Collaboration et collaborationnisme

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Dans le cadre de la commémoration des 60 ans de la fin de la Seconde Guerre mondiale, nous revenons aujourd'hui sur l'un des pans les plus sombres de l'histoire tchèque : la collaboration et l'occupation. Sujet tabou ? Le thème appelle, en République tchèque, des réactions moins passionnées qu'en France. Dans leur statut de pays occupé, les deux pays ont cependant recouvert certaines similitudes.

En mars 1939, est institué le Protectorat de Bohême-Moravie. Dès septembre, sont promulgués les décrets antisémites placant les Juifs hors de la communauté nationale. La Bohême vit désormais à l'heure allemande.

Au lendemain de la défaite française, en 1940, le président Hacha, qui a remplacé Benes après son exil à Londres en octobre 1938, félicite le Führer et dénonce Benes comme "ennemi numéro un du peuple tchèque". Il dissout le Parlement et forme un gouvernement d'Union nationale, composé de fascistes, d'agrariens et de sociaux-démocrates. Si les nazis mettent en avant les classes dirigeantes traditionnelles, ils considèrent cette situation comme temporaire. Le pays est en effet destiné, à moyen terme, à être incorporé dans le Reich.

D'où une double politique : d'un côté, une répression solide et une mise en demeure effective du gouvernement tchèque plus précoce que dans la France de Vichy. Ici, Pétain maintient tant bien que mal l'illusion d'une France souveraine. Ce n'est qu'à partir de 1943, quand la guerre paraît perdue pour l'Allemagne, que celle-ci met en avant des formations proprement fascistes. En Bohême en revanche, dès mars 1939, avaient été effectuées environ 18 000 arrestations préventives par la Gestapo. Sur la demande de von Neurath, placé à la tête du Protectorat, le gouvernement sera bien vite remodelé au profit des collaborationnistes.

D'un autre côté, on assiste à un relatif ménagement allemand (en regard de la Pologne voisine), dû au potentiel industriel de la Bohême, essentiel à l'effort de guerre nazi. Comme en France et dans les autres pays occidentaux occupés, les nazis ont tout intérêt à ne pas se séparer des cercles dirigeants traditionnels. Question de légitimité.

Ainsi, en France, autour du Maréchal Pétain, grand vainqueur de Verdun, on retrouve un certain nombre d'anciens députés de l'ex-IIIème République, dont en premier lieu Laval. En Bohême, l'acceptation - provisoire on l'a vu - du gouvernement d'Union nationale autour du général Elias obéit à la même logique.

On ne peut s'empêcher, cependant, de remarquer une différence de taille quant à la collaboration d'Etat au plus haut niveau. Certes, les deux pays pratiquent une politique de collaboration plus subie que souhaitée et agissent au nom du moindre mal. Le Maréchal Pétain, pourtant, s'engage résolument dans l'Europe allemande, au sein de laquelle la France doit obtenir la meilleure place possible. Le général Elias, lui, semble se placer d'emblée dans une perspective différente. Sous couvert de soumission, il maintient le contact avec Benes à Londres.

A la fin de 1941, la Gestapo voit d'ailleurs clair dans le jeu d'Elias. Arrêté en septembre, il est exécuté en juin 1942. Reinhard Heydrich, qui remplace von Neurath à la tête du Protectorat, proclame la loi martiale et traduit Elias devant des tribunaux. En octobre, 200 autres Tchèques sont passés par les armes et environ 400 avant la fin novembre.

Les cercles collaborationnistes, partisans actifs de l'intégration au Reich, ne se recrutent pas vraiment, quant à eux, dans les cercles dirigeants traditionnels de la République masarykienne. A la faveur de l'heure allemande, une partie de l'ancienne noblesse de Bohême sent souffler le retour possible de son influence d'antan. Les Lobkowitz ou encore le prince Franz Schwarzenberg en font partie. Dans l'Europe occupée, les nazis mettent en place différents statuts administratifs. Il y a les pays neutres comme l'Espagne, les pays satellites de l'Allemagne (Roumanie et Finlande entre autres) ou les pays à administration directe (Belgique et Nord de la France). La Bohême-Moravie appartient au système dit du gouvernement de tutelle (avec la France ou encore le Danemark).

Le terme de tutelle est bien approprié : le gouvernement est privé de deux ministères essentiels à la souveraineté d'un pays : celui des Affaires Etrangères et celui de la Défense. Le pouvoir réel appartient de toute façon au Reichsprotektor, qui peut révoquer les ministres et légiférer à sa guise.

La Bohême constitue une exception en Europe centrale et orientale dans son statut de pays occupé. Car, dans cette région, les nazis font peu intervenir les personnalités politiques nationales, à la différence des pays occidentaux. Les pays tchèques s'apparentent à ce dernier groupe, plus ou moins ménagé en raison de la manne industrielle qu'il représente pour l'effort de guerre. A ce titre, le Protectorat est surtout invité et incité à produire.

C'est la raison pour laquelle les pays tchèques échappent au sort de leurs voisins, traditionnellement agricoles et voués au pillage systématique par les Allemands. Une chance, s'il en fut, dans cette période de Ténèbres.