Le regard critique de Antonin J. Liehm
Dans la galerie des personnalités ayant reçu les Prix Gratias Agit décernés cette année à ceux qui ont contribué à la renommée de la République tchèque à l'étranger, nous vous présentons aujourd'hui Antonin Liehm. Ce journaliste et critique connu pour ses activités en faveur de la nouvelle vague du cinéma tchèque dans les années 1960, s'est exilé en 1969. Il a donné ensuite des conférences dans des universités en France, aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne et en Suisse, et a fait un grand travail pour propager la culture tchèque à l'étranger. En 1984, il a fondé la revue Lettre internationale. Aujourd'hui, il vit à Paris, mais il suit d'un oeil critique ce qui se passe dans sa patrie tchèque. Les propos de Antonin Liehm ont été recueillis par Vaclav Richter.
"Aujourd'hui, oui. Quand la République tchèque vivait de sa réputation des années soixante, du Printemps de Prague, c'était beaucoup plus facile dans les années soixante-dix, quatre-vingts. Aujourd'hui, c'est assez difficile, oui. Mais je ne suis pas un propagandiste professionnel de la République tchèque, il faut demander ça aux professionnels. On a un très bon Centre tchèque à Paris, qui fait un très bon travail, mais c'est difficile."
Mais vous travaillez aussi pour faire connaître la culture étrangère en République tchèque ...
« Je l'ai beaucoup fait, mais je ne le fais plus tellement parce que, vous savez, à mon âge, on a aussi un peu le droit à d'autres choses. J'ai fondé à Paris la revue "Lettre internationale", qui a existé aussi à Prague pendant deux ans. Après, elle a disparu parce que personne ne voulait la lire. C'est un peu difficile, vous savez. L'intérêt pour la « culture cultivée », comme le dit Edgard Morin, en République tchèque est relativement limité."
Jadis, on disait de la République tchèque, voire de la Tchécoslovaquie, qu'elle était un pays culturel. Est-ce que c'est encore valable?
"Nous avions un Premier ministre, en 1983, je crois, qui est aujourd'hui président de la République et qui a déclaré qu'il fallait en finir avec l'image de la Bohême comme pays de la culture et de l'art. C'était tout un programme et comme il a un grand prestige, le programme a été réalisé. Et ce fut, à mon avis, l'un des programmes d'après 1990 le mieux réalisé. Moi, je crois que, malheureusement aujourd'hui c'est vrai, la Bohême n'est plus perçue comme le pays de la culture et de l'art. Sauf le passé, le tourisme, Prague, les châteaux, les cathédrales et tout cela, bien sûr. Vous savez, le maire de Venise m'a dit une fois, après 1990, « Vous avez de la chance parce que vous avez devant les yeux notre exemple et vous n'allez pas faire de Prague ce que nous avons fait de Venise ». Personne ne l'a écouté et on a fait de Prague exactement ce que les Vénitiens ont fait de Venise. Vous savez, Venise est magnifique pour son passé, mais ce n'est pas une ville de création. Prague est magnifique pour son passé, malheureusement, elle n'est pas aujourd'hui non plus une ville de création. La qualité de la culture tchèque, l'ironie, l'autodérision, la tradition, Kafka, Chveik, tout ce que vous voulez, vous la voyez dans la culture tchèque d'aujourd'hui? Je ne la vois pas."