Quand les lycéens tchèques décernent leur prix littéraire
Le printemps est la saison des prix littéraires tchèques. Parmi ces prix, il est une distinction qui passe souvent inaperçue mais qui ne manque pas d’intérêt. Il s’agit du prix Česká kniha - Le Livre tchèque fondé d’abord comme un moyen pour promouvoir la littérature tchèque à l’étranger. Avec le temps le projet a beaucoup changé. Aujourd’hui, il s’agit aussi d’un moyen pour attirer à la littérature les jeunes lecteurs et la distinction pourrait s’appeler le Prix des lycéens.
Un prix à la dimension internationale
C’est l’écrivain et journaliste Martin Daneš qui est le père spirituel du prix Le Livre tchèque, projet qui en est cette année à sa huitième édition. Il s’explique :« J’ai eu l’idée du prix Le livre tchèque en 2011. J’ai voulu créer un prix un peu différent. Je vivais déjà en France et je constatais qu’on ne trouvait que très peu de traductions du tchèque sur le marché du livre français. J’ai donc décidé de créer un prix littéraire qui aurait une dimension internationale et d’essayer de vendre les livres gagnants aux éditeurs étrangers. C’est pourquoi nous avons créé l’institut Les observateurs mondiaux composé d’éditeurs étrangers qui s’intéressent à la littérature tchèque et auxquels nous donnons des informations sur le processus de la sélection des livres, sur le livre gagnant et finalement aussi un extrait de l’ouvrage gagnant traduit par un traducteur professionnel. »
Sur la liste de ces observateurs il y a aujourd’hui plus de trente maisons d’édition de douze pays. Il s’agit d’éditeurs qui non seulement s’intéressent à la littérature tchèque mais qui ont publié ou envisagent de publier des livres tchèques traduits dans leur langue. Dernièrement, Martin Daneš a décidé d’ajouter au projet Le livre tchèque encore un aspect important :
« Des gens me disaient : ‘Mais à quoi ça sert un prix littéraire, il y en a tellement, il y en a beaucoup en Tchéquie. Ils ne voyaient pas la dimension internationale du projet qui n’est pas tellement visible en Tchéquie et à Prague. J’ai donc cherché à différencier ce prix davantage, à créer une sorte de marque de fabrique. Tous les prix littéraires tchèques ont des jurys, disons, professionnels, mais je me suis inspiré du cas de Lenka Horňáková-Civade qui a obtenu en 2016 le Prix Renaudot des lycéens. Ce prix où le jury est composé d’étudiants, de lycéens, est un concept à succès. Je me suis dit : ‘Voilà, cela n’existe pas en Tchéquie. Pourquoi pas faire un essai ?’ ».
Le prix des lycéens
Cet essai a été fait et le prix s’est ouvert aux jeunes lecteurs et plus précisément aux lycéens tchèques. Martin Daneš explique les différentes étapes de la sélection des meilleurs livres :« Le premier choix est fait par des spécialistes, membres de l’équipe qui prépare le Livre tchèque et aussi des externes qui choisissent une quarantaine de livres. Le jury du prix principal est composé exclusivement de lycéens de trois lycées, chacun d’une ville différente, qui choisissent en deux tours le livre gagnant, c’est-à-dire le livre qu’ils préfèrent. Et puis il y a la deuxième distinction, le Prix des lecteurs. Dans son cadre les lecteurs choisissent eux-mêmes sur la même liste leur livre préféré par l’intermédiaire de trois sites Internet, celui du Livre tchèque et puis les sites de deux médias partenaires, ceux de l’hebdomadaire Reflex et du magazine littéraire en ligne Vaše literatura. »
Parmi les jeunes participants à ce projet il y avait Šimon Pecák, étudiant du lycée Chodovecká à Prague. Il décrit le déroulement de différentes étapes de ce concours littéraire qui a permis aux jeunes lecteurs de manifester leurs préférences :
« Ce sont surtout les lycéens qui participent à ce concours. Dans notre cas, c’étaient les étudiants des lycées de České Budějovice, de Hradec Králové et de Prague. Il y avait une vingtaine de lycéens qui se sont portés volontaires pour lire les livres. Cette possibilité nous a été donnée par notre professeure de tchèque. Nous avons reçu une liste de livres choisis qu’il fallait lire et juger. Chaque lycée a donc choisi ses favoris et puis on nous a envoyé les livres choisis par les deux autres lycées et nous avons continué à lire. Nous avons discuté et souvent nos opinions différaient, il y a avait des goûts et des attentes différentes. Cependant, à la fin, lorsqu’il a fallu choisir le gagnant, nous nous sommes mis d’accord sans problème, il n’y avait presque pas d’opinions contradictoires. »
Entre le Japon et la Tchéquie
Je me réveillerai à Shibuya (Probudím se na Šibuji) – tel est le titre du roman qui a été le plus apprécié par les jeunes lecteurs et a gagné cette année le prix Le livre tchèque. C’est un ouvrage en partie autobiographique écrit par la jeune japonologue tchèque Anna Cima. D’ailleurs, ce n’est pas la première distinction obtenue par cet ouvrage couronné déjà par le prix Magnesia Litera de la découverte de l’année, prix réservé aux auteurs débutants. Le lycéen David Kalenda a essayé de résumer pour nous ce livre qui jette un pont entre le Japon et la Tchéquie :« Le personnage principal du livre s’appelle Jana et c’est une jeune fille qui rêve depuis son enfance d’un voyage au Japon. Et finalement elle réussit à réaliser ce rêve grâce à une amie. Arrivée au Japon, elle finit cependant par se rendre compte que ce n’est pas le pays dont elle rêvait car elle y trouve beaucoup d’aspects négatifs. Son âme reste emprisonnée à Shibuya au Japon tandis que son corps retourne en Tchéquie où elle étudie la japonologie à la faculté des lettres. Dans ce livre s’entremêlent trois récits. Il y a un texte que Jana cherche à traduire du japonais au tchèque, puis il y a l’histoire de l’âme de Jana et il y a aussi sa vie réelle – et tous ces trois récits fusionnent à la fin du livre. »
Le jury du prix Magnesia Litera a notamment apprécié dans le premier roman d’Anna Cima un texte qui marie de façon naturelle plusieurs genres littéraires dont le récit psychologique, le roman universitaire, l’histoire à énigme et le récit de voyage original. Le lycéen Šimon Pecák trouve, lui aussi, que c’était le meilleur ouvrage parmi ceux qui figuraient sur la liste des candidats au prix Le livre tchèque :« Parmi tous les livres que j’ai lus dans le cadre de ce concours c’est celui qui m’a plu le plus. C’était mon livre favori et je n’étais pas surpris par sa victoire. C’est un livre qui réussit à captiver le lecteur depuis le début. On peut vivre ce que vit le personnage principal, on peut sentir ce que Jana sent, elle est décrite d’une façon tout à fait convaincante. Nous savons ce qu’elle ressent, comment elle réfléchit, ce qu’elle aime et ce qu’elle n’aime pas. Et en plus ce livre nous permet de découvrir la culture japonaise. Pour nous, le Japon est un pays très éloigné et j’ai appris dans ce livre beaucoup de choses intéressantes. »
Les jeunes et la littérature
Pour compléter ce palmarès ajoutons que le prix des lecteurs a été attribué cette année au roman de Jan Stifter Le collectionneur de neige (Sběratel sněhu) qui revient dans ce livre sur le passé douloureux de la région de la ville de České Budějovice, au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale et l’expulsion des Allemands des Sudètes. Le prix Le livre tchèque pose entre autres une question qui est d’une importance vitale pour la littérature en général. Quel est le rapport des jeunes à la littérature à l’époque des médias électroniques ? Que répondre à ceux qui disent que les jeunes cessent de lire ? Martin Daneš admet que c’est en partie vrai mais il ajoute aussitôt :« Il y a évidemment aussi des jeunes gens qui lisent et qui lisent même beaucoup. Et c’est à eux qu’on a voulu donner l’occasion de se présenter, de montrer leur choix, de dire aux adultes : ‘Voilà, nous sommes là, nous nous intéressons à la littérature tchèque contemporaine et nous sommes capables de vous donner des suggestions de lecture, nous aussi.’ »