Il y a 60 ans, le « rideau de fer » devenait réalité en Tchécoslovaquie
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, Winston Churchill avait évoqué l’existence d’un « rideau de fer » s’étant abattu sur l’Europe. La logique de la division du monde en deux blocs idéologiques était engagée. En juillet 1951, avec l’adoption de la loi sur la protection des frontières, ce « rideau de fer » devenait une réalité tangible en Tchécoslovaquie, pour longtemps ancrée au monde communiste depuis le Coup de Prague de février 1948. Ce sont ainsi près de 3 500 kilomètres de frontières qui ont été sécurisés, en priorité celles partagées avec l’Allemagne de l’Ouest et l’Autriche.
« De Stettin sur la Baltique à Trieste sur l’Adriatique, un rideau de fer s’est abattu sur le continent. Derrière cette ligne se trouvent toutes les capitales des anciens Etats d’Europe centrale et orientale : Varsovie, Berlin, Prague, Vienne, Budapest, Belgrade, Bucarest et Sofia. Toutes ces villes célèbres et leurs populations appartiennent désormais à ce qu’il convient d’appeler la sphère d’influence soviétique. »
Dans le cas tchécoslovaque, cette fermeture quasi-totale au monde occidental se concrétise le 11 juillet 1951, il y a donc précisément 60 ans de cela, lorsque l’Assemblée nationale adopte la loi sur la protection des frontières. Il s’agit de stopper l’émigration de nombreux Tchèques et Slovaques depuis l’instauration, en 1948, du régime communiste dirigé par le très staliniste Klement Gottwald. La loi stipule ainsi que l’accès « à certaines parties du pays est interdite et ne peut être autorisé que sur autorisation spéciale ». Historien aux Archives de la sécurité de Brno, Pavel Vaněk revient sur le dispositif mis en place :« Il s’agissait avant tout d’un changement du système frontalier qui consistait d’une part en l’augmentation du nombre de gardes-frontières. Ils étaient environ 6 100 en 1950, tandis que l’année suivante, on en comptait environ 18 000. D’autre part, les autorités avaient mis en place une zone interdite aux populations le long des frontières. »
Cette zone interdite pouvait parfois s’étendre à quelques kilomètres au-delà de la frontière. Cette mesure contraint alors environ 4 500 habitants à quitter leur domicile situé trop près de l’Allemagne de l’Ouest. Seules quelques villes plus importantes sont épargnées par ce délogement, trop cher économiquement et politiquement. Pour lutter contre l’émigration, outre l’augmentation du nombre de gardes-frontières, ceux-ci sont autorisés à ouvrir le feu sur tout individu qui tenterait de franchir la frontière ou qui se trouverait dans la zone interdite sans autorisation. A partir de 1953, une clôture électrifiée vient s’ajouter au dispositif et l’on estime à 145 le nombre de personnes tuées entre 1951 et 1989 en ayant tenté de rejoindre la République fédérale allemande ou l’Autriche. 16 de ces individus furent considérés comme « suicidés ». Aussi, il n’est pas étonnant que les gardes-frontière souffrent aujourd’hui d’un véritable déficit d’image, qu’avait bien illustré, en 2007, la polémique autour de la tentative du Club des régions frontalières d’ériger un monument en l’honneur de cette profession. Karel Janda est le président de ce club qui compte encore d’anciens gardes-frontières parmi ses membres. Il regrette quelque peu cette mauvaise réputation qu’il décrit de la façon suivante :« Au niveau de la nation, les gardes-frontière sont aujourd’hui généralement perçus et présentés comme des gens qui ont été des oppresseurs, des gens qui ont fait partie du système répressif, comme des gens qui ont assassiné. »Pour Karel Janda, cette présentation peu flatteuse cache le fait que les gardes-frontière faisaient partie d’un système qui les dépassait et contre lequel certains d’entre eux se sont battus. Dans le massif de Šumava, par exemple, à la frontière avec la Bavière, de nombreux contrebandiers sévissaient avec parfois le soutien actif de gardes forestiers. La légende populaire en a fait des héros et les a surnommés « les rois de Šumava » ; certains d’entre eux ont joué un rôle de passeur et ont aidé certains fugitifs à rejoindre l’Allemagne de l’Ouest. 60 ans après le repli de la Tchécoslovaquie sur le monde soviétique, alors que les frontières sont désormais complètement ouvertes, les stigmates du passé ne sont pas encore totalement oubliés.