Michel Perottino : « S'il y a un vainqueur du premier tour de l'élection présidentielle, c'est plutôt Klaus »
Quelques jours après le premier tour des élections présidentielles au suffrage universel direct, c'est le politologue Michel Perottino qui analyse les résultats.
« C'est certainement une surprise par rapport aux sondages qui donnaient vainqueur Miloš Zeman d'un côté et Jan Fischer de l'autre. Néanmoins, les tendances se sont inversées la dernière semaine avant l'élection et les résultats ont confirmé cette montée de Schwarzenberg dans les derniers jours précédant l'élection. »
Est-ce Jan Fischer qui a perdu ou Karel Schwarzenberg qui a gagné ? Est-ce Jan Fischer qui a commis des erreurs ou est-ce vraiment la campagne de Karel Schwarzenberg qui a lui a permis de faire ce bon résultat ?
« Il y a sans doute un peu des deux. Premièrement, Fischer a commencé sa campagne très tôt. Il a très vite été présenté comme le meilleur candidat potentiel et, vraisemblablement, sa campagne s'est essoufflée sur les dernières semaines et derniers jours. A fortiori, il y a eu un effet de fatigue sur ses électeurs, et a fortiori également, il n'a pas toujours été à la hauteur de ce qu'on attendait de lui, notamment dans les débats télévisés. Inversement, ou de l'autre côté, Schwarzenberg a fait une très bonne campagne. Comme on dit un peu partout de nos jours, ses communicants ont très bien communiqué. Dans les grandes villes, notamment auprès des jeunes, Karel Schwarzenberg, peut-être paradoxalement, a réussi à remonter la pente. Dernier point également, ce qui a sans doute beaucoup apporté à Karel Schwarzenberg, c'est l'absence du candidat ODS – Sobotka – qui n'était pas à la hauteur du scrutin. »En parlant du vote des jeunes, on attendait un score relativement important du candidat Vladimír Franz – un score qui a finalement été beaucoup plus faible que prévu ? Que s'est-il passé pour Vladimír Franz ?
« Dès le début, Vladimir Franz s'est présenté ou a été présenté comme un candidat canular. De ce point de vue-là, il a attiré la sympathie de beaucoup de gens, notamment pour ses soutiens, et il a pu être ressenti comme le candidat de la jeunesse. On n'a pas encore assez de données sur les votes de Franz pour pouvoir dire qu'il y a eu un échec de ce point de vue. Quand j'ai dit que Karel Schwarzenberg avait réussi sa campagne et notamment réussi à obtenir le soutien des jeunes, il s'agit d'une partie de la jeunesse, notamment une partie de la jeunesse très friande des réseaux sociaux – facebook, twitter – et qui a été sensible à une certaine image du candidat Schwarzenberg. »Un des objectifs de cette première élection présidentielle au suffrage universel direct était de mobiliser les électeurs dans une démocratie que l'on qualifie parfois de démocratie qui s’essouffle, où les électeurs tchèques ne vont plus voter. Le pari est-il réussi de ce point de vue ?
« Je crois que les raisons réelles pour lesquelles les partis, puis ensuite les députés et les sénateurs tchèques ont avalisé l'élection directe du chef de l'Etat, sont plus complexes et plus conjoncturelles. Si néanmoins on prend cette idée d'essayer de revitaliser la démocratie, le résultat n'est pas à la hauteur des attentes que l'on aurait pu avoir. Effectivement, un peu plus de 60% de participation pour une première élection directe, ce n'est pas un résultat extraordinaire. »
Le deuxième tour de ces élections se tiendra dans une dizaine de jours. Beaucoup donnent Miloš Zeman gagnant, mais ce n'est pas évident. Comment va s'organiser le report des voix ? Peut-on calculer déjà le report de voix de certains candidats éliminés ? Jiri Dientsbier a annoncé qu'il ne voterait pas Miloš Zeman. Y a-t-il eu d'autres réactions ? Les candidats vont-ils être suivis par leurs électeurs ?
« La plupart des candidats de la droite établie ou du centre-droit, notamment le candidat de l'ODS, Sobotka, ont immédiatement appelé à voter Schwarzenberg. C'est également le cas de Mme Roithova, du parti social-démocrate chrétien, qui a également appelé à voter Karel Schwarzenberg au deuxième tour. Concernant le report des voix, il est relativement difficile de savoir ou de prévoir si l'électorat va aller voter et si donc, effectivement, il n'y aura pas cette tendance à accroître l'abstention. Deuxièmement, la structure de l'électorat des autres candidats – principalement de Fischer et celle de l'électorat de Franz partiellement également – tend à indiquer qu'il risque d'être compliqué de prévoir ce report des voix vers Schwarzenberg ou très éventuellement vers Miloš Zeman. »
« Premièrement, pour l'électorat de Franz, beaucoup de commentateurs ont relevé le fait que c'est un électorat qui de toute façon ne serait pas allé voter. Il y a donc de fortes chances pour que cet électorat de Franz, quelle que soit l'indication que donne Vladimír Franz, n'aille pas voter au deuxième tour. »
« L'électorat de Fischer est un électorat relativement compliqué ou complexe parce qu'on y retrouve tous les anciens électorats de partis. Tous les électorats sont représentés dans cette candidature de Fischer, ce qui implique que c'est un électorat plus difficile à contrôler, un électorat plus difficile à amener à voter pour l'un ou l'autre des deux candidats restants. Par ailleurs, aujourd'hui se pose encore la question de la décision de Fischer, à savoir s'il va inviter ses électeurs à reporter leurs voix vers tel ou tel candidat. Fischer était plutôt très déçu, voire dégoûté de ce résultat. »« Au niveau de l'électorat de Schwarzenberg, on retrouve déjà ce gros bataillon d'électeurs TOP 09 et ODS. Schwarzenberg a déjà beaucoup fait la pêche à son électorat de droite, conservateur, ce qui explique en partie pourquoi Sobotka s'est effondré. Pour Zeman, l'électorat Zeman et l'électorat Dientsbier sont relativement proches. On retrouve d'anciens électeurs de la social-démocratie, d'anciens électeurs du parti communiste. Il est donc possible qu'il y ait un report plus clair au profit de Miloš Zeman. Ceci étant dit, Miloš Zeman est une personne très critiquée, rejetée y compris à gauche, et sa personnalité risque de lui porter préjudice également. »
On voit une forte disparité géographique entre Karel Schwarzenberg qui a un électorat plutôt urbain et Miloš Zeman qui a son électorat plutôt situé en Moravie et dans les zones rurales du pays. Qu'est-ce qui explique ce phénomène et quelles sont les conséquences que cela aura pour ce deuxième tour d'élection ?
« Je vais prendre le problème à l'envers. En dépit de ce que dit Karel Schwarzenberg, à savoir qu'il refuse un combat droite-gauche, on retrouve dans ces résultats des tendances longues ou lourdes de la vie politique tchèque. Faire cette carte sur les résultats des deux premiers, ça marche. Effectivement, on a ce clivage entre un pays plutôt rural, plutôt morave et plutôt dans les couches de la société plus faibles économiquement, qui va voter pour Zeman. Pour Schwarzenberg, on retrouve les classiques du vote plus conservateur, ou disons plus à droite, avec un électorat plus urbain, plus éduqué, plus élevé économiquement. Donc, en soit, ce n'est pas une particularité qui est liée à ces deux candidats mais à leurs électorats, qui sont déjà très marqués politiquement. Oui, chacun représente une République tchèque, chacun représente une tendance idéologique différente, même si Dienstbier a rejeté l'idée que Zeman est à gauche. On peut discuter là-dessus mais, fondamentalement, il y a ce clivage, ces clivages qui se recoupent et qui nous permettent de dire que l'un est plutôt à droite, l'autre plutôt à gauche, très clairement. »« Juste un dernier point qui m'a aussi marqué : le positionnement de Václav Klaus sur la question. Václav Klaus a déjà dit que ces élections étaient la plus grande défaite de la droite tchèque depuis 1989, ce qui contredit ce que je viens de dire. Je dis que Schwarzenberg est clairement à droite, Klaus dit que Schwarzenberg n'est pas à droite mais ailleurs, sous-entendu, j'imagine qu'il est à gauche. Il y a vraisemblablement déjà un positionnement de Klaus pour le futur. Il se positionne déjà comme le futur sauveur d'une certaine partie de l'échiquier politique tchèque. »Pour dans cinq ans ?
« Dans cinq ans. Ce n'est pas de la pure théorie. Il est un peu plus jeune que Karel Schwarzenberg. C'est tout à fait envisageable. Et le résultat, si on devait être un peu paradoxal ou même ironique, serait de dire que s'il y a un vainqueur du premier tour de l'élection présidentielle tchèque, c'est plutôt Klaus. »