Iva Mrázková : « Avec la sculpture, je me sens comme une enfant qui joue »
Iva Mrázková est peintre. Mais aujourd’hui, elle crée également des sculptures monumentales qui, souvent, viennent s’implanter dans le décor urbain, dans un dialogue avec le patrimoine ou les espaces verts. C’est le cas actuellement de plusieurs de ses œuvres qui sont à voir dans plusieurs villes de République tchèque dans le cadre du festival Sculpture Line qui s’achèvera le 30 septembre prochain. Avec Iva Mrázková, artiste tchèque vivant au Luxembourg, nous avons parlé de son travail, mais aussi d’un documentaire consacré aux Tchèques installés dans le Grand-Duché.
« J’ai été invitée à la fin de l’année dernière à participer à ce festival parce que les organisateurs du festival et son directeur Ondřej Škarka voulaient élargir le festival pour dépasser les frontières tchèques. Ils ont eu envie de passer par le Luxembourg, et donc je représente le Luxembourg, même avec mon nom typiquement tchèque. »
En quoi consiste exactement ce festival Sculpture Line ?
« C’est la quatrième édition de ce festival. Des sculptures vont être exposées pendant trois mois, jusqu’au 30 septembre, dans l’espace public praguois mais aussi à Brno, Liberec, Ostrava, Plzeň… Au début du mois de juillet, il y aura aussi une sculpture de Rais devant l’ambassade tchèque au Luxembourg. Il a décidé de l’installer d’abord dans la galerie Mánes pour l’ouverture officielle, qui était le mercredi 13 juin et la déplacera dans trois semaines au Luxembourg. »
Le festival dépasse donc les frontières tchèques en allant jusqu‘au Luxembourg…
« Dans le cadre du festival il y a aussi un artiste chinois. Personnellement j’expose cinq sculptures en acier corten. Il y en a une au ministère de la Culture, une qui est exposée devant le bâtiment de ČEZ, une autre à Plzeň et à Ostrava, et encore une petite qui va être exposée dans le bâtiment Černá labuť où se trouve la direction du festival. »Les artistes ont-ils un droit de regard sur les lieux où leurs sculptures vont être exposées ? Cela se décide-t-il en collaboration avec l’équipe du festival ?
« Il y aura bientôt un catalogue avec un plan où on pourra trouver tous les lieux des sculptures. Aujourd’hui il existe déjà une super page web où on peut voir où sont installées les sculptures et comment elles ont été installées. C’est très drôle parce qu’on n’imagine pas qu’il faut une technologie aussi lourde pour chaque sculpture. Vous pouvez voir le développement de cette organisation sur www.sculptureline.cz. »
C’est vrai qu’il faut rappeler que toutes vos sculptures sont des structures monumentales…
« Oui mais par rapport aux autres, ce ne sont pas les plus grandes ! Les sculptures les plus grandes font plus ou moins trois mètres de hauteur. A la maison j’ai des sculptures encore plus grandes, mais c’était trop compliqué de les déplacer. »Comment une œuvre communique-t-elle avec l’espace qui l’entoure ?
« Je suis contente des emplacements qu’ont choisis les organisateurs : que ce soit le bâtiment du ministère de la Culture, mais aussi le bâtiment de ČEZ où la rouille sculptures se marie vraiment bien avec ce qui les entoure. La sculpture Formes qui est exposée à Plzeň est placée sur la pelouse, et le rouge de la sculpture ressort très bien sur le vert. »
Outre ces projets artistiques, vous avez également participé à un projet documentaire qui s’appelle České kořeny, soit « les racines tchèques ». C’est une série de documentaires qui retrace la vie de Tchèques à l’étranger et l’un de ces documentaires concerne justement les Tchèques installés au Luxembourg et en Belgique. Comment avez-vous participé à ce projet exactement ?
« C’est Martina Fialková qui m’a demandé de participer à ce projet. J’étais la plus jeune, parce qu’il s’agit de personnes qui ont émigré à l’époque communiste, tandis que j’ai émigré en 1989, quatre mois avant la Révolution de Velours. Je fais partie des derniers migrants à l’Ouest. Je pense qu’on voit dans le film que je perçois cette situation différemment puisque j’ai beaucoup moins souffert que ceux qui n’ont pas vu leur famille pendant des années. J’essaie de rester liée avec la communauté tchèque : depuis 2014 je suis Consul honoraire de la République tchèque au Luxembourg. C’est un grand plaisir pour moi de pouvoir lier la communauté tchèque avec la communauté luxembourgeoise parce que je pense qu’il s’agit de ne pas créer de ghettos, et de s’enrichir tous ensemble. »
La dernière fois qu’on s’est rencontrées, cela faisait un an que vous étiez Consul honoraire de la République tchèque au Luxembourg. Maintenant cela fait plusieurs années que vous êtes à ce poste, qu’est-ce qui a changé et sur quels projets avez-vous travaillé ?
« On a fait beaucoup de projets pour les festivités autour de Charles IV en 2016. Il y a eu des événements auxquels j’ai participé très activement, comme quand on a donné à une rose le nom de l’empereur Charles IV. Le baptême a eu lieu à l’ambassade de la République tchèque en présence de la maire de Prague, Adriana Krnáčová et de la maire de la ville de Luxembourg, Madame Polfer. J’espère qu’on aura quelques roses ‘Charles IV’ en République tchèque, en tous cas j’en amène quelques-unes à chaque fois que je viens. »Pour en revenir à votre travail, j’ai été surprise de voir sur votre site Internet que vous peignez vos propres sculptures, ou au moins des formes qui rappellent vos sculptures. Vous faites finalement un pont entre les deux arts que vous maniez…
« C’est ça ! En 2007 j’ai été persuadée par un ami qui était dans mon cours de faire de la sculpture. Il m’a dit ‘vous faites beaucoup de choses mais vous ne faites pas encore de sculpture !’ Il a tellement insisté pour me faire connaître ce nouveau métier que j’ai commencé à le faire. »
Il faut préciser que c’était un ami forgeron…
« Oui exactement. La première sculpture que nous avons réalisée ensemble faisait 3,5 mètres et 2,5 tonnes. C‘était pour moi un choc réellement positif. Quand j’ai vu ce qu’on avait fait, ça m’a donné beaucoup d’énergie. Une toile, on peut la mettre où on veut. Si on n’a pas envie de la voir on peut juste la cacher derrière une armoire, mais une sculpture de 3,5 mètres on ne la cache pas. »La toile est aussi seulement en deux dimensions…
« Oui, aussi. Ce travail m’a fait très plaisir et depuis je sculpte et je peins. Ma peinture est devenue beaucoup plus tridimensionnelle parce que je vis beaucoup plus dans l’espace maintenant. Je perçois la réalité tout à fait autrement. Parfois je retravaille la sculpture en peinture parce que peux ainsi lui donner une autre vie. »
Comment naît une sculpture ? Vous faites d’abord des esquisses ?
« Non, je fais d’abord de petits objets dans une sorte de cire. Ensuite, je les fais couler ce le modèle pour que ce soit une petite sculpture en bronze en format 30x50 centimètres. Actuellement il y a cinq de ces petites sculptures qui sont exposées dans la galerie de l’église Saint-Martin-dans-le- Mur. Ce sont des objets qui me permettent ensuite de choisir celles que je vais agrandir, parce que je ne peux pas me permettre de toutes les agrandir jusqu’à trois mètres de hauteur. »J’imagine qu’en tant qu’artiste on ne peut pas faire de choix entre deux arts, mais est-ce qu’aujourd’hui vous avez une préférence pour la sculpture par rapport à la peinture ?
« J’ai été formée en tant que peintre par les Beaux-Arts à Prague et je crois que la sculpture me donne plus de liberté justement parce que je n’ai pas été formée par un professeur. La sculpture me donne plus de plaisir, c’est plus une découverte, je me sens comme une enfant qui joue. C’est quelque chose que je ne ressens pas avec la peinture. »