La Première République tchécoslovaque – un Etat prometteur qui n’a pas eu le temps de parvenir à la maturité
« La fondation de la Tchécoslovaquie a été perçue par la société tchèque comme une victoire méritée, comme la réalisation d’un rêve millénaire, comme une revanche pour les torts et les préjudices du passé, comme le début d’une nouvelle histoire. » C’est ce que constatent dans leur préface les éditeurs du livre Republika československá 1918-1939 (La République tchécoslovaque 1918-1939) paru aux éditions Lidové noviny. Le livre a obtenu le prix Josef Hlávka et le prix de l’Académie des sciences tchèques.
Un Etat multiethnique
Tout d’abord une note historique. La République tchécoslovaque naît en 1918 pendant les derniers jours de la Première Guerre mondiale sur les décombres de l’Autriche-Hongrie. Le nouvel Etat soutenu par les Etats-Unis et la France réunit les territoires de la Bohême, de la Moravie, de la Silésie tchèque, de la Slovaquie et de la Ruthénie subcarpathique. Il s’agit donc d’un Etat relativement important situé au centre de l’Europe et dont la population se compose de plusieurs ethnies. Les Tchèques et les Slovaques représentent 64 % de l’ensemble de la population, les Allemands des Sudètes 24 %, les Hongrois 5 % et les Ruthènes 3%. On y trouve également les minorités juive et polonaise.Après de premières années problématiques, le nouvel Etat s’impose dans le contexte européen par sa diplomatie, son dynamisme économique, son système démocratique et son rayonnement culturel. La période initiale de l’existence de l’Etat entre 1918 et 1938 entrera dans l’histoire comme la Première République tchécoslovaque. Dans les années 1930, le pays est même considéré comme un îlot de démocratie au milieu de pays aux régimes plus ou moins autoritaires.
Le rôle du président Masaryk et de son ami Edvard Beneš
Le livre La République tchécoslovaque 1918-1939 retrace la grande et la petite histoire de cet Etat fondé par le président Tomáš Garrigue Masaryk. L’éditrice du livre Dagmar Hájková évoque l’influence décisive de ce professeur d’université devenu président et de son collaborateur le plus proche Edvard Beneš sur le caractère politique et moral de la nouvelle république :
« L’image de la Première République tchécoslovaque était basée sur la relation personnelle très étroite entre Tomáš Garrigue Masaryk et Edvard Beneš et sur les liens entre leur familles. Les Masaryk et les Beneš représentaient un modèle exemplaire pour la nouvelle république basé sur les sacrifices offerts à l’Etat indépendant : le départ en exil, le sacrifice de la vie, la perte de liberté, l’emprisonnement, la perte de santé. (…) Masaryk et Beneš personnifiaient un narratif largement répandu et accepté dans la société tchèque. Fils de familles pauvres, ils ont réussi à accomplir de grands desseins grâce à leur travail, à leur intelligence, à leur assiduité et à leur chance. Et leur grandeur a été reconnue par les personnalités politiques les plus importantes du monde. En plus, ils n’étaient pas orgueilleux et ne faisaient pas étalage de richesse. »Un ouvrage de 66 auteurs
Les éditeurs du livre La République tchécoslovaque 1918-1939 Dagmar Hájková et Pavel Horák ont réussi à réunir un important collectif d’auteurs ayant donné à l’ouvrage une valeur référentielle et une grande diversité. 66 auteurs tchèques et slovaques mais aussi britanniques, suédois et allemands ont contribué par leurs textes à brosser ce portrait détaillé d’un Etat. Leurs textes s’étalent sur 1 024 pages grand format et le livre a donc pris des dimensions énormes, mais selon l’éditrice Dagmar Hájková ce n’était toujours pas suffisant :« Les auteurs des textes de notre livre avaient l’impression de ne pas avoir dit tout ce qu’il fallait. Alors nous avons été obligés de les pousser à réduire leurs textes ou de les raccourcir nous-mêmes. Nous avons conçu ce livre comme une espèce d’inventaire de ce que nous savons sur la Première République tchécoslovaque. Il n’était pas facile de réunir tous ces auteurs. Quand on trouve un thème intéressant, il n’est pas facile de trouver aussi un auteur chevronné qui soit capable d’écrire un texte compétent sur ce thème. »
Un Etat centre-européen présenté dans toute sa diversité
L’ambition des éditeurs du livre a été non seulement de présenter les aspects historiques, politiques et économiques de la Première République tchécoslovaque mais de saisir la vie de ses habitants dans toute son ampleur. D’importants chapitres sont donc consacrés à la structure démographique de la société tchécoslovaque, aux relations entre Tchèques et Slovaques, à la situation des habitants germanophones des Sudètes, aux changements et à la transformation du paysage, aux conséquences de la grande crise économiques de 1929, aux inégalités sociales et à la lutte pour les droits des travailleurs, à la nouvelle architecture et à l’épanouissement impétueux des arts et de la culture de la nouvelle république. Une attention spéciale a été prêtée par les éditeurs à la vie quotidienne des habitants, à leurs problèmes de tous les jours, à leurs aspirations, leurs activités, leurs intérêts et leurs distractions. Le portrait de la Première République tchécoslovaque a ainsi pris un aspect beaucoup plus plastique. L’éditeur Pavel Horák souligne l’importance des chapitres sur la vie quotidienne dans la structure du livre :« Justement le chapitre sur la vie quotidienne nous pose la question de savoir si nous connaissons vraiment la Première République tchécoslovaque. Les auteurs rechignaient un peu à écrire sur la vie quotidienne à cette époque. A vrai dire, il n’y a eu que très peu de recherches en ce sens. Parfois, nous étions comme des archéologues découvrant les vestiges d’une civilisation éteinte depuis longtemps. »
Les aspects visuels de la vie dans la République tchécoslovaque
L’intention de Dagmar Hájková était de donner à l’évocation écrite de la vie de la Première République aussi un aspect visuel. Un grand soin été accordé par les éditeurs au choix des illustrations. Ils ont rassemblé un énorme matériel iconographique qui illustre et anime les textes consacrés aux faits historiques :
« Le projet était très intéressant pour nous parce que le livre devait être structuré en trois niveaux. Dans le premier, il y a des informations essentielles de caractère général, dans le deuxième il y a des chapitres sur des phénomènes de moindre importance et la vie de tous les jours et dans le troisième il y a des images. Nous voulions présenter dans notre livre beaucoup d’illustrations et nous avons réussi à le faire. Et ces photos et ces dessins sont abondamment commentés par des textes qui approfondissent encore le regard sur les thèmes traités. »D’innombrables photos, des facsimilés de tableaux, d’affiches, de dessins et de caricatures font resurgir de l’oubli des personnalités politiques de l’époque, de grandes manifestations populaires, l’aspect des villes et des villages et leur modernisation rapide, mais aussi les soucis et les plaisirs des gens simples, leur mode de vie, leurs religions, leurs élans sportifs et leur sens de l’humour. Dagmar Hájková explique le procédé de sélection des images :
« Nous ne voulions pas publier que les photos généralement connues, et nous avons donc cherché dans des journaux et des magazines de l’époque. Nous avons été beaucoup aidés aussi par notre graphiste. Et je dois avouer que nous avons puisé parfois même dans nos archives de famille. Parmi les photos dans le livre il y a donc entre autres celle du sabre de mon grand-père qui était policier. »L’existence de la Première République tchécoslovaque n’a été que de courte durée. Vers la fin des années 1930, elle ne parvient pas à résister à l’agressivité de l’Allemagne nazie. Abandonné par ses alliés, le jeune Etat qui n’est encore qu’au seuil de la maturité, subit une nouvelle transformation. Coupé de ses territoires frontaliers par les accords de Munich, il est livré pratiquement sans défense à l’agressivité de son puissant voisin et finit par être occupé par l’Allemagne. Les éditeurs du livre constatent pourtant : « Bien que la Première République tchécoslovaque n’ait duré que vingt ans, elle a été et elle est encore aujourd’hui perçue comme une étape substantielle de l’histoire tchèque et slovaque, comme son point nodal. »