Les archéologues en quête des traces du passé dans les rivières tchèques
Depuis la préhistoire, les hommes ont un lien privilégié avec les sources d’eau. Dans les pays tchèques, comme ailleurs, les rivières et les lacs ont représenté un lieu attractif pour l’homme qui les a modifiés et exploités pour ses besoins, mais pour lequel les cours d’eau étaient aussi des lieux de culte. Tous ces aspects fascinent et intriguent les chercheurs spécialisés dans l’archéologie subaquatique divisée généralement en archéologie sous-marine et celle pratiquée en eau douce. Pionnière des recherches archéologiques subaquatiques en République tchèque, Barbora Machová de l’Institut d’archéologie de Prague nous raconte les débuts de la discipline dans son pays.
Diplômée de l’Université Masaryk de Brno, Barbora Machová a récemment mené des fouilles archéologiques dans la rivière Vltava, à Prague, à proximité du pont Charles. Une prospection très médiatisée qui a permis de populariser l’archéologie subaquatique encore très peu connue en Tchéquie. Barbora Machová se souvient de ses propres débuts dans ce domaine :
« J’ai commencé à pratiquer la plongée à peu près deux ans après avoir commencé mes études d’archéologie, dans le cadre desquelles je me suis spécialisée dans l’étude des champs de tumuli. Pendant longtemps, je n’ai pas pensé à relier les deux activités. En préparant mon doctorat, j’avais envie de commencer quelque chose de nouveau. A cette époque, j’en ai appris davantage sur l’archéologie subaquatique. J’ai vu que des fouilles en eau douce étaient réalisées en Hongrie et en Slovénie, où cette pratique avait une tradition centenaire. Je me suis dit qu’il serait sans doute possible de le faire aussi chez nous. »« La différence entre les deux types d’archéologie subaquatique est énorme. J’aime pratiquer les deux, même si je trouve l’archéologie en eaux douces plus intéressante. D’ailleurs, je n’aime pas utiliser le terme d’archéologie sous-marine, car il s’agit toujours d’archéologie subaquatique, qu’elle soit pratiquée en eaux salées ou douces. A l’étranger aussi, les archéologues pratiquent en général les deux types de fouilles, car la méthode de travail en mer et en rivière est presque identique. »
Pirogues monoxyles, objets votifs, armes, couteaux et haches
« L’archéologie des mers et des océans est différente dans le sens où l’on y trouve essentiellement des épaves. Les navires et les marchandises qu’ils transportaient représentent 99% des trouvailles archéologiques dans les mers. Il s’agit de navires de l’époque romaine chargés d’amphores que l’on trouve en Méditerranée, ou encore des épaves du Moyen Âge. Tandis que chez nous, il existe une grande diversité d’objets anciens que l’on peut trouver dans les cours d’eau et les lacs. »Quels sont alors ces vestiges du passé cachés au fond des rivières et des lacs ?
« Dans les fleuves allemands, slovènes ou français, il est possible de trouver des restes de ports et de môles. Dans la région des Alpes ou encore en Pologne, il existe, souvent dans des lacs, des vestiges de maisons sur pilotis datant de l’Âge de pierre. »
Avec son équipe, composée d’une vingtaine de personnes de professions différentes qui pratiquent la plongée pour le plaisir, Barbora Machová a effectué des fouilles archéologiques dans les eaux de l’Elbe et de la Vltava, ainsi que dans les rivières Dyje et Morava, sans oublier les barrages de d’Orlík et de Dalešice.
« Au début, nous nous sommes concentrés sur les principaux cours d’eau en République tchèque. Je pensais que le potentiel archéologique y serait important. Mais finalement, je me suis rendu compte que leur utilisation et leur régulation étaient tellement importantes, qu’il était plus intéressant de nous consacrer à des cours d’eau plus petits et non-régulés, tels que les rivières Ohře, Oder ou Jizera qui peuvent elles aussi témoigner du passé. »
Les recherches archéologiques menées par Barbora Machová précisément dans les rivières Dyje et Morava, ainsi que les travaux de régulation qui y ont été effectués au cours du XXe siècle, ont donné lieu à la découverte de pas moins de 200 objets anciens.« Il s’agit principalement d’objets métalliques : des armes, des couteaux, des faucilles, des haches, ainsi que des instruments utilisés à l’Âge de pierre. Auparavant, une quarantaine de pirogues monoxyles ont également été découvertes dans les rivières tchèques. Ce sont des embarcations construites à partir d’une pièce de bois unique, taillée dans un tronc d'arbre. Elles témoignent, elles aussi, de l’utilisation intense de ces cours d’eau au fil des siècles. »
Si l’archéologie subaquatique en République tchèque en est encore à ses débuts, marqués par un manque de moyens financiers et d’équipements de pointe, ce sont toutefois des débuts prometteurs et Barbora Machová, qui vient d’ailleurs de nouer des liens avec ses collègues de l’Université de Bourgogne, s’en réjouit :
« A l’automne 2018, nous avons organisé en République tchèque, en collaboration avec le Centre International d'Archéologie Subaquatique de Zadar, en Croatie, un premier cours de formation destiné aux étudiants tchèques en archéologie. Ils étaient trois à y participer, ainsi que deux jeunes archéologues originaires de Norvège et de Russie. Je suis contente que chez nous, de plus en plus d’archéologues commencent à se familiariser avec notre méthode. Nous sommes très peu nombreux dans le monde à la pratiquer. Cela nous oblige à collaborer au niveau international. Nous sommes une petite communauté : lorsque nous nous rencontrons dans des conférences, nous sommes une quarantaine d’archéologues plongeurs, mais venus de quinze pays différents. Ce partage de nos expériences est toujours intéressant et enrichissant. »