« František Kupka reste un grand modèle d’artiste et d’homme de son temps »
Pour le journal Le Monde, c’est la plus belle rétrospective de l’année. Elle se déroule jusqu’au 30 juillet prochain au Grand Palais, à Paris, et met à l’honneur le peintre František Kupka, certes, un des principaux acteurs du symbolisme et de l’abstraction, mais aussi un homme engagé et curieux, partagé pendant toute sa vie entre la France et la Bohême et qui reste peu connu du grand public français, comme nous le raconte Marion Mangon, chef du département des expositions à la Réunion des musées nationaux :
Celui qui est connu comme le « pionnier de l’abstraction » ou le « magicien de la couleur » est né à Opočno, en Bohême de l’Est. En 1896, František Kupka s’installe à Paris, pour vivre ensuite, jusqu’à sa mort en 1957, à Puteaux, en banlieue parisienne. C’est ici qu’il forme, avec ses voisins, les frères Duchamp, le célèbre groupe de Puteaux, un collectif d’artistes et de critiques d’art liés au cubisme.
L’exposition parisienne rassemble quelque 300 œuvres, dont des peintures, dessins, gravures, mais aussi des documents, manuscrits, journaux, livres et photographies. Elle suit le parcours du peintre à la fois chronologiquement et thématiquement, en retraçant ses grandes périodes créatrices : le symbolisme, ses portraits expressionnistes, puis son passage à l’abstraction, jusqu’à ses fameuses formes géométriques. Dans la vidéo officielle de l’événement, l’historienne de l’art et une des commissaires de l’exposition, Markéta Theinhardt explique :
« Kupka appartenait à la génération du symbolisme. Il était habitué à représenter des idées, des idées abstraites. Donc le passage à l’art non-figuratif s’est passé chez lui grâce à une réflexion, à une réflexion philosophique aussi. (…) Une série d’œuvres de Kupka porte le nom ‘Forme de la couleur’. Pour lui, la couleur était déjà une forme. »La rétrospective ambitionne de faire découvrir au public la personnalité de Kupka dans toute sa richesse et sa complexité, son univers, sa manière de penser, son intérêt pour la philosophie justement, pour les cultures anciennes et orientales, les religions et la science.
Une des commissaires de l’exposition, Bigitte Leal raconte :
« Je me suis plongée dans les écrits théoriques de Kupka, touffus et difficiles à aborder par des accents philosophiques et scientifiques. C’est peu à peu, en rassemblant des éléments dispersés depuis longtemps, que l’on perçoit la richesse de son œuvre et de sa pensée, l’authenticité de sa personnalité. On découvre aussi des liens qu’il a tissés avec d’autres personnalités au fil des décennies. On a l’habitude de parler de Kupka comme d’un artiste très solitaire, isolé, mais c’est une idée reçue, car il a été admiré aussi par d’autres teneurs de l’abstraction et par des générations plus jeunes. »
Le double visage de Kupka
B.L. : « C’est une exposition qui nous a donnés, à nous, les commissaires, de grandes joies. Parfois, des œuvres que nous n’avions jamais vues sont arrivées de destinations lointaines… Nous n’étions jamais déçus en les voyant arriver, en découvrant la beauté de leurs formes et couleurs. Kupka reste pour nous un grand modèle d’artiste et d’homme de son temps. A travers des dessins et des documents exposés, nous avons aussi voulu mettre en avant son engagement. Malgré son pacifisme, il a su s’engager dans les deux guerres. (Kupka a participé à la création des légions tchécoslovaques en France pendant la Première Guerre mondiale, ndlr). Nous avons voulu montrer le double visage de Kupka, celui de l’homme idéaliste et de l’homme de terrain, car nous avons une grande admiration pour l’intégrité du personnage. »Organisée par la Réunion des musées nationaux-Grand Palais, en partenariat avec le Centre Pompidou, la Galerie nationale de Prague et l’Ateneum Art Museum de Helsinki, la rétrospective de František Kupka rassemble des œuvres de prêteurs tchèques, allemands, autrichiens ou américains. Une fois l’exposition parisienne terminée, elle se déplacera en septembre prochain à Prague et en février 2019 à Helsinki. Historienne de l’art à la Galerie nationale de Prague, Anna Pravdová prépare l’étape tchèque de la rétrospective :
« Même si les espaces seront à chaque fois un peu différents, nous essayons de faire en sorte que la conception de l’exposition reste à peu près la même. A Prague, l’exposition sera évidemment plus restreinte, car les espaces du Palais Wallenstein sont plus petits que ceux du Grand Palais. Toutes les œuvres importantes y seront. Le problème se pose pour des œuvres sur papier : elles sont trop fragiles pour pouvoir voyager et ne peuvent donc être exposées qu’une seule fois. »Pour Anna Pravdová aussi, la rétrospective Kupka au Grand Palais est un des moments les plus forts de la saison :
« C’est une exposition magnifique. Il est rare de voir toutes ces œuvres de Kupka réunies à un seul endroit. Cette étape parisienne de l’exposition est la plus importante dans ce projet, elle présente le plus grand nombre d’œuvres. Mais à Prague, nous allons avoir d’autres œuvres de Kupka provenant des collections tchèques. Pour ceux qui auront vu la rétrospective au Grand Palais, il sera quand même intéressant de venir à Prague. »
Pour Marion Mangon, la rétrospective Kupka peut même avoir un effet supplémentaire sur le public : elle peut mieux lui faire comprendre l’art abstrait.
« Pour moi, la plus grande découverte de cette exposition a été l’étendue du travail de Kupka. J’ai découvert son travail de caricaturiste pour la presse, de toutes ses gigolettes et femmes se mettant du rouge à lèvres du début de sa création… Je pense vraiment que cette exposition peut réconcilier le public avec l’art abstrait, jusqu’à présent peu exposé au Grand Palais. Passer en l’espace de quelques centaines de mètres carrés des premiers travaux magnifiques de Kupka jusqu’à ces derniers travaux tout aussi magnifiques est une chance pour le public de comprendre. »