Svatopluk Karasek ou La vie tumultueuse d'un pasteur
"On me parle toujours du charisme, mais en réalité je n'en ai pas. Je ne pense pas que je sois spécialement doué pour quelque chose," dit Svatopluk Karasek. Ce pasteur protestant, chansonnier et homme politique, est aussi un écrivain qui sait parler avec humour des choses sérieuses.
L'oeuvre littéraire de ce pasteur ne se réduit pas seulement à des sermons qu'il a réunis, en 2000, dans un recueil intitulé La Trompe de Dieu. Il écrit aussi les paroles de ses chansons qui lui assurent une place respectable, parmi les chansonniers tchèques, et il est l'auteur, entre autres, d'un livre de souvenirs paru en 1998 aux éditions Kalich. Sous le titre "Ton vin excellent" et sous la forme d'un entretien, il retrace dans ce livre une vie dont les péripéties, tantôt dramatiques et tantôt émouvantes, sont assaisonnées d'un humour contagieux. Certains passages sont dignes même d'un Hasek ou d'un Hrabal, et Svatopluk Karasek s'affirme dans cet ouvrage autobiographique comme un narrateur irrésistible.
La première partie de ces Mémoires, sous forme d'un entretien, pourrait s'appeler "Zéro de conduite". L'auteur y décrit, avec une force de détails, son enfance et son adolescence. Né en en 1942, il hérite de sa mère un tempérament difficile à maîtriser. Enfant hyperactif, garnement indomptable, il provoque souvent la colère de ses maîtres d'école et pousse à la folie ceux qui considèrent la discipline comme la chose la plus importante dans la vie. Il est tout simplement incapable de se conformer au système rigide des écoles communistes, et pendant le reste de sa vie il ne saura pas se conformer aux rigidités de divers genres que lui imposeront la société, le régime communiste, la police politique et même l'Eglise. Bien que ce soit un garçon très sportif, les livres jouent un rôle important dans sa vie. Il commence avec les romans à quatre sous. "A quinze ou à quatorze ans, je lisais les romans sur le détective Leon Clifton, je ne sais pas si cela vous dis quelque chose, dit-il. Je me rappelle qu'un de ces romans commençait par les mots: "Sahir, quelque chose va arriver, quelque chose de terrible..." J'aimais beaucoup cela mais, à partir de seize ans, j'ai cessé complètement de les lire. "
Tout le monde est ébahi et incrédule, lorsque le jeune Svatopluk manifeste le désir de devenir pasteur protestant mais, comme souvent dans sa vie, il finit par imposer sa volonté. En tant que pasteur, il choque parfois les croyants, mais il finit en général par les convaincre de sa sincérité. La messe et la prêche, telle qu'il les conçoit, deviennent peu orthodoxes, il incite les gens à exprimer librement leur foi, mais aussi leurs doutes, leurs hésitations. Il insiste sur le rôle de la musique et du chant pendant la messe. Son originalité attire à l'église les jeunes car la foi, telle qu'il la conçoit est moderne et attirante. Les autorités communistes ne se trompent pas, quand ils le considèrent comme un élément corrosif. Déjà, en 1970, on lui interdit d'exercer le culte et Svatopluk Karasek doit gagner sa vie et la vie de sa famille d'une autre façon. Il sera gérant d'un château médiéval puis laveur de vitres. Sa femme Stana, une psychologue au coeur malade qui ne manque pourtant pas de courage, sera sa compagne fidèle malgré la vie difficile qu'elle mènera avec lui. Elle lui donnera trois enfants.
C'est la période de la normalisation qui vient après l'invasion soviétique de la Tchécoslovaquie, en 1968. Svatopluk Karasek devient une personnalité respectée de l'underground, mouvement culturel et politique, il s'engage dans la dissidence. En 1976, il passe huit mois en prison, mais il ne se laisse pas décourager et, l'année suivante, il signe la Charte 77, document par lequel un groupe d'intellectuels, dont le philosophe Jan Patocka et le dramaturge Vaclav Havel, dénoncent la violation des droits de l'homme en Tchécoslovaquie. Les représailles déclenchées par le régime sont plus sévères que jamais, et le dissident Karasek se rend compte qu'il expose au danger sa famille aussi. Il s'exile en Suisse en 1980, et bientôt, malgré son allemand très rudimentaire, il devient un pasteur aimé par les protestants suisses.
Néanmoins, après la chute du communisme, il revient en Tchécoslovaquie où l'exercice du culte ne lui est plus interdit, il continue à composer et interpréter des chansons et finit par se lancer dans la politique. Député à partir de 2002, il entre, en 2004, au parti gouvernemental US-DEU, et on lui confie le poste de délégué gouvernemental aux droits de l'homme. L'ancien dissident et membre de l'underground est accueilli parmi ceux qui gouvernent. Il peut faire fructifier sa longue expérience de militant pour les droits de l'homme.
Les livres jouent un rôle important dans la vie de Svatopluk Karasek. "C'est d'après ce que nous cherchons dans la vie que nous choisissons nos livres, dit-il. Un jour, je prend un livre du penseur religieux du XVe siècle, Petr Chelcicky, un autre jour un livre de l'écrivain contemporain, Michal Viewegh. Cela dépend donc de ce que je veux au moment donné mais, dans la majorité des cas, la lecture est pour moi une sensation sui generis. Cela veut dire que je ne vis pas directement une situation ou une sensation, mais je la vis par l'intermédiaire du livre. Ainsi, ma vie devient plus riche. En même temps, je cherche ce qui me lie avec les personnages du livre, avec l'auteur, une espèce de profondeur qui nous est commune, le noyau. Et je suis toujours surpris de le trouver, de trouver quelque chose que je partage avec les autres ou, au moins, avec le personnage du livre qui éveille ma sympathie."
Il y a des livres que nous lisons et que nous oublions, mais il y a aussi des livres que nous lisons et relisons, qui font partie de notre vie. Pour Svatopluk Karasek c'est la Bible: "La Bible est pour moi, et ce n'est pas seulement parce qu'on le dit comme ça, elle est pour moi le livre qui m'accompagne pendant toute ma vie, que je lis, qui me donne à réfléchir, que j'étudie, et avec lequel je prie. Tout simplement, pour moi c'est le livre des livres."