Noël tchèque : les recettes et traditions d’antan
Dans la quatrième et dernière partie de notre série gastronomique consacrée aux spécialités de Noël, place sera faite aux repas de nos ancêtres. Tel qu’il se compose aujourd’hui avec sa soupe de poisson, sa carpe panée et sa salade de pomme de terre, le menu du réveillon tchèque est traditionnel essentiellement dans la pensée des Tchèques, puisque sa « tradition » ne remonte en réalité qu’à un peu plus d’un siècle.
Du Moyen-Age jusqu’à la fin du XIXe siècle, le repas de Noël était le plus souvent préparé avec des céréales, des légumineuses, des fruits secs et des champignons, le côté gastronomique étant indissociable des rites et traditions liés à la veillée de Noël.
Journaliste gastronomique et auteure de plusieurs livres de recettes, Petra Tajovský Pospěchová nous décrit le réveillon du 24 décembre tel qu’il était autrefois :« Les gens se réunissaient autour de la table à l’apparition de l’étoile du Berger. Sinon, ils jeûnaient ou mangeaient très peu pendant la journée : un morceau de pain ou une soupe légère. Par contre, pour commencer le repas festif, on ne servait pas de soupe comme aujourd’hui, mais, de façon symbolique, du pain très fin, une sorte de gaufrette qui rappelait une hostie. Ces gaufrettes se mangeait avec du miel ou avec de l’ail et des églantines. Ces trois aliments symbolisaient la santé que l’on souhaitait bien évidemment bonne pour l’année suivante. »
Les soupes sont depuis toujours indissociables du réveillon de Noël tchèque. Si aujourd’hui on prépare dans de nombreuses familles une soupe de poisson à base de la tête et des entrailles de la carpe et servie souvent avec du pain grillé coupé en petits cubes, les Tchèques mangeaient jadis des soupes diverses et variées. Faciles à préparer à partir d’ingrédients accessibles pour les familles pauvres, plusieurs soupes étaient même servies pendant le repas du réveillon.
« Les soupes étaient souvent préparées à base de légumineuses, de pois jaunes par exemple, de lentilles ou alors à base de champignons, qui étaient très appréciés autrefois. Les Tchèques leur prêtaient d’ailleurs une force magique, ils les croyaient ‘tombés du ciel’. Suivant les différentes régions de Bohême et de Moravie, il existait d’innombrables variétés de soupes de Noël : on préparait une soupe de millet, avec parfois des champignons et des nouilles. Dans la région de Valachie morave, on préparait une soupe appelée ‘štědrovka’ ou ‘štědrovnice’, littéralement ‘une soupe généreuse’ et on y mettait vraiment de tout : des lentilles, des pois, des pruneaux, des poires séchées, de l’ail… Toujours en Valachie, on mange aujourd’hui encore la fameuse ‘kyselica’, une soupe au chou et aux pommes de terre. A Noël, on la préparait plus riche et plus épaisse en y ajoutant de la crème, des pruneaux, des champignons et de la viande fumée. »Autre plat de Noël nourrissant de retour sur les tables ces dernières années : le ‘houbový kuba’. Simple et délicieux, ce plat est préparé avec de l’orge perlé, des champignons, de l’ail et des oignons caramélisés. On mélange le tout (sachant que l’orge doit être cuit préalablement) en y ajoutant de la marjolaine et du poivre avant de placer le ‘houbový kuba’ au four pour une vingtaine de minutes. Un autre plat végétarien de ce type était préparé dans la région des Monts des Géants, comme nous le raconte Petra Tajovský Pospěchová :
« Dans cette partie du pays, on prépare encore aujourd’hui le ‘houbovník’ : c’est un plat cuit aussi au four, mais dans ce cas on mélange les champignons avec des morceaux de pain, du lait et des œufs. On peut éventuellement y ajouter de la viande fumée. »
Carpe au bleu ou au noir
Aujourd’hui indissociable du repas festif de la veillée de Noël, la tradition de la carpe panée n’est finalement pas si ancienne : elle ne date en effet que des années 1920.
« Longtemps, les étangs ont appartenu à des couvents ou étaient des propriétés privées auxquelles les gens ordinaires n’avaient pas accès. Bien qu’appréciés, les poissons d’eau douce étaient plutôt rares. La carpe, qui était le poisson le plus commun, se trouvait le plus facilement. Elle était cuite au bleu, c’est-à-dire avec des légumes et du vinaigre, ce qui donnait une couleur bleu clair à la chair. Une autre spécialité s’appelait ‘la carpe au noir’ qui consiste à accompagner celle-ci d’une sauce délicieuse qui a effectivement une couleur noire, car elle est préparée avec des fruits séchés et de la confiture de prunes. »Ces dernières années, les Tchèques, surtout ceux qui souhaitent donner une touche de simplicité, de légèreté et d’authenticité à leur cuisine nationale, sont de plus en plus nombreux à redécouvrir et à préparer chez eux ces anciens plats. Ainsi par exemple, la sauce de Noël aux fruits séchés est très en vogue. C’est une sauce à laquelle on peut ajouter des noix ou des amandes et qui accompagne parfaitement la brioche tressée, la traditionnelle « vánočka ».
Avec cette brioche de Noël, préparée parfois à plusieurs dizaines d’exemplaires à l’époque dans les fermes tchèques selon leur taille, nous en arrivons aux desserts. Ceux-ci étaient représentés justement par des brioches et gâteaux au pavot, aux noix ou aux pommes, sans oublier les incontournables fruits séchés et petits pains d’épice qui étaient aussi utilisés pour décorer les sapins de Noël. Si nous avons jusqu’à présent évoqué ce que mangeaient autrefois les Tchèques modestes au moment du réveillon de Noël, il convient aussi de dire un mot sur les plats servis dans les familles riches et principalement citadines. Petra Tajovský Pospěchová :
« Du point de vue gastronomique, Prague se distinguait clairement du reste du pays. Au cours du XIXe siècle, la ville est très influencée par la France et on y servait à Noël des mets absolument exotiques pour le reste de la population tchèque, par exemple des escargots au beurre persillé. Je crois d’ailleurs que le 24 décembre, cette spécialité est au menu de plusieurs restaurants pragois. »Rappelons enfin que la veillée de Noël était entourée, en pays tchèques, de traditions et de rites liés pour certains à la nourriture :
« La journée du 24 décembre était magique, marquée par des rites païens et chrétiens. Par exemple, la maîtresse de la maison préparait de la pâte à pain avec de l’eau bénite. En même temps, elle devait toucher l’écorce des arbres de son jardin pour que ceux-ci deviennent féconds. Les animaux domestiques avaient droit, eux aussi, à goûter quelques-unes des spécialités de Noël, ce qui était censé les protéger des maladies. Pour cette même raison, on déposait les restes du repas de fête au pied des arbres. »
Bien que la plupart de ces rites ne soient plus pratiqués aujourd’hui, les Tchèques sont toujours nombreux à placer une écaille de carpe sous l’assiette de leurs proches au moment du réveillon de Noël, en tant que symbole de bonheur, de bonne santé et de prospérité.