Interdit par la censure communiste, un documentaire tchèque sur le Tibet ressort en salles
Tourné en 1954, un film documentaire tchécoslovaque intitulé « Cesta vede do Tibetu » (La Route mène au Tibet) est récemment sorti en salles en République tchèque. Œuvre du réalisateur Vladimír Sís et du caméraman Josef Vaniš, le film avait obtenu de nombreux prix à l’époque, notamment aux festivals de Venise et de Karlovy Vary en 1955, avant d’être interdit par la censure du régime communiste en Tchécoslovaquie à la fin des années 1950. Sa version numérique a été présentée pour la première fois au cinéma Lucerna à Prague en présence du fils du réalisateur.
Coproduction tchécoslovaco-chinoise, le film traite de la construction de la route de très haute montagne reliant la province du Sichuan à Lhassa, alors que le Tibet était déjà à l’époque un territoire occupé par la Chine. Mais tandis que les soldats chinois commençaient à démolir les monastères bouddhistes, les cinéastes tchèques avaient encore pu en filmer un certain nombre, ainsi que documenter les difficiles conditions de vie des habitants tibétains ou encore une rencontre avec le dalaï-lama, qui était alors âgé de 19 ans.
On écoute le distributeur du film, Viktor Kuna :
« Dans le film, nous pouvons voir, outre le dalaï-lama, le Xe Panchen Lama. Ils étaient alors dans une situation extrêmement difficile, étant donné que les premières troupes chinoises sont entrées au Tibet dès 1950. Le dalaï-lama savait que la situation ne se présentait pas bien du tout. Il paraît que le film le montre juste avant qu’il ne se rende en Chine pour négocier. »Plus de soixante ans plus tard, le film reste ainsi, malgré un commentaire propagandiste, un témoignage historique unique en son genre. Les cinéastes ont voyagé à travers le Tibet pendant neuf mois. A part la construction de la route reliant la province du Sichuan à Lhassa, qu’ils étaient censés documenter avec leurs collègues chinois, comme l’ont souhaité les autorités tchécoslovaques, Vladimir Sís et Josef Vaniš ont saisi la vie quotidienne des habitants du Tibet. Viktor Kuna :
« La population est présentée dans toute sa diversité. Nous pouvons découvrir de multiples activités qu’exerçaient les gens, nous les voyons par exemple tisser des tapis et des tissus traditionnels. Nous y voyons également des costumes et des danses populaires ou encore le Palais du Potala qui est un centre spirituel et culturel de Lhassa. Voilà pourquoi ce film est unique : on ne verra jamais plus ce patrimoine tel que les cinéastes l’ont filmé, car de nombreux monuments ont été détruits sous la révolution culturelle en Chine. En plus, une très belle musique accompagne les images. »« Le commentaire du film, lu par l’acteur Karel Höger, est évidemment influencé par la censure communiste. C’est un éloge à la construction de cette route de montagne, on y dit que c’est une construction qui allait libérer le Tibet, c’est un mensonge. Malgré cette propagande, le film a été interdit, car les cinéastes ont su transmettre d’une manière ingénieuse la réalité du Tibet. »
Trois versions d’un même film
Récompensé dans les festivals de Venise et de Karlovy Vary en 1955, le film La Route mène au Tibet n’est sorti en salles qu’un an plus tard, pour être ensuite interdit par la censure tchécoslovaque. Suite à un différend avec les autorités chinoises, trois versions du documentaire avaient été créées. Comme l’explique le distributeur du film Viktor Kuna, les spectateurs peuvent actuellement voir en salles celle qui a été produite pour les cinémas tchécoslovaques.
« C’est en fait l’unique version qui a été conservée jusqu’à aujourd’hui. Une autre version était destinée à la distribution en Chine et une autre encore pour les festivals internationaux. Les deux sont introuvables. Personnellement, j’ai appris l’existence de ce documentaire grâce à mon ami David Sís, le fils du réalisateur Vladimír Sís. J’ai projeté pour la première fois le film que son père a tourné au Tibet dans le cadre du festival ‘Dech hor’. C’est un festival du film de montagne que j’ai le plaisir d’organiser dans la ville de Jilemnice, dans le nord de la Bohême. J’ai tout de suite apprécié ce documentaire et j’ai proposé aux Archives nationales du cinéma de scanner ces images. »La version numérique du film La Route mène au Tibet est sortie en salles fin février. Les dates et les lieux des projections sont à consulter sur le site du festival Dech hor, au http://dechhor.cz