Nid de cigognes : Andrej Babiš pas encore tout à fait sorti d’affaire
Le procureur chargé de l’affaire dite du Nid de cigognes, dans laquelle Andrej Babiš est soupçonné de fraude aux subventions européennes, a émis un avis recommandant l’arrêt des poursuites dont fait l’objet le Premier ministre tchèque. Pour autant, l’affaire, très compliquée, n’est pas close pour autant. Explications sous forme de questions-réponses.
Après avoir instruit, deux ans durant, un dossier comprenant plus de 23 000 pages, le procureur Jaroslav Šaroch a pris une décision qui a surpris tout le monde ou presque en République tchèque, y compris dans le milieu judiciaire. « Babiš peut respirer pour l’instant », titrait ainsi le quotidien Hospodářské noviny en une ce mardi matin. En effet, en janvier 2018, peu de temps après la nomination d’Andrej Babiš aux fonctions de Premier ministre, le même Jaroslav Šaroch avait soutenu la demande de levée de son immunité parlementaire. A l’époque, le procureur avait déclaré qu’une mise en examen lui semblait justifiée.
1) Alors, pourquoi l’affaire a-t-elle été ajournée ?
Andrej Babiš, qui fêtait ses 65 ans lundi, a beau clamer son innocence, c’est la question que l’opposition et les médias se posent depuis lundi et l’annonce de la décision prise par le procureur. Une décision qui n’en est d’ailleurs pas tout à fait une, puisque c’est désormais au supérieur de Jaroslav Šaroch qu’il appartiendra de décider si le Premier ministre et cinq de ses proches impliqués dans l’affaire doivent être mis en examen ou, au contraire, si les poursuites doivent bien être interrompues. Sur son site Internet, le ministère public de Prague s’est contenté de faire savoir que le procureur avait « changé d’opinion dans l’appréciation de l’affaire » sans donner de plus de détails. Le procureur Jaroslav Šaroch, lui, n’a encore fourni aucune explication. Le porte-parole du parquet a insisté sur le fait qu’il ne s’agissait encore que de ce qu’il a appelé « koncept rozhodnutí », soit littéralement « une conception de décision » ou « une proposition de décision ».
2) Est-il possible que Jaroslav Šaroch soit parvenu à la conclusion qu’il n’y a pas eu de fraude dans cette affaire ?
Rappelons tout d’abord ici que la police, qui a ouvert une enquête en 2015 avant de recommander la mise en examen du Premier ministre, reproche à ce dernier d’avoir détourné quelque deux millions d’euros de subventions européennes pour financer la réalisation d’un luxueux centre hôtelier et récréatif appelé Nid de cigognes réalisé à une cinquantaine de kilomètres au sud-est de Prague à compter de 2006. A l’époque, Andrej Babiš n’était pas encore entré en politique et était le propriétaire du vaste conglomérat Agrofert, qui regroupe plus de 250 entreprises. La police soupçonne Andrej Babiš d’avoir retiré le projet du Nid de cigognes des activités de son groupe avant de le réintégrer à celles-ci, et ce dans le but de bénéficier des subventions européennes destinées aux petites et moyennes entreprises.
L’année dernière déjà, le procureur avait ordonné l’arrêt des poursuites visant Jaroslav Faltýnek, très proche collaborateur d’Andrej Babiš au sein du mouvement ANO, la principale formation de l’actuelle coalition gouvernementale, et de trois autres managers de la société anciennement propriétaire du Nid de cigognes. A l’époque, Jaroslav Šaroch avait justifié sa décision en argumentant qu’aucune intention de fraude n’avait pu être prouvée.
Reste que selon la police, la participation d’Andrej Babiš au délit de détournement est clairement établie sur la base notamment des documents écrits rassemblés et des témoignages des différentes personnes impliquées dans l’affaire. De même, l'Office européen de lutte antifraude (OLAF), organe chargé d’enquêter sur les fraudes au détriment des intérêts financiers de l’Union européenne, est parvenu à la conclusion que de fausses informations avaient été fournies lors de la demande de subventions.
Et bien entendu se pose aussi la question de savoir si le procureur n’a pas fait l’objet de pressions politiques, et ce d’autant plus depuis la nomination très controversée au printemps dernier de la nouvelle ministre de la Justice Marie Benešová, proche d’Andrej Babiš et du président de la République, Miloš Zeman. Lundi, le chef de l’Etat a d’ailleurs félicité le Premier ministre pour l’arrêt des poursuites judiciaires…
3) La décision prise par le procureur est-elle définitive ?
Non. Le chef du ministère public à Prague, supérieur hiérarchique de Jaroslav Šaroch, est désormais chargé d’évaluer le bien-fondé de la recommandation faite par le procureur. S’il estime que l’avis de ce dernier est légitime, cela signifiera l’arrêt des poursuites. Mais il se peut aussi qu’il demande au procureur de se repencher sur certains points du dossier. Quoiqu’il en soit, le chef du parquet pragois, qui doit prendre connaissance de l’avis long au moins de plus de cent pages de son collègue, ne se prononcera pas avant plusieurs semaines, voire plusieurs mois, ce qui laisse donc effectivement le temps à Andrej Babiš de souffler.
4) Un renversement de situation est-il néanmoins encore possible si le ministère public décide bien d’abandonner les poursuites contre Andrej Babiš ?
Oui. Le dossier atterrirait alors sur la table du procureur général de la République, Pavel Zeman. En effet, dans ce genre de cas de figure, chaque décision ordonnant l’arrêt de poursuites judiciaires, doit ensuite être examinée par le procureur de la République. Celui-ci dispose alors des compétences pour, éventuellement, annuler le verdict rendu par un ministère public et ordonner une poursuite de l’enquête. Autrement dit, Pavel Zeman aurait le pouvoir de décider si Andrej Babiš doit être mis en examen et l’affaire du Nid de cigognes faire l’objet d’un procès.
En revanche, si le procureur général de la République estime à son tour que l’arrêt des poursuites est justifié, alors le Premier ministre pourra pousser un soupir de soulagement cette fois définitif, en tout cas dans cette affaire, puisque la Commission européenne lui reproche elle aussi, depuis le printemps dernier, d’être en situation de conflit d’intérêts, et ce en qualité à la fois de Premier ministre et d’ancien propriétaire d’un groupe Agrofert sur lequel il conserve la mainmise malgré le transfert de ses actifs dans deux fonds fiduciaires en 2017.