Paul Koch, une carrière à penser la ville
En charge du développement immobilier en République tchèque pour le groupe ING dans la seconde partie des années 1990, Paul Koch a contribué à son niveau à l’évolution urbaine de la ville de Prague, où il a notamment œuvré pour la redynamisation du quartier de Smíchov ou pour la construction de la célèbre Maison dansante. Après avoir évoqué la semaine passée pour Radio Prague sa vie d’exilé entre la France, les Pays-Bas et les pays tchèques, le jeune retraité est revenu à notre micro sur ce travail dans l’immobilier, mais aussi sur son engagement en faveur d’un logement financièrement accessible aux classes moyennes.
Jean Nouvel à Smíchov
Paul Koch, nous sommes ensemble pour cet entretien au complexe de logements de la Villa Bianca, à Prague 6. Qu’est-ce que ce projet représente dans votre travail ?
« Villa Bianca est intéressant du point de vue de la typologie de fonction urbaine que nous avons ici. Quand on a commencé à travailler à Prague, on a d’abord travaillé sur un très grand quartier à Prague 5 qui s’appelle Smíchov, où j’ai fait venir Jean Nouvel, parce qu’on pensait que si nous faisions venir une grande star de l’architecture, cela allait un peu inciter les autres à continuer. On travaillait à Prague pour faire du bureau, à Prague 5 pour faire du logement, du bureau et du commerce et Villa Bianca, c’est surtout du logement. A cette époque, personne n’en faisait. On a choisi Prague 6 parce que c’est un peu le Passy de Prague. C’est le quartier un peu chic. Nous savions tout de suite que les valeurs urbaines et les valeurs foncières seraient élevées ici, ce qui amoindrit les risques pour mes patrons – parce qu’ils avaient toujours peur des grands risques. Je leur ai dit que s’ils commençaient à faire du logement dans Prague 6, ils ne se trompaient pas. »Vous l’avez mentionné : vous avez travaillé à Smíchov, à Anděl, avec Jean Nouvel, notamment sur le bâtiment Zlatý Anděl. Comment travaille-t-on avec Jean Nouvel et comment le fait-on travailler dans un environnement qu’il ne connait pas forcément, c’est-à-dire la ville de Prague ?
« Jean Nouvel, dans le temps, je le connaissais très bien parce qu’il avait travaillé pour moi à Rotterdam. Nous avions fait trois projets qui malheureusement n’ont jamais été construits. Je l’ai fait venir à Prague grâce à son associé de l’époque, Emmanuel Cattani. Nous nous sommes mis d’accord qu’ils auraient les parts de la société créée avec ING et d’autres investisseurs et qu’ils seraient rémunérés uniquement pour leurs frais. Dans le cas où nous trouvions un accord avec la ville de Prague et où nous obtenions un permis de construire, ils en seraient les architectes.Je travaille d’une façon absolument phénoménale avec Jean. C’était un garçon dans le temps absolument formidable. Nous avons fait des choses formidables. Nous avons créé une équipe de quatre architectes tchèques, qui sont venus à Paris, pour travailler dans l’atelier de Jean et pour faire le plan d’urbanisme de Prague 5 - Smíchov. Nous avons fait un plan stratégique, où il y avait une dizaine d’endroits où il était intéressant d’investir. Nous avons fait cela pour la ville de Prague, avec la ville de Prague, dans une société que nous avons créé avec la ville de Prague, Prague 5 et nous, qui s’appelait Společnost pro rozvoj Smíchova (Société pour le développement de Smíchov). »
La Maison dansante, « tout le monde était contre »
Quand le nom de Paul Koch est mentionné dans un article de presse, il est toujours associé à la Tančící dům (la Maison dansante). Comment avez-vous travaillé sur ce projet ? Aviez-vous conscience que ce bâtiment deviendrait emblématique à Prague ?
« Non, nous ne le savions pas. D’ailleurs, ce bâtiment, nous l’avons choisi grâce à Saskia (l’architecte Saskia Fokkema, la femme de Paul Koch, ndlr), parce qu’elle admirait l’architecte Frank Gehry, ce qu’il a fait de sa maison à Los Angeles. De mon côté, j’avais deux ou trois autres architectes. Nous avons rencontré Frank Gehry à Genève, avec l’architecte tchèque qui nous a fait le premier dessin, Vlado Milunić. Ils se sont tombés dans les bras et ils ont fait le bâtiment ensemble. C’est l’unique fois dans la carrière de Frank Gehry, où il a partagé le ‘copyright’ avec un autre architecte. Il y avait vraiment beaucoup d’émotion. Le bâtiment, c’était incroyable, c’était comme une dispute de ménage. C’est vraiment grâce à cette coopération, absolument unique, que cela a pu devenir quelque chose de beau.Mais tout le monde était contre, Klub Za starou Prahu (Le Club pour le vieux Prague), les personnes en charge du patrimoine… Tout le monde était contre. Mais à un moment, Karel Schwarzenberg, qui auparavant dirigeait l’office du président Václav Havel, a écrit un article dans un magazine. Il y disait : ‘Ecoutez, c’est parfait, c’est ce qu’il nous faut. A Prague, chaque fois, quelqu’un est venu construire quelque chose qui n’était pas là avant et c’est pour cela que nous avons quarante ou cinquante styles d’architectures. Cela vaut la peine de le faire.’ Lentement, les choses ont changé. Nous avons dû faire des maquettes énormes, nous avons fait une exposition, visitée par 70 ou 80 000 personnes. 70 % se disaient pour le projet. On a construit ce bâtiment et à la fin, la population l’a adopté comme quelque chose qui lui appartient. »
Durant votre carrière, quel serait le projet dont vous seriez le plus fier ?
« Pour moi, c’est Anděl, parce qu’Anděl a déclenché une urbanisation incroyable. Avez-vous connu ce quartier avant 1989 ? Nous avions un ami de famille médecin, qui a été tué parce que quelqu’un voulait lui voler 50 couronnes à une station de tram près de Zvon, non loin d’Anděl. Et son fils est devenu plus tard mon assistant. C’est lui qui a construit Anděl. Alors j’en suis fier.
ING dans le temps était le cinquième ou le sixième plus gros investisseur du monde. Quand une grosse bête comme cela investit dans un endroit, toute la concurrence se dit : ‘merde, il y a de l’argent à gagner, on va y aller aussi’. Les Français sont venus à Nový Smíchov (un centre commercial, ndlr), ensuite les Autrichiens à côté… Soudain, le quartier a commencé à se développer de façon incroyable. Aujourd’hui, il y a 450 000 mètres carrés de fonctions urbaines complètement nouvelles. Tout n’est pas une architecture formidable, même le Nouvel n’est pas forcément très beau – je préfère l’architecture de la Maison dansante -, mais bon, cela a déclenché ce processus. A mon avis, c’est un des plus grands quartiers en Europe qui a été créé pendant quinze à vingt ans. J’en suis fier parce que c’est nous qui avons déclenché cela. C’est un déclencheur d’urbanisation. »
Le logement, un poste de dépenses délicat pour les Tchèques
Aujourd’hui, l’un de vos chevaux de bataille, c’est de travailler sur le logement à prix abordable. Vous avez maintenant une agence, Agentura pro finančně dostupné bydlení (Agence pour un logement financièrement abordable). Quelle est cette structure ?
« En 2015, nous avons décidé avec mon épouse de venir vivre ma retraite en République tchèque. Quand je suis arrivé ici, j’ai vu qu’il devait y avoir un nombre énorme d’habitants qui ne pouvaient pas avoir des logements à des prix raisonnables. Avec mon neveu, Nisan Jazairi, nous sommes partis à la recherche des chiffres. Nous avons découvert qu’il n’y a pratiquement rien du tout dans les statistiques officielles.
A l’époque, le gouvernement préparait une nouvelle loi pour ce qu’ils appelaient le ‘sociální bydlení’, c’est-à-dire le logement social, mais dans sa définition tchèque, qui veut dire le logement pour les plus démunis. Les plus démunis sont 300 000 en République tchèque à peu près. Il y a 10 millions d’habitants et nous avons découvert, dans les documents qui servaient à préparer cette loi, qu’environ 30 à 40 % de la population dépense plus de 40 % de ses revenus mensuels pour le logement. C’est complètement ridicule ! Dans les pays développés de l’Union européenne, c’est entre 20 à 25 %.On s’est dit que c’était incroyable. C’est, disons, le tiers de la population, à peu près un million de ménages ! Le problème, c’est que cela n’intéresse pas le gouvernement ici. Il y a un gouvernement de droite, néolibéral, avec les théories de Friedrich Hayek et de tous ces gens-là. La philosophie c’est que si le Tchèque est incapable de gagner son fric pour payer son logement, c’est qu’il est paresseux.
Nous, nous avons organisé en 2016/2017, sept séminaires dans cinq villes, où nous invitions tous les maires, leurs adjoints et leur personnel en charge du logement. Cela a eu beaucoup de succès, mais relativement rien n’en sort. Ce n’est que maintenant, avec les élections qui approchent, les municipales, qu’on commence à en parler. Mais pour vous dire vraiment, je suis pessimiste. »
Que faudrait-il faire selon vous ?
« Il faudrait, à mon avis, créer un promoteur public, comme cela existe en France, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Autriche… dans tous les pays développés, où c’est l’Etat et le promoteur public qui défendent les intérêts de la ville. Parce que ce n’est pas dans l’intérêt de la ville qu’un tiers de la population ne puisse pas payer le logement. Il faut se rendre compte aussi que, si les gens, au lieu de payer 20 à 25 % pour le logement comme dans le reste de l’Europe développée, ils doivent payer 40 %, cela veut dire que 10 à 15 % se perd pour la consommation, pour le PIB. »