Devenir français sans oublier ses racines : l’itinéraire d’un jeune Afghan primé au festival One World
Cœur de pierre, c’est le nom du film vainqueur de la 21e édition du festival du film sur les droits de l’Homme, One World, qui s’est achevé dimanche, à Prague. Ce documentaire, portrait d’un jeune Afghan, Ghorban, arrivé en France à l’âge de douze ans, retrace son parcours semé d’embûches pour apprendre la langue, aller à l’école, s’intégrer et obtenir des papiers. Quatre ans après l’explosion du nombre de réfugiés arrivant sur les côtes européennes, l’histoire de Ghorban rappelle d’abord que la crise migratoire est un phénomène bien plus ancien, mais aussi et surtout que derrière les chiffres se cachent avant tout des drames humains individuels. Les réalisateurs de Cœur de pierre, Olivier Jobard et Claire Billet, étaient à Prague la semaine dernière. Ils sont revenus sur leur rencontre avec Ghorban au micro de Radio Prague.
Votre film suit ce jeune Afghan pendant huit ans. Aujourd’hui, il a une vingtaine d’années, donc tout cela a commencé il y a dix ans environ…
OJ : « Tout à fait, en 2010. Il avait douze ans et demi à l’époque. Il avait quitté l’Afghanistan à huit ans. Il était passé par l’Iran précédemment puis l’Italie et venait tout juste d’arriver en France. »
CB : « Il a quitté son pays à l’âge de huit ans pour rejoindre l’Iran où se trouvaient son frère et son père. Il quittait un environnement très compliqué en Afghanistan. A son arrivée en Iran, son père était déjà décédé et son frère travaillait seul. Il est resté quelques années à travailler comme mineur clandestin en Iran. Puis son frère est parti en Europe pour une vie meilleure et il a décidé de le rejoindre à l’âge de onze ans et demi, douze ans. A cet âge, il s’est retrouvé tout seul sur les routes, jusqu’en France. »
Quand vous avez décidé de le suivre avec votre caméra, quels objectifs vous êtes-vous fixés ?
OJ : « C’est un pur accident : c’est lui qui a commencé à nous parler, or on ne comprenait pas ce qu’il nous disait. A l’époque venaient de sortir les premiers appareils photos avec un mode vidéo. C’est comme cela qu’on est passés en vidéo alors qu’à la base, je suis photographe. Mais rien de tout cela n’était prévu à l’origine. On ne savait pas ce qui allait se passer ou même, s’il resterait en France. Le projet a mis du temps à mûrir, à naître. Quand on a compris qu’il avait pour objectif de retourner dans son pays pour revoir à sa mère, on s’est dit que cela mettrait un terme au projet. »Comment se sentait Ghorban par rapport à la caméra ? On le voit dans des moments très intimes, notamment lors de séances chez le psychologue de Médecins sans frontières. On y voit aussi son évolution : au début il a du mal à parler, ne serait-ce qu’en raison de la barrière de la langue et petit à petit, il se livre davantage…
CB : « En fait, je pense que pour lui il y a une forme de fierté de pouvoir dire ce qu’il traverse et que ça serve d’exemple aux autres. D’autre part, on était d’accord avec Ghorban et Stéphane, le psychologue, pour que la caméra soit éteinte quand il le souhaiterait. L’idée était de ne pas le trahir et de ne pas le déranger. Après, il y a toujours des moments où la caméra est difficile pour lui, où Ghorban n’a pas envie qu’on soit là… C’est toujours un exercice d’équilibriste délicat. »OJ : « L’accord était aussi de ne rien diffuser tant qu’il n’aurait pas atteint la majorité et qu’il serait juridiquement à même de valider le projet ou pas. Tant qu’il était mineur, il était sous la responsabilité de l’Aide sociale à l’enfance. Le juge des tutelles ne souhaitait pas qu’on le filme car il était sous sa protection. On a tout fait un peu en cachette et en réalité, il y a de nombreux moments de sa vie auxquels nous n’avons pas eu accès. Les seuls moments où c’était vraiment possible, c’était chez le psy. »
Votre film est un portrait d’un jeune réfugié qui traverse la moitié de la planète pour aller en France. Est-ce que vous avez envisagé de confronter son histoire au destin d’autres personnes ?CB : « Non, nous ce n’est qu’un seul portrait : on préfère s’attacher à une personne et raconter vraiment son histoire. C’est une histoire unique et en même temps universelle et on n’a pas envie d’aller raconter d’autres choses. C’était l’histoire de Ghorban avant tout, qui nous est arrivée par accident. »
OJ : « Si on avait voulu faire un reportage en prenant différents cas on l’aurait fait. Si on a filmé l’histoire de Ghorban, c’est qu’elle nous intéressait, qu’elle nous a convaincus et que nous nous sommes attachés à ce môme. »
Vous êtes devenus ses parrain et marraine…
CB : « On ne savait pas qu’existait le statut de parrain et marraine républicains en France. C’est quelque chose qui n’engage à rien et qui est honorifique. C’est lui qui, à dix-huit ans, quand il a eu ses papiers et la nationalité française, qu’il s’est retrouvé en foyer de jeunes travailleurs, un endroit où il est plus autonome, qui nous a proposé de devenir parrain et marraine républicains. On a dit oui parce que pour lui, c’est important : il ne se retrouve pas totalement seul. En même temps, nous ne sommes ni ses tuteurs, ni ses éducateurs. On est juste là comme des référents, on peut l’aider s’il a un problème, mais on n’est pas là pour le guider dans sa vie : il fait ses propres choix. Cela date d’il y a trois ans. »OJ : « Encore une fois c’est lui qui l’a demandé. Cela correspondait au moment où il a quitté son foyer et ses éducateurs, dont il était très proche et qui l’avaient accompagné pendant six ans, étaient obligés de le lâcher. Car tout cela est purement administratif : le jour où il a eu dix-huit ans, il lui a fallu quitter le foyer. Du jour au lendemain, il n’a plus eu de référents. Il nous a donc demandés d’être ses parrain et marraine républicains pour faire le lien avec ses éducateurs. On continue par exemple de fêter son anniversaire, chez nous, avec ses éducateurs qui l’ont suivi pendant tout ce temps. »
Du point de vue du grand public, il y a eu cette crise migratoire qui a éclaté il y a quelques années. Mais on voit bien avec le destin de ce jeune homme que cela a commencé bien plus tôt, même si ce n’était pas médiatisé. Ce phénomène a d’ailleurs été perçu comme un problème en République tchèque où les dirigeants ont rejeté les quotas migratoires. D’ailleurs la Tchéquie n’a accueilli qu’une douzaine de réfugiés. Cela a suscité un important débat au sein de la société et c’est donc d’autant plus intéressant de montrer ce film au public tchèque…OJ : « Dites bien aux Tchèques que les mineurs isolés qui arrivent en Tchéquie seront beaucoup plus polis, beaucoup moins bruyants que les Anglais ou les Français qui viennent à Prague boire de la bière en open-bar ! »
CB : « Tu travaillais quand même sur la migration depuis vingt ans. Et depuis trois, quatre ans, les routes migratoires sont utilisées en politique. C’est un sujet qui devrait être citoyen, humanitaire, et qui est en réalité politisé. Il est utilisé pour jouer sur les peurs des gens. D’ailleurs pour nous ça a été plus compliqué de travailler dès que ça s’est retrouvé dans le feu des médias en 2015. »
OJ : « Si on a voulu s’attacher à une histoire unique comme celle de Ghorban, c’était aussi pour montrer que c’était possible. Ghorban a eu la chance de pouvoir être pris en charge par le gouvernement français et de bénéficier d’une éducation. Résultat, aujourd’hui, il a un métier, il paye des impôts, il fait partie de la société française, il est intégré, et ses enfants seront français, comme nous. C’est plutôt une réussite. Cela peut marcher à partir du moment où on se donne les moyens d’intégrer ces populations qui arrivent. Le problème c’est quand on ne les accueille pas et on ne les intègre pas naturellement. »Quel est le rapport de Ghorban avec l’Afghanistan aujourd’hui ? On le voit revenir chez lui dans la dernière partie du film. Son retour est très émotionnel, déchirant par moments, et en même temps plein de joie…
OJ : « Il y est très lié. Aujourd’hui, c’est sa raison de vivre : il peut leur donner ce que lui-même n’a pas reçu à l’époque. Il peut faire bénéficier d’autres de la chance qu’il a eue d’être accueilli en France. Il aide sa famille et c’est ce qui lui importe. C’est aussi une motivation pour aller de l’avant et pour continuer. Il est donc bien plus intimement lié à l’Afghanistan aujourd’hui que quand il a quitté le pays. Il a retrouvé ses racines et ça lui permet de grandir. »