Milan Rastislav Štefánik : la création d’un héros national tchécoslovaque (II)

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Suite de l’entretien réalisé avec l’historien slovaque Michal Kšiňan sur le personnage historique Milan Rastislav Štefánik. Dans la première partie de l’entretien nous avons abordé les éléments principaux de sa vie et son engagement pour la cause tchécoslovaque qui a émergé au cours du premier conflit mondial. Sa mort tragique dans un accident d’avion près de Bratislava, quelques mois après la naissance de la Première République tchécoslovaque signe aussi le début de la vie posthume de Štefánik qui est très tôt érigé en héros national. C’est l’histoire de cette seconde vie que nous vous proposons d’écouter.

La version officielle privilégie la thèse de l’accident, Štefánik devient connu et un personnage important après sa mort. Comment expliquez-vous la récupération du personnage dans l’après-guerre ?

« Il y a plusieurs choses qui sont importantes dans la popularité de Štefánik. La première chose est que, dans l’histoire slovaque, il n’y a pas beaucoup de héros qui ont eu du succès. C’est Štefánik qui a mis fin à l’asservissement des Slovaques dans le royaume de Hongrie. Et puis, sa mort tragique à 39 ans est perçue comme quelque chose de romantique. Cela a contribué à sa popularité. »

Principalement en Slovaquie ou dans toute la nouvelle République tchécoslovaque ?

« Dans toute la République. C’est un fait très touchant dans la vie de Štefánik : il est mort lorsqu’il était au sommet de sa carrière. Et puis, c’est le fait que Štefánik est un personnage qui est un peu plastique. Tout le monde se réclame de l’héritage de Štefánik. Si vous prenez les membres du parti d’extrême droite, ils se considèrent comme des personnes qui continuent la lutte que Štefánik a menée. Mais si vous prenez les libéraux ou les socialistes, Štefánik est accepté par tous les courants politiques et tous les régimes. Sauf sous le régime communiste, durant lequel il n’était pas bien perçu. Sinon, il était considéré comme un héros par la société entière, et, à mon avis, cela relève du fait que, dans l’entre-deux-guerres, les deux principales forces politiques en Slovaquie qu’étaient les populistes et les agrariens ont accepté le statut de héros national de Štefánik. Ainsi, il est devenu acceptable pour toute la société. »

En vous écoutant on se rend compte que l’histoire du succès d’un personnage héroïque évolue au cours du temps. Vous avez parlé de la période communiste et vous avez dit que Štefánik n’était pas apprécié voire qu’il a été marginalisé notamment dans l’histoire telle qu’elle s’est écrite durant cette période-là. Comment expliquez-vous ce phénomène ?

Milan Rastislav Štefánik à Iekaterinbourg en 1918
« Les actions de Beneš, Masaryk et Štefánik n’entraient pas bien dans la logique de l’explication de l’histoire par les communistes. Pour eux, c’était d’abord les forces de la société qui décidaient et pas les personnalités. Les trois hommes ont contribué à la création d’une République bourgeoise. De plus, lorsque Štefánik se trouvait au sein des légions tchécoslovaques en Russie, il s’était montré très anti-bolchevik. Je pense qu’il y en encore une autre raison : autour de Štefánik pouvait se créer des centres de résistance contre le régime. C’était quelqu’un qui était très populaire et très apprécié dans la société. »

Parmi les dissidents, les opposants au régime ?

« Par tout le monde, par la société entière. Autour de lui se créaient des cercles d’opposants au régime. Si vous prenez les célébrations à Bradlo (au nord de Bratislava), qui se font le 4 mai à l’occasion de la mort de Štefánik, eh bien, en 1968, ces célébrations ont attiré beaucoup de monde. Il y a eu une détente politique durant laquelle Štefánik est redevenu populaire. »

Štefánik reprend alors sa place dans le panthéon des grands hommes. En 1993, c’est la séparation tchécoslovaque. Y a-t-il une séparation de Štefánik entre les Slovaques et les Tchèques, qui finalement partageaient ensemble un personnage historique important pour l’identité nationale ?

« Štefánik est perçu en Slovaquie comme l’un des héros nationaux les plus importants, tandis que dans les pays tchèques, s’il est perçu comme un personnage important, il est loin d’être le héros principal de l’histoire de la nation moderne. On ne peut pas le comparer à Masaryk. Mais la place de Štefánik parmi les grands hommes tchèques et slovaque a joué un rôle important puisqu’en 1990, une loi a été votée dans laquelle il est inscrit que Štefánik a eu un rôle central pour la nation tchécoslovaque. A mon avis, il a été utilisé pour renforcer l’unité de la Tchécoslovaquie et pour montrer que c’était quelqu’un qui avait lutté pour la Tchécoslovaquie dans son ensemble, donc pour affaiblir les tendances séparatistes slovaques. Il a aussi été montré dans un tout autre sens puisqu’il a également été présenté comme une victime du complot tchèque. »

En vous écoutant, on se rend compte que le succès de Štefánik lui est posthume et surtout qu’il était important pour les Tchèques comme pour les Slovaques. Il a pourtant passé une grande partie de sa vie en France. Y est-il un personnage connu aujourd’hui ?

« Par un français moyen, pas du tout, mais dans les cercles qui ont des contacts avec l’Europe centrale, il est connu. Il est d’ailleurs l’un des principaux symboles des relations franco-slovaques. Dans le milieu militaire, il est bien perçu, notamment dans le cadre de la coopération du service historique de la Défense. L’ECPAD (L’établissement de communication et de production audiovisuelle de la défense), qui gère le patrimoine audiovisuel des armées, fait parfois des films. Ils ont fait dernièrement un film sur Štefánik qui s’appelait ‘Štefánik, incroyable destin’. On voit que dans certains milieux en France, Štefánik est connu et même particulièrement apprécié. »