Automne 1917... L'instauration, en Russie, de la dictature du prolétariat. Dans les années qui suivent la révolution, des milliers de Russes et d'Ukrainiens fuient vers l'Occident. Artistes, écrivains, aristocrates, légionnaires, gardes blancs... ils visent trois démocraties européennes : la France, l'Allemagne et... la toute jeune Tchécoslovaquie du Président Masaryk. Les autorités tchécoslovaques lancent une série de projets d'aide, destinés notamment aux jeunes intellectuels et étudiants russes. Les réfugiés sont persuadés que dans quelques années, ils pourront revenir sur le sol natal. Ils ne savent pas que le courant de la vie les emportera, et leurs enfants aussi, encore plus loin de leur patrie... Mais ces Russes tchécoslovaques n'oublieront jamais le petit pays d'Europe centrale qui les a accueillis et soutenus. Et ce petit pays ne les oubliera pas non plus...
La semaine dernière, cette émission vous a emmené à Brno, en Moravie du sud, à l'exposition sur l'exil tchèque et slovaque au XXe siècle. Elle évoque aussi, à travers des documents et des photographies, provenant des archives familiales, le sort des 20 mille émigrés russes en Tchécoslovaquie. La France devient, entre les deux guerres, la destination préférée des artistes. Les ingénieurs, les enseignants, les médecins sont attirés plutôt par Prague, la Moravie et la Slovaquie. Arrive la Deuxième Guerre mondiale, puis la Libération. La police secrète russe entre, avec l'Armée rouge, en Tchécoslovaquie. Sa mission est d'arrêter les exilés russes, étiquetés ennemis par les bolcheviks, et de les envoyer dans les camps de travail staliniens. Certains n'échapperont pas à l'enfer des goulags. Les autres arriveront à se sauver. En s'exilant, une fois de plus... Vladimir Bystrov, l'un des organisateurs de l'exposition, raconte...
Vladimir Bystrov
"Dès qu'ils ont franchi, en 1945, la frontière tchécoslovaque, dès qu'ils se sont retrouvés dans la zone américaine en Allemagne, ils se sont présentés comme les Russes de Tchécoslovaquie. Pas comme les Russes de l'Union soviétique. Il y avait, parmi eux, beaucoup de jeunes qui sont nés à Brno ou à Bratislava et qui ont étudié dans les universités slovaques et moraves. Ces jeunes intellectuels ont donc quitté la Tchécoslovaquie. Quelques années plus tard, après l'arrivée des communistes au pouvoir, les exilés tchèques les ont rejoints. Figurez-vous que dans les camps de réfugiés allemands, les scouts tchèques passaient des examens chez les scouts russes... Enfin, la majorité de ces exilés russes ont débarqué aux Etats-Unis. Là-bas, ils se sont intégrés à la communauté tchécoslovaque. Et ils se disent toujours les Russes de Tchécoslovaquie. A Los Angeles, vous trouverez, au musée de la culture russe, une exposition consacrée à l'histoire du Lycée russe de Moravska Trebova. Les anciens élèves de ce lycée se rencontrent régulièrement. A San Francisco, les immigrés russes ont fait ériger une statue du premier Président tchécoslovaque, Tomas Garrigue Masaryk. Bien sûr, ils se rendent souvent à Prague, à Brno et à Bratislava."
L'exil, c'est, certes, la liberté retrouvée, mais aussi la nostalgie, le désespoir. Anastasie Koprivova de l'association des descendants des Russes tchécoslovaques...
"Ce qui est très peu connu, c'est l'histoire des exilés russes qui sont revenus volontairement, en tant que patriotes, en Russie. Ils ont vécu un choc énorme. En exil, ils étaient tristes. Leurs maisons, leurs régions natales, leurs amis, leurs familles, tout cela leur manquait. Dans leur esprit, ils sont restés étroitement liés à la Russie. Voilà pourquoi ils ont décidé de revenir. Mais ils sont revenus dans un autre pays, dans un pays qui leur était étrange. En plus, on les a envoyés au Kazakhstan. Pas à Kharkov, pas à Rostov-sur-le-Don, mais à Alma-Ata. Là-bas, ils se sentaient encore plus dépaysés qu'à Prague ou à Paris..."