Les suicides par le feu de jeunes Tchèques alimentent la presse
Au cours des dernières semaines, cinq Tchèques se sont immolés par le feu. Trois d'entre eux semblent avoir eu des problèmes d'ordre psychique. Les cas des autres, étudiants tous les deux, ont bouleversé l'opinion... Zdenek Adamec, 19 ans, s'est suicidé par le feu le 6 mars, devant le Musée national au centre-ville de Prague, à quelque pas de l'endroit qu'avait choisi, en 1969, le légendaire Jan Palach. Quant à Roman Masa, 21 ans, il s'est éteint dans la nuit du 1er au 2 avril, à Plzen, chef-lieu de la Bohême occidentale. Pour leurs familles, proches et copains, ils étaient des étudiants « normaux » et, apparemment, sans problèmes. Depuis, la presse tchèque ne cesse de s'interroger sur les motifs de tous ces jeunes Tchèques qui recourent à une mort on ne peut plus atroce, pour manifester leur « mal de vivre », dans un monde auquel ils n'arrivent pas à s'identifier.
« Le suicide par le feu que veut-il dire ? Un avertissement, un signal lancé au monde »... Voilà l'extrait d'un texte qu'un anonyme a déposé sur le lieu du dernier des drames cités. L'hebdomadaire Tyden fait remarquer, à propos de l'étudiant Roman Masa de Plzen :
Personne ne saura plus quels étaient les véritables motifs qui ont poussé un universitaire modèle, étudiant d'histoire et d'allemand, à s'immoler par le feu et à souffrir en mourrant de douleurs terribles. Cela dit, dans sa lettre d'adieux, il parle de son désespoir que lui inspire le monde d'aujourd'hui. Il soumet à une analyse critique la situation dans l'enseignement et dans la santé publique. La politique du pays et, surtout, la politique américaine sont pour lui source de dégoût... On retrouve dans ce message des traces de la même désillusion qu'avait décrite, quelque semaines auparavant, Zdenek Adamec.Des parallèles avec l'acte qu'avait commis Jan Palach, il y a 34 ans, sont-ils justifiés ? Mme Jaroslava Moserova, sénatrice, spécialiste des grands brûlés, avaient soigné Jan Palach, avant sa mort, à l'hôpital. Elle a confié au magazine Tyden :
Palach s'est immolé, cinq mois après l'occupation du pays par l'armée soviétique. Sa décision avait un bien-fondé rationnel, des problèmes personnels n'y jouant aucun rôle. Ce fut une époque fondamentalement différente de celle que nous vivons aujourd'hui... Palach a voulu secouer la conscience des gens, les réveiller de la léthargie... Les cas tragiques actuels n'ont aucun sens : ils sont inutiles, je dirais même un peu lâches. Il existe, aujourd'hui, un tas de possibilités de lutter contre ce qui nous déplaît. Paradoxalement, ces suicides ne font qu'augmenter le sentiment de désespoir chez certaines gens, dit Mme Moserova.
Comment les récents suicides par le feu des deux jeunes étudiants sont-ils vus par leurs contemporains ? L'hebdomadaire littéraire, Literarni noviny, cède la parole à deux élèves d'un lycée de Chrudim. Lukas Blazek :
Dans une certaine mesure, je comprends les motivations des étudiants qui se sont immolés par le feu. Il faut un raisonnement très fort pour se décider à un acte tellement démonstratif. N'existe-t-il pas en effet des moyens de suicides moins brutaux que choisissent ceux qui ont, pour cela, des raisons purement personnelles ?... Ils se sont certainement inspirés des hommes torches Jan Palach et Jan Zajic qui avaient protesté, ainsi, contre l'occupation soviétique de la Tchécoslovaquie.
Selon Lukas Blazek, beaucoup de jeunes sont mécontents de la situation actuelle dans le pays et dans le monde où l'anonymat et l'indifférence ont le principal mot à dire. Et de poursuivre :
Je sais bien que nous vivons dans une société démocratique où tout un chacun a le droit de dire ce qu'il pense. Mais c'est tout : des réactions ou des réflexions ne s'en suivent que rarement. La situation, au sein de notre société, ne ressemble-t-elle pas en quelque sorte à celle d'il y a 34 ans ? Qu'est-ce qui a changé en fait ? Le régime a changé, il est vrai, mais les gens demeurent les mêmes... De nouveaux problèmes sont apparus, qui ne peuvent laisser indifférentes les âmes sensibles. Or, le but des étudiants qui se sont immolés par le feu étaient de tourner l'attention vers la violence quotidienne, les guerres, les catastrophes écologiques, l'intolérance et l'indifférence.
Pour le lycéen Tomas Veleta, le suicide n'est pas une solution. Pourtant, il partage l'avis de son collègue, que le monde d'aujourd'hui est difficile et que les jeunes ont souvent du mal à l'accepter et à s'y orienter :
L'individu n'y peut rien. Même si mille personnes se donnaient la mort par le feu, ils n'atteindraient pas leur but. La seule solution est de rester vivants et de convaincre les autres de la nécessité de lutter pour un monde meilleur.
Martin Plichta, correspondant à Prague du journal Le Monde, a écrit que de jeunes Tchèques s'immolaient pour protester contre l'intervention américaine en Irak. Il explique :
« C'était un peu exagéré. Au fond, on peut dire que c'est le climat général provoqué par cette guerre qui a pesé sur eux... Des parallèles entre ces actes et la mort de Jan Palach existent, bien sûr. Ils voulaient tous obtenir le même objectif : réveiller la population de leur léthargie... Force est de constater que le suicide par le feu auquel ont recours des Tchèques est un choix surprenant. Avant Jan Palach, il n'y avait pas en effet beaucoup d'exemples de cette manière de faire ».