Elodie Pollet, la créatrice de parfums qui met des villes en bouteille
Chaque ville a son odeur spécifique. Et c’est un peu des villes qu’elle a habitées ou par où elle est passée qu’Elodie Pollet cherche à encapsuler dans ses flacons. Créatrice de parfums, elle est installée depuis peu à Prague. Avant de nous dire quelles senteurs caractérisent selon elle le mieux la capitale tchèque, elle est revenue au micro de Radio Prague, sur son parcours.
Depuis quand êtes-vous à Prague et qu’est-ce qui vous y a amenée ?
« Je suis à Prague depuis février 2017. Ca fait donc bientôt un an et demi. Je suis ici avec mon mari, et mon fils Clément qui a trois ans. J’ai suivi mon mari à Prague, qui travaille pour grosse société française. »
Etait-ce votre première expérience de l’expatriation ?
« En fait j’ai une longue expérience de l’expatriation. J’ai même commencé dès mes études puisque j’ai fait deux ans d’études à Reims puis deux ans d’études à Londres. Ensuite je suis partie directement pour Hong Kong où j’ai vécu quatre ans et demi. Ensuite, nous avons vécu quelques temps à Paris, puis à Dubaï, où on est restés deux ans. Il y a eu aussi Moscou, pendant trois ans et demi. Puis, re-passage par Paris et maintenant Prague. Donc c’est une longue expérience à l’étranger. Je suis née à Lille, mais j’ai quitté la ville à 16 ans et n’y suis jamais retournée. Je vis plutôt rarement en France en fait. Je pense que j’ai vécu plus longtemps à l’étranger qu’en France. »
Qu’avez-vous retiré de cette expérience à l’étranger ? J’imagine qu’il est difficile d’imaginer une vie en France après tout ce temps passé loin de l’Hexagone…
« Je trouve que l’expatriation est une chose très enrichissante. Je suis assez fainéante car je n’apprends jamais la langue du pays. Je me débrouille toujours avec l’anglais. Mon lien avec la France est quand même assez fort : j’y ai ma famille, j’y vais en vacances avec plaisir. Mais c’est vrai que quand j’y habite, je m’ennuie assez rapidement. Le quotidien y est trop facile, on comprend tout ce qui se passe autour de nous. Je préfère être à l’étranger. Je trouve que c’est vraiment très enrichissant de côtoyer des personnes de tous horizons. C’est vrai qu’à l’étranger je ne rencontre pas tant que ça les gens du pays parce qu’on a souvent tendance à rester entre expatriés, que ce soit des Français ou des gens d’autres nationalités. Mais malgré cela, je trouve ça génial. »
Donc vous aimez le dépaysement…« J’aime beaucoup le dépaysement et je m’en inspire d’ailleurs pour mes créations. »
Vous êtes en effet créatrice de parfums. Quelle est la différence avec le métier de nez ?
« Je suis créatrice de parfums dans le sens où j’ai ma marque de parfums. J’ai créé une marque de A à Z, avec le nom, l’histoire et les fragrances. Mais je n’ai pas fait d’études de nez. C’est cinq ans d’études assez compliquées car c’est vraiment de la chimie. J’ai fait une école de commerce. Je travaille par contre avec trois sources de nez différentes : une petite société à Grasse, la Société française aromatique qui est une petite structure familiale que j’aime beaucoup, Givaudan, qui est une grosse société suisse, créatrice de parfums qui travaille avec les plus grandes marques, et enfin Thomas Fontaine, un parfumeur indépendant. Tous ces gens-là sont des nez ou ont des nez. Je leur donne mes inspirations, les matières avec lesquelles j’aimerais travailler et eux vont vraiment la composition. Ensuite, on en parle, on fait des ajustements. Mais ceux sont eux qui font la création pure. »
Vous êtes donc la tête pensante du parfum. Mais est-ce que vous l’avez d’une certaine manière dans votre nez, déjà, quand vous y pensez ?
« Oui, quand je pense un parfum, quand je l’imagine, je m’inspire des villes où je vis pour le créer. Quand j’y pense, je l’ai déjà dans le nez en effet. Je sais déjà ce que j’ai envie de ressentir. Et très généralement, quand le nez me fait une proposition, je sais très vite si ça me va ou pas. C’est pour cela qu’il n’y a pas énormément d’ajustements : soit cela me plaît, et j’ai un coup de cœur, soit c’est que ce n’était pas pour moi et on part sur quelque chose d’autre. »
Votre nouveau parfum a été inspiré par Prague…« Exactement, c’est Eutopie No 11, mais c’est en fait mon dixième parfum. Ce sont toutes des eaux de parfum inspirées de mes voyages. Et quand je suis arrivée à Prague, c’était le plein hiver. Je me demandais bien ce qui allait bien pouvoir m’inspirer. Et puis, est arrivé le printemps. J’adore les parcs, il y en a partout à Prague qui est une ville très verte. En me baladant j’ai vu des lilas partout. Je me suis dit que c’était vraiment du lilas dont j’avais envie de parler. Je me suis aussi rendu compte que c’était un symbole dans la ville : sur la colline de Petrin, les Pragois vont déposer le 1er mai des branches de lilas au pied de la statue du poète Karel Hynek Macha. C’est aussi une fleur qui est symbole de liberté. J’avais vraiment envie de rendre hommage au lilas. »
Faites-moi sentir le parfum…
« Les premières notes sont fraîches, des notes agrumes, de citron, de bergamote, de mandarine jaune. Le départ est frais pour évoquer le printemps. Ensuite, dans le cœur il y a le lilas : en fait, c’est du lilas un peu sauvage, où il y a la fleur, les feuilles, la tige… Il y a aussi des fleurs blanches comme du magnolia, du muguet… et un peu de rose. Dans les notes de fond, il y a du cèdre, de la vanille, de l’ambre. »
C’est drôle car vous parlez du parfum un peu comme on parle du vin…
« C’est vrai qu’il y a une correspondance entre le vin et le parfum puisqu’on parle de notes… Pour le parfum, on parle toujours de notes de tête, notes de cœur et notes de fond. Les notes de tête sont un peu plus vaporeuses et vont s’évaporer plus rapidement. Et les notes de fond sont celles qui vont perdurer le plus longtemps. Donc, c’est vrai qu’il y a une analogie avec le vin : on parle d’agrumes, du fruit… Sauf que le vin se bonifie avec le temps, alors que pour le parfum, il n’y a pas vraiment de date de péremption mais on ne peut pas dire qu’il se bonifie avec le temps. On l’apprécie tout de suite dans l’instant. »
Ce parfum-là, le No 11, est inspiré de Prague. Vous avez également été inspirées par d’autres villes. Comment se fait le passage de l’idée d’une ville au parfum. Comment mettez-vous des villes en bouteille ?« L’histoire a commencé au Moyen-Orient où il y a une tradition très forte de parfums. Quand j’habitais à Dubaï je me suis dit qu’il y avait quelque chose à faire. Mes trois premiers parfums ont dont été inspirés par le Moyen-Orient. C’étaient des notes très ambrées, très boisées que j’ai mixées avec ce que je pense être l’élégance française : de la rose, des fleurs… L’histoire a continué. Je suis remontée vers le bassin méditerranéen et j’ai fait le No 4 inspiré de la Méditerranée. J’ai sauté le No 5 qui appartient à Chanel. Pour le No 6, je me suis inspirée de Moscou. Comment ai-je mis Moscou en flacon ? J’ai essayé de transmettre une dualité entre histoire et modernité, masculin et féminin. Je voulais un parfum un peu ambivalent ce qui a donné un cuir-géranium. A mon retour à Paris, j’ai créé un trio : je me suis inspirée les parcs, car j’aime beaucoup la nature. C’est un trio très vert qui fait vraiment penser au printemps ou à de l’herbe coupée, après la pluie. Pour le No 10, je me suis inspirée de l’Ouzbékistan. Je suis partie sur la Route de la soie avec Samarcande, Boukhara… un parfum où j’encapsule ce merveilleux voyage. Et le No 11, donc, s’inspire de Prague ! »