Michel Swierczewski entre Hoffmann et Offenbach (Première partie)
C’est le père de la littérature fantastique E.T.A. Hoffmann qui est le héros de l’opéra qui couronne la carrière de Jacques Offenbach. A la fin de sa vie, le compositeur qui doit sa célébrité à la muse légère, à l’opérette, crée une oeuvre dans le style de grand opéra français basé sur les contes de l’écrivain dont le nom est presque un synonyme du romantisme allemand. Ces jours-ci, « Les Contes d’Hoffmann », le dernier opus de Jacques Offenbach, est revenu au répertoire du Théâtre national de Prague. Le chef d’orchestre français Michel Swierczewski, artisan de cette nouvelle production, évoque cette expérience difficile et complexe au micro de Radio Prague :
« Oui, pour moi c’est un écrivain très important. J’avais déjà lu beaucoup de ses oeuvres. Pour moi, ça avait toujours été un rêve de faire une production des Contes d’Hoffmann parce que c’est lié avec un musicien que j’adore, Jacques Offenbach, musicien de théâtre extraordinaire, et avec Hoffmann. »
Connaissez-vous aussi l’oeuvre musicale de Hoffmann qui est aujourd’hui un peu oubliée. Il n’est pas assez connu que Hoffmann était un excellent compositeur…
« J’ai entendu des oeuvres mais je ne les ai jamais interprétées. Absolument pas. »Dans quelle mesure l’idée que vous vous êtes faite d’Hoffmann correspond à l’image de cet artiste dans l’opéra d’Offenbach ?
« Evidemment au niveau du livret et en particulier avec Barbier, le librettiste d’Offenbach, il y a énormément de choses qui ont été modifiées. Mais Offenbach est un homme de théâtre, c’est même un avant-gardiste à ce niveau-là, parce que finalement quand ont voit la façon dont il composait, en prenant un bout par ci, un bout par là, en rajoutant des bouts d’oeuvres qui viennent aussi d’autres œuvres, c’est presque un précurseur de la musique de film par exemple… »
Vous dirigez souvent de la musique moderne. Dans quelle mesure la production des ‘Contes d’Hoffmann’ était pour vous une excursion sur un terrain inexploré ?
« Je fais effectivement beaucoup de musique moderne, contemporaine mais grâce à mon action avec le Théâtre impérial de Compiègne pendant maintenant plus de quinze ans, je participe beaucoup à la recréation et à la remise à jour des œuvres en particulier du répertoire lyrique français qui étaient très connues au XIXe siècle et qui sont tombées dans l’oubli. Si je prends l’opéra français du XIXe siècle, pour moi le travail de remontage de ces œuvres s’apparente au même travail que je fais pour la défense des œuvres contemporaines. Pour moi, c’est exactement la même chose. »Offenbach a été surtout un compositeur d’opérettes. Il n’a écrit que deux opéras dont l’un est maintenant presque oublié. Pourquoi peut-on dire aujourd’hui que « Les Contes d’Hoffmann » sont son chef d’œuvre ? Quelles sont les qualités de cet opéra qui justifient une telle opinion ?
« L’importance des Contes d’Hoffmann n’est apparu qu’assez récemment. Jusqu’à la fin du XXe siècle, jusqu’aux années quatre-vingt-dix, on ne connaissait de l’oeuvre que la partition éditée par Choudens avec les énormes coupures faites après la mort d’Offenbach au moment de la création de l’oeuvre à l’Opéra comique et on ne connaissait donc pas vraiment cette oeuvre. Ce qui a été extraordinaire et révélateur à mon avis, c’est l’apparition de ces 1250 pages de manuscrits au début des années quatre-vingt-dix et plus récemment encore d’autres parties du cinquième acte. Donc finalement l’œuvre reconstituée est un ouvrage gigantesque avec de multiples alternatives dont celles pour les trois personnages féminins principaux, trois femmes qui peuvent être jouées par une seule. A ce titre Offenbach a écrit des versions spéciales. »Il existe donc aujourd’hui plusieurs versions de cet opéra. Laquelle avez-vous finalement choisi et pourquoi ?« Ce qu’on a choisi pour le Théâtre national c’est forcément une version hybride parce qu’il y avait des problèmes. La base c’est l’édition qui a été faite dans les années quatre-vingt-dix par le musicologue américain Michael Kay et le spécialiste d’Offenbach en France Jean-Christophe Keck, qui ont reconstitué une partition cohérente à partir de ces 1250 nouvelles pages du manuscrit. »
L’oeuvre a été mise en scène par Ondřej Havelka. Avez-vous réussi à vous identifier avec sa conception ? Cela vous a-t-il posé des problèmes ?
« Non, absolument pas. On a beaucoup échangé, on a d’abord une très grande complicité. Ondřej ne parle pas français donc il disposait d’une traduction pour faire la mise en scène. Comme je m’investis totalement dans une production quand j’y participe, je l’ai beaucoup assisté en particulier pour la compréhension du texte français, pour qu’il n’y ait pas de contresens, pour qu’il y ait une unité de style. Même pour la mise en scène on a travaillé vraiment ensemble. Mais c’est normal. Pour moi, cela fait partie de mon travail. »
Ondřej Havelka s’est inspiré pour la conception de cet opéra des tableaux du peintre surréaliste René Magritte. Avez-vous décelé, vous aussi, dans cette production ces aspects oniriques, surréalistes ?
« Oui, déjà dans l’œuvre écrite, dans l’œuvre littéraire d’Hoffmann, il y a beaucoup de miroirs, de doubles, d’apparitions et c’est vrai qu’à ce niveau-là ‘Les Contes d’Hoffmann’ sont proches de l’univers surréaliste. Ce qui est le plus proche des ‘Contes d’Hoffmann’ pour moi, c’est finalement l’ambiance et le monde de la poésie française à l’époque, c’est-à-dire à la fin du XIXe siècle. Il ne faut pas oublier que c’est le temps de Verlaine et de Rimbaud avec toutes les expériences hallucinatoires, avec l’absinthe, l’alcool et l’opium, avec toutes ces expériences des milieux intellectuels de ce temps-là. L’opéra d’Offenbach est sous-titré ‘Opéra fantastique’, on assiste donc en fait à une expérience hallucinatoire. Ce sont finalement les surréalistes qui se sont inspirés de cette période puisque le surréalisme est vraiment postérieur. Il est apparu quarante ans plus tard. »(La seconde partie de cet entretien sera présentée dans cette rubrique samedi prochain.)