Zuzana Čaputová vue de Prague : « entre espoir et attentes exagérées »
Près de trois jours se sont écoulés depuis l’élection très médiatisée de la nouvelle présidente slovaque. Avec un peu de recul, comment la victoire de Zuzana Čaputová est-elle comprise et analysée à Prague ? Sélection de réactions de politiciens tchèques et de commentaires publiés dans les médias tchèques en ce début de semaine :
« Je me réjouis de vous accueillir bientôt au Château de Prague et j’espère sincèrement que nous prolongerons la tradition d’amitié personnelle qui lie les présidents tchèque et slovaque, qui est le reflet de la fraternité entre Tchèques et Slovaques. »
Ce sont les mots adressés en ce début de semaine par le président tchèque Miloš Zeman à Zuzana Čaputová, qui a confirmé que Prague serait la destination de son premier voyage officiel, tradition oblige, après sa prise de fonction au mois de juin.
A Prague, ils sont nombreux à se réjouir de cette rencontre entre deux chefs d’Etat que tout ou presque semble opposer : le sexe, l’âge, le fond et la forme.
La presse tchèque ne manque pas de rappeler que le président Zeman a reçu l’adversaire de Zuzana Čaputová une semaine avant le deuxième tour, comme il l’avait fait avec le candidat malheureux de la dernière présidentielle autrichienne.
Orientation pro-européenne
Du côté du gouvernement tchèque, l’élection de la première femme à la présidence slovaque a été saluée par le Premier ministre Andrej Babiš, lui-même d’origine slovaque, et par le chef de la diplomatie Tomáš Petříček :« Pour la République tchèque cela signifie que la présidence slovaque aura une orientation pro-européenne ; c’est aussi une garantie que nos relations bilatérales vont continuer de se développer. La Slovaquie est un partenaire spécifique pour nous, avec lequel nous avons des liens particuliers. De ce point de vue je vois une certaine continuité. »
En revanche, pour l’extrême-droite tchèque le résultat de l’élection slovaque est une très mauvaise nouvelle, entre autres à cause de cette orientation pro-européenne mais aussi parce que la candidate victorieuse ne s’est pas montrée hostile à l’adoption d’enfants par des couples homosexuels. Tomio Okamura est le chef du parti SPD :
« Elle soutient ouvertement la liquidation de la famille traditionnelle et des traditions chrétiennes européennes, ainsi que la liquidation des Etats-nations souverains. Ce qui est important pour la République tchèque est que même la présidente Zuzana Čaputová ne parvienne à rompre l’unité du groupe de Visegrad et son approche critique envers la politique de Bruxelles. »
« Čaputová, la présidente tchèque »
Zuzana, Zuzana ! criaient les supporters de Zuzana Čaputová à l’annonce des résultats samedi soir dans le vieux marché couvert de Bratislava.
Leur enthousiasme semble être contagieux tant la presse étrangère s’emballait dès dimanche sur les conséquences de cette élection, sur ce qu’elle représentait comme symbole dans une région dont on aime détester les dirigeants.
Certains y voient déjà le signe du déclin de l’illibéralisme ou du national-populisme tels que représentés par les dirigeants hongrois et polonais.
« Une présidente à la hauteur des enjeux contemporains », jubile un commentateur de l’ARD allemande, selon lequel Čaputová fait encore prendre un coup de vieux au président tchèque « Miloš Zeman, le provocateur et le cynique du Château de Prague, coincé dans ses conceptions des années 1970 et 1980 ».
Une certaine partie des médias tchèques n’y est pas allée de main morte non plus quant à l’impact de ce scrutin slovaque sur la région dans son ensemble.
« Čaputová, la présidente tchèque »était le titre de l’éditorial du rédacteur en chef du magazine Respekt, sous-titré « La Slovaquie a envoyé un peu d’espoir en Tchéquie aussi » et dans lequel on peut lire:
« Parfois les gens se résignent en constatant que c’est le ‘sens de l’Histoire’. Il semble que les défenseurs d’un monde libéral ouvert ne l’aient emporté qu’un temps, jusqu’à ce que juste après seuls les adversaires de l’ouverture et des valeurs libérales aient leurs chances. Zuzana Čaputová rappelle que le jeu est encore ouvert, que rien n’est joué d’avance et qu’il faut toujours essayer. Le combat sur la forme du monde n’est pas terminé – et ne se terminera jamais. »
Pourtant, l’auteur de ces lignes souligne que les Tchèques n’ont jamais été dans une situation aussi mauvaise que celle vécue par les Slovaques après l’assassinat du journaliste Jan Kuciak et il ne se fait pas d’illusion sur le fait qu’en Tchéquie une candidate au même profil que l’élue slovaque aurait dû faire face à un « festival » d’objections sur son « enthousiasme pro-européen, son manque d’expérience ou sa morale kitsch ».
Un des commentateurs de la radio publique tchèque se montre également prudent dans une note intitulée « Entre l’espoir et les attentes exagérées suscités par la présidente Čaputová », dans laquelle il met en garde ceux qui ont cru déceler une victoire sur le côté obscur de la force, « un Armageddon de leur combat contre le mal »:
« Les adversaires tchèques du président Zeman la regardent avec admiration. Čaputová elle-même a souvent évoqué un combat entre le bien et le mal, à tel point qu’elle a été critiquée pour le manque de concret dans son programme politique. »
Renforcement du camp 'antisystème'
Par ailleurs, ce même commentateur rappelle que le domaine de compétences du chef de l’Etat slovaque est restreint, comme peut l’être celui d’un président tchèque :
« [Le président sortant Andrej] Kiska est la preuve que le président ne peut vraiment pas faire beaucoup. Au terme de son mandat de cinq ans il constate les mêmes problèmes qu’au début de celui-ci. »Certains journalistes tchèques notent également que le président Zeman bénéficie toujours d’une alliance de circonstance avec son Premier ministre Andrej Babiš, tandis que la cohabitation entre la nouvelle présidente slovaque et la coalition gouvernementale dirigée par le parti de Robert Fico s’annonce beaucoup moins paisible.
A ce sujet, l’agence de presse tchèque ČTK n’a pas tardé à relayer les déclarations de Robert Fico dans un quotidien slovaque ce mardi matin :
« J’aimerais me tromper mais je suis convaincu que la politique qui va être menée au palais présidentiel ne sera pas un changement mais la continuité des cinq dernières années. Je crains que le clivage dans notre société soit plus important qu’avant et qu’il soit plus difficile de trouver un consensus sur les questions des valeurs, sur les questions sociales ou celles de politique étrangère. »
Plusieurs fins connaisseurs tchèques des méandres de la politique à Bratislava insistent aussi sur le fait que la victoire de Čaputová ne fait pas de la Slovaquie le pays des Bisounours.
En témoignent, écrit l’un d’entre eux dans le quotidien Hospodářské noviny, les scores du premier tour avec « le renforcement du rôle du camp soit-disant antisystème représenté dans cette élection présidentielle par les candidats Štefan Harabin et Marian Kotleba ».
Český Krumlov et concubinage
Sur une note plus légère, le site novinky.cz précise que l’une des destinations touristiques préférées de Zuzana Čaputová se trouve en République tchèque : la petite ville de Český Krumlov, que l’avocate connaît bien pour faire tous les ans une activité très prisée par les Tchèques - descendre la rivière Vltava à la rame.
Enfin, la presse tchèque commence à s’intéresser de près au compagnon de la présidente élue, Peter Konečný, et le journal Lidove noviny de s’interroger sur son éventuel programme lors des déplacements officiels de Zuzana Čaputová. « Il aura sûrement un programme spécial, comme le prince Philip quand il accompagnait encore son épouse, la reine Elisabeth II. »
De là à introniser Zuzana Čaputová, il n’y a qu’un pas…