversaire qui explique sa nette victoire. L’historien Alain Soubigou, spécialiste de l’Europe centrale, dresse pour nous un portrait du candidat victorieux :« Miloš Zeman, c’est quelqu’un de très matois, de rusé, un renard de la politique. Il est très averti de la chose politique au moins au niveau national. Et c’est là que l’on pourrait peut-être introduire des nuances au niveau international. D’un côté son engagement européen est indubitable. D’un autre côté, il est un peu moins connu que son adversaire Karel Schwarzenberg qui a un peu plus voyagé à la faveur de ses fonctions de ministre des Affaires étrangères. »
Karel Schwarzenberg s’est appuyé sur une campagne très active sur Internet et notamment sur les réseaux sociaux, ciblant principalement les élites urbanisées et la jeunesse. Il n’a cependant pas su mobiliser les électeurs derrière sa candidature, sa communication voulant le faire passer pour un punk mais parvenant difficilement à cacher son appartenance au gouvernement de Petr Nečas, très impopulaire. On écoute le politologue Lukáš Macek qui dirige la section centre-européenne dijonnaise de Sciences Po :
« Les jeunes électeurs, les primo-électeurs, qui étaient sans doute une des cibles et l’un des espoirs de Karel Schwarzenberg n’ont probablement pas été si nombreux que ça à se déplacer. Cela reste à vérifier mais il y a peut-être là quelque chose qui a manqué. Le ton qui a dominé entre les deux tours a été largement dominé par Miloš Zeman et sa campagne sur des thèmes qui sont très contestables. »
Miloš Zeman a ainsi attaqué son adversaire sur sa « tchéquité ». Le noble Karel Schwarzenberg a suivi ses parents en exil en Autriche dans son enfance et mettre en doute son attachement à la République tchèque a sans doute permis de s’attirer les faveurs d’un certain électorat. Un sondage pour la Télévision tchèque révélait ainsi que parmi les principaux reproches adressés au candidat conservateur, se trouvaient en bonne place le fait qu’il n’était pas assez « Tchèque » et le fait qu’il s’exprimait mal, voire qu’il ne savait pas parler la langue du pays qu’il entendait pourtant représenter. L’ancien chef de la social-démocratie a également provoqué le prince Schwarzenberg sur les décrets Beneš, qui expulsèrent au lendemain de la Seconde mondiale guerre les populations germaniques de Tchécoslovaquie. Le candidat conservateur a réagi en considérant que cette mesure serait aujourd’hui susceptible d’être jugée à la Cour pénale internationale en tant que crime de guerre. Alain Soubigou évoque cet épisode qui a polarisé le débat sur une question sensible de mémoire que l’on pensait pourtant moins vivace :« Que Miloš Zeman lance des peaux de banane, c’est la logique démocratique. Que des seconds couteaux aux côtés de Miloš Zeman, plus que des peaux de banane, aient jeté des boules puantes à l’encontre de Karel Schwarzenberg, ça fait malheureusement partie aussi de la compétition démocratique. Je crois que sur le chapitre notamment des décrets Beneš, Karel Schwarzenberg, peut-être au nom d’une conception de la démocratie qui l’honore, s’est mis tout seul en difficulté. Le choix de mettre en cause la position juridique d’un ancien président, en l’occurrence Edvard Beneš, a été perçu par les électeurs tchèques comme assez maladroit. »Malgré ce débat houleux, la campagne est apparue relativement sérieuse et la crainte que la première élection présidentielle tchèque au suffrage universel direct tourne au spectacle de téléréalité avec des candidats fantaisistes ne s’est pas vérifiée. On écoute le politologue Lukáš Macek :
« Il y a des gens qui disaient que nous allions nous retrouver avec une chanteuse pop contre une star de foot et je constate que ce n’est absolument pas ce qui c’est passé. Et la maturité politique des électeurs tchèques n’est pas à mettre en cause. C’est une élection qui est restée sur le terrain politique. »
Au final, la question se pose désormais de savoir de que l’élection de Miloš Zeman va signifier pour la République tchèque dans les cinq années à venir. Le politologue Michel Perottino s’est exprimé à ce sujet au micro de Radio Prague :« On est sans doute en droit d’attendre de Miloš Zeman une forme d’activisme plus développé que ces prédécesseurs, plus développé que celui que l’on aurait pu attendre de Karel Schwarzenberg. C’est principalement dû à la personnalité de Miloš Zeman, à son parcours politique jusqu’à présent, au fait que tout le monde attend cela de lui. Il a également prévenu qu’il serait sans doute plus actif que ses prédécesseurs. Par contre au niveau international, je ne pense pas que cela change grand-chose au niveau de l’un et l’autre. »
Miloš Zeman prendra ses fonctions le 8 mars prochain. Mais dès la semaine prochaine, vous retrouverez des analyses plus approfondies de cette élection sur l'antenne et sur le site de Radio Prague avec Michel Perottino, Lukáš Macek et Alain Soubigou.