Zuzana Čaputová à Prague pour la dernière fois en tant que présidente de la Slovaquie

Zuzana Čaputová et Petr Pavel

La présidente slovaque sortante Zuzana Čaputová est à Prague depuis mercredi pour une visite de deux jours : ce jeudi, elle a reçu des mains de son homologue tchèque Petr Pavel la plus haute distinction du pays pour sa contribution aux bonnes relations tchéco-slovaques.

Zuzana Čaputová à Prague pour la dernière fois en tant que présidente de la Slovaquie | Photo: Michaela Říhová,  ČTK

C’est à Prague que la présidente slovaque Zuzana Čaputová effectue en effet sa dernière visite officielle à l’étranger en tant que cheffe de l’État. Il y a cinq ans, c’est également en Tchéquie qu’elle s’était rendue peu après son investiture, dans la droite ligne de la tradition qui veut que les présidents tchèque et slovaque fassent leur premier et dernier voyage en fonction dans l’un ou l’autre ancien État de ce qui fut jadis la Tchécoslovaquie. Son successeur, Peter Pellegrini, qui sera investi ce samedi, n’y dérogera d’ailleurs pas non plus.

Pourtant rien n’est plus comme il y a cinq ans, lorsque cette avocate âgée alors de 45 ans, une des fondatrices du parti Slovaquie progressiste (PS), était devenue la toute première femme à diriger ce petit pays voisin de 5,5 millions d’habitants. Arrivée au pouvoir un an et demi après la mort du journaliste d’investigation Ján Kuciak et de sa fiancée Martina Kušnírová, dans un pays traumatisé par ce double assassinat aux motifs mafieux, sa campagne comme sa présidence ont été dès le début placées sous le signe de la décence et de l’apaisement.

Zuzana Čaputová | Photo: Michaela Danelová,  iROZHLAS.cz

Après ce drame, Zuzana Čaputová avait alors été partie prenante des manifestations d’ampleur inédite qui avaient conduit à la chute du gouvernement d’alors dirigé par Robert Fico. Et c’est vrai que cette militante anti-corruption n’a eu de cesse, à la tête de l’État slovaque - et bien que comme en Tchéquie, cette fonction soit essentiellement protocolaire - de remettre un peu d’humanité et de droiture dans un pays où la scène politique reste en grande partie gangrénée par les combines et le cynisme.

Difficile de croire parfois que Slovaquie et Tchéquie ont constitué un jour un seul et même État, tant ce voisin oriental semble avoir pris une autre direction, surtout ces dernières années. Si la Tchéquie n’est absolument pas imperméable au populisme, loin de là, la Slovaquie semble avoir succombé davantage à ses sirènes : traversé par des courants conspirationnistes, en particulier depuis la pandémie de Covid-19, et prorusses, en lien avec la guerre en Ukraine avec laquelle il partage une frontière commune, le pays est considéré désormais par beaucoup comme une sorte de « laboratoire de la désinformation en Europe ». Zuzana Čaputová, elle-même, avait vigoureusement mis en garde l’an dernier contre la campagne de désinformation ciblée de Moscou contre son pays.

Las, le come-back du populiste pro-russe Robert Fico aux manettes du gouvernement à l’automne dernier, celui-là même qui traitait la présidente de « p… américaine », suivi de l’élection de Peter Pellegrini, « candidat de la peur » à la succession de la présidente, semblent avoir donné raison à Zuzana Čaputová qui avait décidé en 2023 de renoncer à briguer un nouveau mandat, usée par les attaques verbales ad hominem d’une violence inouïe :

« Ce n’est vraiment pas facile parce que c’est assez nouveau : c’est un type d’attaque, contre lequel il est terriblement difficile de se défendre... Comment prouver que l’on n’est pas ce dont on vous accuse ? Cela peut paraître naïf, mais je compare souvent cela à la question de savoir comment prouver que l’on n’est pas un Martien ? Quel type de preuve devez-vous présenter pour démontrer que quelque chose est absurde, dangereux et faux ? Je suis convaincue que ceux qui ont propagé ces mensonges sur moi savaient que ce n’était pas vrai. Ces attaques personnelles ont débordé dans la société et se sont traduites par des menaces de mort répétées à mon encontre et à l’encontre de mes proches. Donc oui, cela a compté dans ma décision [de ne pas me représenter] même si le processus était plus complexe. Je n’ai pas pris cela à la légère, surtout dans une période de crise totale et de méfiance croissante à l’égard des institutions. Mais comme j’ai essayé de l’expliquer et de le justifier il y a environ un an, cette décision repose sur de nombreuses raisons personnelles. Des raisons personnelles profondes. Et, oui, une partie de ces raisons, bien sûr, était cet aspect de ne pas vouloir mettre sa famille en danger avec sa profession. »

Zuzana Čaputová | Photo: Michaela Danelová,  iROZHLAS.cz

Des couleuvres, Zuzana Čaputová en a donc avalé, sans jamais pour autant laisser de côté sa boussole morale comme elle en a encore fait la preuve récemment en apportant un soutien sans faille au Premier ministre Robert Fico, victime d’une tentative de meurtre le 15 mai dernier.

C’est en tout cas en tant que présidente d’un pays fracturé, polarisé comme jamais que Zuzana Čaputová va rendre le 15 juin les clés du palais Grasalkovič à Bratislava, siège de la présidence. Et sa dernière visite à Prague entérine dans une certaine mesure un nouveau chapitre dans les relations tchéco-slovaques, 31 ans après la partition de l’État commun.

Des relations historiquement étroites donc, et jusqu’alors caractérisées par une confiance mutuelle inébranlable : avec le départ de la cheffe de l’État, la Tchéquie perd aussi la dernière interlocutrice officielle raisonnable d’un pays au gouvernement désormais revendiqué comme illibéral, dans le sillage de la Hongrie de Viktor Orbán.

L’actuel gouvernement tchèque ne s’y est d’ailleurs pas trompé : fait inédit, au printemps dernier, le Premier ministre Petr Fiala (ODS) a annoncé la suspension des consultations bilatérales régulières entre les gouvernements tchèque et slovaque, après que le chef de la diplomatie slovaque, Juraj Blanár, a rencontré et serré la main de son homologue russe Sergueï Lavrov en Turquie.

L’heure étant aux adieux, le président Petr Pavel a tenu à remercier son homologue slovaque à laquelle il a remis ce jeudi la plus haute distinction de l’État tchèque :

Zuzana Čaputová a reçu la plus haute distinction du pays pour sa contribution aux bonnes relations tchéco-slovaques | Photo: Kateřina Šulová,  ČTK

« Grâce à l’ouverture, la décence et la prévenance de madame la présidente, les relations entre nos deux pays n’ont eu de cesse d’être renforcées et approfondies ces cinq dernières années. Il faut la remercier pour cela. Ces adieux ont aussi été l’occasion de discuter de plusieurs thèmes importants comme les conséquences de la guerre en Ukraine sur nos deux pays, comment les résultats des élections européennes se refléteront dans nos pays respectifs. »

Car c’est peut-être une forme de paradoxe pour Zuzana Čaputová d’observer, à l’heure de quitter le pouvoir, que Slovaquie progressiste, le parti dont elle est issue, est, à rebours des scrutins nationaux, arrivé en tête des récentes élections européennes tandis qu’en Tchéquie, c’est le mouvement populiste ANO, du businessman et ex-Premier ministre tchèque Andrej Babiš, natif de Slovaquie, qui a remporté le scrutin.

De quoi peut-être alimenter, d’un côté, l’espoir qu’il n’y a pas nécessairement de fatalité illibérale pour la Slovaquie, et de l’autre, une certaine vigilance sur le fait que la Tchéquie n’est pas à l’abri des séismes politiques vécus par son voisin le plus proche.