Les malheurs d'Eva Olmerova

Il y a 70 ans, le 21 janvier 1934, venait au monde la chanteuse tchèque Eva Olmerova.

Il y avait quelque chose d'inimitable dans sa voix. Son timbre n'était pas très agréable, la voix était grave, enrouée, amère. Sa voix se lamentait, se brisait et se ressaisissait rapidement, son intonation était parfois à la limite de la fausseté, mais cela donnait à ses chansons, comme jadis chez Edith Piaf, une grande tension intérieure. Elle avait le don de s'approprier les mélodies et de les transformer à son image. Elle chantait du jazz, du blues, de la country, des mélodies qu'on écrivait spécialement pour elle. Quand elle chantait on devinait les larmes au fond de sa voix. Elle refusait d'être considérée comme une chanteuse de jazz car le jazz était pour elle un art insouciant et elle désirait exprimer par le chant les malheurs de sa vie.

Elle commence à chanter à 16 ans et c'est un début très prometteur. En 1962 elle est engagée au célèbre théâtre Semafor, mais on découvre que son grand-père occupait un poste, pendant la guerre, dans le bureau d'Edvard Benes, Président du gouvernement tchécoslovaque en exil à Londres. Devenue persona non grata pour des raisons politiques, chassée du théâtre Semafor, Eva Olmerova met quelques années à s'imposer de nouveau sur les scènes et dans les clubs de jazz pragois. Elle finit quand même par occuper la deuxième place dans l'enquête de popularité Le rossignol d'or. L'occupation soviétique en 1968 assène cependant un coup fatal à sa carrière. Trop originale, incapable de se plier aux exigences du régime, elle va de malheur en malheur et cherche le refuge dans l'alcool et les calmants. Sa vie amoureuse est une suite d'échecs, elle est abandonnée successivement par trois maris et sa carrière semble terminée. Pourtant dans les années 1980 une nouvelle génération de musiciens redécouvre sa voix. Elle se ressaisit, recommence à chanter et à enregistrer des disques, mais à la chute du communisme en 1989, elle est déjà minée par la maladie. Elle ne se rend pas, elle chante encore et cherche à profiter de la nouvelle liberté, mais c'est trop tard. Sa voix se tait définitivement en 1993.

Ses chansons resteront cependant avec nous. Encore en 2001 son album de négro-spirituals recevra le Disque de platine de la maison Supraphon. "Le blues d'une solitaire est plus facile à chanter qu'à vivre, a-t-elle dit dans une interview. Beaucoup de ce qui m'est arrivé dans la vie était de ma faute, j'ai un immense talent pour provoquer des situations gênantes."