Milan Kundera, un des auteurs les plus traduits du monde
« Les œuvres de Milan Kundera sont devant nous comme les instruments d’une réflexion sans fin, » dit Tomáš Kubíček, commissaire de l’exposition consacrée notamment aux traductions des livres de l’auteur de L’insoutenable légèreté de l’être qui a fêté récemment son 90e anniversaire. Présentée d’abord à Brno et à Bratislava, l’exposition itinérante est installée actuellement au monastère de Strahov à Prague. Une de ses particularités : Milan Kundera a bien voulu traduire pour l’exposition plusieurs extraits de ses romans français qui ne sont pas encore traduits en tchèque.
Une existence et une œuvre en deux étapes
Milan Kundera (neztracen) v překladech - Milan Kundera (non perdu) dans la traduction. Tel est le titre de cette exposition qui présente les textes tchèques et français de l’écrivain franco-tchèque mais aussi de nombreuses éditions de ses romans en langues étrangères. Tomáš Kubíček explique les intentions des auteurs de l’exposition :« Cette exposition est orientée sur les traductions. Et nous voulons dire que Kundera n’est pas perdu dans les traductions. On dit aussi que Kundera est perdu pour le lecteur tchèque et nous voulons démontrer qu’il n’est pas perdu, qu’il est toujours présent et cela même dans les traductions. Et finalement nous voulons souligner l’importance de Milan Kundera en tant que personnalité faisant partie, sans discussion, de la grande littérature mondiale. »
En 1975, l’écrivain tchèque Milan Kundera réduit au silence dans son pays par le régime communiste, s’exile en France. Il a 46 ans et c’est à ce moment-là que commence le processus de transformation de l’écrivain tchèque en écrivain français, processus qui aboutira aux parutions successives de quatre romans écrits dans la langue de Molière. Sa renommée grandit vertigineusement et la parution de chacun de ces nouveaux livres est un événement très attendu. Les traductions de ses romans se multiplient et Kundera devient un auteur mondial. Il est très difficile d’établir aujourd’hui la liste des éditions de ses ouvrages publiées dans le monde entier. Tomáš Kubíček et ses collaborateurs se sont pourtant lancés dans un tel projet :
« Dans un mois à peu près nous allons publier un ouvrage sur cette question. Nous avons travaillé sur cette publication pendant un an et demi et le résultat de nos recherches réalisées dans d’innombrables bases de données et catalogues de maisons d’édition est une liste de 3 800 - 3 900 éditions de textes de Milan Kundera dans le monde entier. Le nombre de langues dans lesquelles ses livres et ses romans ont été traduits et publiés dans le monde, dépasse la quarantaine. »
Un auteur qui n’accepte pas une traduction médiocre de ses textes
L’exposition offre plusieurs témoignages sur l’attitude de Milan Kundera vis-à-vis des traductions de ses textes et la façon dont il cherche à intervenir. Parmi les documents exposés se trouve par exemple le facsimilé de la première édition de la traduction française de son roman La plaisanterie, un texte avec d’innombrables corrections, mots barrés, ajouts et remarques de la main de l’auteur. Cela démontre, selon Tomáš Kubíček, combien Milan Kundera a été déçu par la traduction de son roman qui, selon lui, ne correspondait pas entièrement au texte qu’il avait écrit :
« C’est à ce moment que Milan Kundera décide de donner au lecteur ce qu’il a vraiment écrit. Il ne s’agit pas là de l’arrogance d’un auteur fier de sa parole mais c’est l’expression de son humilité face au lecteur auquel il veut transmettre sa pensée sous la forme que le lecteur mérite. »Les traductions d’auteur
Les auteurs de l’exposition présentent sommairement tous les grands romans de Milan Kundera, y ajoutent des commentaires d’éditeurs et aussi des réactions critiques que ces ouvrages ont suscitées. Les visiteurs y trouvent aussi de nombreuses photos de l’auteur ainsi que ses dessins qui illustrent ses textes de manière caricaturale. La multitude de couvertures des éditions de ses livres en langues étrangères démontre que Milan Kundera est un des auteurs les plus traduits de notre temps. Il semble que l’écrivain lui-même ait été favorable au projet de cette exposition car il est allé jusqu’à sortir de sa réserve habituelle et à contribuer discrètement à sa réalisation. Tomáš Kubíček explique en quoi a consisté la contribution de l’auteur à la présentation de ses œuvres :
« Quand nous préparions cette exposition, il était évident qu’il faudrait présenter au visiteur tchèque aussi des extraits des livres de Milan Kundera pas encore traduits. J’ai demandé à l’auteur de les traduire lui-même et il a relevé le défi. J’ai donc été témoin d’un processus très difficile et long au cours duquel Milan Kundera pesait patiemment chaque mot parce qu’il se rendait compte qu’il ne traduisait pas seulement quelques extraits mais qu’il créait en même temps le vocabulaire pour la traduction de ses textes. »A quand une traduction des romans français de Kundera en tchèque ?
Evidemment, ces quelques extraits ne peuvent pas satisfaire les lecteurs tchèques désireux de lire dans leur langue les quatre derniers romans français de Milan Kundera dont la traduction n’est toujours pas en vue. L’auteur se réserve le droit de traduire ses textes français dans sa langue maternelle et refuse de les faire traduire par quelqu’un d’autre. Cette intransigeance n’a pas été toujours bien comprise dans les milieux littéraires tchèques ce qui a compliqué les relations de l’écrivain avec sa patrie. Tomáš Kubíček lui-même a évoqué ce problème délicat lors d’une de ses rencontres avec le romancier :
« J’en ai parlé avec Milan Kundera il y a longtemps, il y a peut-être dix ans. Je lui ai demandé si nous pouvions espérer une nouvelle traduction d’un de ses romans et il m’a dit : ‘Tu vois, je ne sais pas combien de temps il me reste. Je ne veux pas perdre ce temps en traduisant mes textes en tchèque. La traduction d’un seul roman représente pour moi une année de travail. Je pense devoir réserver ce temps à l’écriture elle-même.’ »Tomáš Kubíček estime que c’est une décision qu’il faut respecter et en même temps il n’arrive pas à imaginer qu’en ce moment Kundera pourrait être traduit en tchèque par un autre que Kundera lui-même. Selon lui les lecteurs tchèques peuvent pourtant espérer lire un jour les romans français de Milan Kundera dans leur langue.
Une lecture qui ne permet pas au lecteur de rester indifférent
Bien que l’œuvre littéraire de Kundera semble close pour le moment, Tomáš Kubíček constate que lorsqu’on s’entretient avec lui, il est toujours capable de stimuler intellectuellement son interlocuteur. Serait-ce suffisant pour stimuler aussi l’auteur lui-même et lui donner envie d’écrire encore un roman ? C’est une question que Tomáš Kubíček laisse sans réponse. De toute façon l’ensemble de l’œuvre que Milan Kundera a déjà écrite reste pour Tomáš Kubíček une source intarissable de lecture tonifiante qui va loin au-delà d’un simple divertissement :« Je reviens toujours à l’œuvre de Milan Kundera qui est pour moi une source de plaisir de lecture mais aussi quelque chose qui me montre que la littérature n’est pas une distraction, bien que les romans de Kundera nous divertissent aussi. Les œuvres de Milan Kundera sont devant nous comme des instruments d’une réflexion sans fin. Ses romans, ces appels à la réflexion, ne nous permettent d’ailleurs pas de mettre fin à ce processus de lecture qui est difficile et exigeant. Et c’est probablement ce qui me pousse toujours à revenir à Kundera. Vous pouvez être en désaccord avec lui, vous pouvez vous disputer avec lui, vous pouvez même voir comme il vous observe ironiquement, comment il vous observe quand vous vous disputez avec lui. Il tend tout une série de pièges au lecteur. C’est donc une immense aventure que peu d’auteurs sont capables de vous faire partager. Kundera est un auteur auquel vous pouvez revenir. »