Michel Swierczewski entre Hoffmann et Offenbach (Deuxième partie)
Les contes de E.T.A. Hoffmann, père du romantisme allemand, ont subjugué beaucoup de lecteurs et inspiré beaucoup d’artistes. Parmi ceux qui ont subi le charme de ces petits chefs d’oeuvre de littérature fantastique se trouve le compositeur Jacques Offenbach et aussi, plus près de nous, le chef d’orchestre français, Michel Swierczewski. C’est à ce dernier que le Théâtre national de Prague a confié la direction musicale de la nouvelle production de l’opéra «Les contes d’Hoffmann» de Jacques Offenbach dont le librettiste, Jules Barbier, avait non seulement utilisé les motifs tirés de l’oeuvre de Hoffmann mais avait fait de l’écrivain romantique aussi le personnage principal de l’opéra. Pour Michel Swierczewski il s’agit de la première grande production réalisée au Théâtre national. Il a évoqué cette collaboration mais aussi son rapport vis-à-vis de Hoffmann et d’Offenbach au micro de Radio Prague. Voici la seconde partie de cet entretien :
« Non, c’est principalement le directeur artistique Jiří Heřmann. On a été bien sûr en concertation. J’ai été ravi que ce soit Marc Laho qui chante Hoffmann puisqu’il n’y pas de meilleur Hoffmann à l’heure actuelle. C’est une voix très spéciale. C’est vraiment une voix de ténor français. Souvent j’ai vu des productions des ‘Contes d’Hoffmann’ où tout le monde hurlait sur scène parce qu’on a l’impression que c’est un rôle très lourd. En fait il faut retrouver le style de chant français du XIXe siècle pour le faire bien. Et Marc le fait d’une façon idéale d’autant plus, bien sûr, que son français est absolument parfait. C’est le Hoffmann idéal à l’heure actuelle. »
Y a-t-il dans cette distribution aussi d’autres chanteurs qui se rapprochent de l’idéal ?
«J’ai été très séduit par la Antonia de Katie Beth van Kooten. Elle connaît très très bien le rôle. Au départ, quand elle est arrivée, c’était pour moi un peu américanisé, c’est-à-dire un peu sur le ton de mélodrame qui, pour moi, est un contresens vis-à-vis d’Antonia. Donc je l’ai orientée par exemple dans la romance ‘Elle a fui la tourterelle’ par laquelle démarre le troisième acte, l’acte d’Antonia. Cela doit être quelque chose justement de très fugitif comme une mélodie de forêt, sans affectation. C’est très difficile pour un chanteur non français de comprendre que ça doit être chanté sans affectation et faire ce que Ravel disait, c’est-à-dire que la non-expression donne l’expression, et que la couleur d’orchestre ou la couleur vocale, le phrasé exact donnent l’expression et l’émotion. On a beaucoup travaillé ensemble et elle est très bien arrivée à ça. Et j’ai été aussi très séduit par le Coppélius de Donnie Ray Albert parce que ce qu’il fait n’est pas appuyé, caricatural. C’est quelque chose qui passe dans le double sens du texte, dans la couleur vocale, dans le phrasé aussi. On arrive à des situations dramatiques même beaucoup plus fortes que quand on fait des effets de voix, quand on pousse sa voix au maximum ce qui ne sert absolument à rien dans la musique française. »L’opéra est chanté en français. Avez-vous été content du niveau du français des chanteurs ?
« J’ai énormément travaillé avec tout le monde sur la diction. D’abord, ce qui est très important pour moi au-delà de la diction, c’est la compréhension du texte y compris quand il y a des doubles sens. Il y a certains chanteurs que j’ai pris en charge dès le mois de juin de l’année dernière. On a organisé aussi des sessions de français et l’Institut français de Prague nous offert très gentiment un professeur. Après il y a en eu des sessions très intensives en décembre. Le groupe qui s’est le plus investi au niveau de français, c’est le choeur. Là, je voudrais rendre hommage à Martin Buchta, jeune chef de chœur qui parle parfaitement le français.
On a fait un beau travail ensemble et le français du choeur a été vraiment très bon. Au niveau des solistes il y en avait qui se sont énormément investis et qu’on comprend avec leurs couleurs vocales propres. Je pense que dans le cas de ceux qui se sont le plus investis, on arrive à comprendre à peu près 40 % de ce qui est dit. Mais pour moi c’est déjà une belle expérience de les voir s’investir dans cette langue qui est si belle. »Comment s’est déroulée votre coopération avec le Théâtre national ? Vous êtes vous heurté à des problèmes lors des préparatifs pour cette production ?
« Je dois dire que les équipes techniques du Théâtre national sont des gens absolument formidables. Si je le compare par exemple avec l’Opéra de Paris c’est presque le jour et la nuit. Quand on voit les productions qui tournent en permanence, avec les changements de décors et les changements de plateau, je vois que tout le monde travaille, le choeur, l’orchestre… Je me suis très bien entendu avec l’orchestre. Ils se sont tout de suite mis en immersion dans ce que je leur ai demandé de faire. C’est une oeuvre très difficile pour l’orchestre.
Il faut des réflexes de couleurs, des réactions vis-à-vis du jeu sur scène qui sont extrêmement rapides. Je me suis vraiment très bien entendu avec eux. Bien sûr qu’il y a eu des tensions, mais c’est normal avec une production de cette envergure. Il ne faut pas oublier que c’est quand même une œuvre assez démesurée parce qu’on arrive à quatre heures de spectacle avec 3 heures 15 minutes de musique. »Auriez-vous envie maintenant avec l’expérience que vous avez de poursuivre cette collaboration avec le Théâtre national ? Auriez-vous par exemple un autre opéra qui pourrait entrer sous votre direction au répertoire du Théâtre national ?
«Alors, je pense immédiatement à deux opéras qu’il faut absolument faire à Prague. L’un c’est mon opéra préféré du répertoire lyrique qui est ‘Pelléas et Mélisande’ (Claude Debussy). Je crois que ça n’a pas été fait depuis 1908, d’après ce que j’ai compris. Et puis bien sûr ‘Le Dialogue des carmélites’ de Poulenc. Ce seraient deux ouvrages très importants à mettre au répertoire du Théâtre national. Mais je pense que j’essaierais de convaincre le directeur artistique de l’Opéra, Jiří Heřman, de faire autrement d’abord pour la distribution des rôles et surtout pour l’enseignement des rôles aux chanteurs de l’ensemble de théâtre.
Je partirais de façon différente. Pour moi l’idéal serait, par exemple pour ‘Pelléas’ qui demande vraiment une distribution française, de réunir effectivement un plateau français et que chaque chanteur français prenne en charge un chanteur tchèque de l’ensemble. Il y a une chose qui s’est passée pendant la préparation des Contes d’Hoffmann à propos du second ténor qui est Valentin Prolat. Je le connaissais avant. Il a vraiment été pris en charge par Marc Laho et il a fait des progrès extraordinaires au niveau du style de chant français. Vraiment extraordinaire. Je dois lui rendre hommage aussi parce qu’il s’est vraiment investi d’une manière incroyable. Il ne peut pas arriver au résultat de Marc Laho, il faudrait des années, mais franchement le travail qu’il a accompli est formidable. Et cela m’a donné l’idée que, si jamais on refait avec moi une production au Théâtre national, chaque chanteur français ayant pris un rôle dans cette production ait la responsabilité de transmettre ce qu’il sait, son expérience au chanteur tchèque. Je pense que ce serait une collaboration extraordinaire et que ce serait aussi une collaboration culturelle avec la création d’une complicité qui pourrait faire date. La deuxième chose au niveau du travail des chanteurs tchèques, c’est de ne pas démarrer l’enseignement du rôle avec une langue écrite phonétiquement, sans comprendre, mais de leur donner tout d’abord le texte écrit en français avec une traduction tchèque, s’investir déjà dans le rôle comme un acteur, sans musique. Et ensuite, une fois que le texte est bien compris, aborder l’étape de la prononciation. Quand on commence par la phonétique, on commence à l’envers, on parle de quelque chose qu’on ne comprend absolument pas, on peut faire des contresens énormes et après c’est très difficile de corriger.»